mercredi 1 août 2007

La légende du siècle

Par le général de corps aérien (CR) Jacques Le Croignec

Le 1er juin 1940, Charles De Gaulle est nommé général de brigade, à titre temporaire. Sous son commandement, la 4e D.C.R. (division cuirassée de réserve) est alors engagée en Basse-Somme dans l'opération d'Abbeville, au lendemain de l'affaire de Montcornet.
Le 6 juin, il est affecté au poste de sous-secrétaire d'État à la Défense nationale dans le cabinet de Paul Reynaud, lequel démissionne le 16 juin. Non retenu dans le nouveau gouvernement confié au maréchal Pétain, il décide de partir le 17 juin en Angleterre où sa famille le rejoint le lendemain.
Le 18 juin, il prononce à la B.B.C. une allocution qui s'adresse essentiellement aux soldats, marins et aviateurs que les péripéties des combats de Norvège et de Dunkerque ont jetés en Grande-Bretagne. Appel qui ne comporte aucune incitation à la dissidence, et qui s'inscrit dans le cadre des combats qui se poursuivent sur le continent où des pourparlers d'armistice sont en cours. En bref, appel dont pouvait naître, de part et d'autre de la Manche, une alliance tacite au sein de laquelle le tronçon de glaive que brandissait De Gaulle eût coordonné ses coups avec le bouclier que tenait Pétain, en attendant patiemment de se joindre à la flamboyante épée que sera l'armée d'Afrique préparée par Weygand et Juin.
On sait - et le célèbre résistant, le colonel Rémy, le déplorera - qu'il n'en fut rien. Dans les heures qui suivent l'appel mesuré du 18 juin, le discours change de registre. Le 19 juin, à la B.B.C. , De Gaulle déclare que « les formes ordinaires du pouvoir ont disparu » et que « devant la liquéfaction d'un gouvernement tombé sous la servitude ennemie », il parle « au nom de la France ».
Cette rébellion déclarée contre le gouvernement de la IIIe République, présidée par Albert Lebrun, justifie la prise immédiate de sanctions qui annulent la promotion de général à titre provisoire du colonel De Gaulle et le mettent avec ce grade à la retraite d'office, par mesure disciplinaire (J.O. du 24 juin 1940).
Ainsi, à compter du 24 juin 1940, Charles De Gaulle n'a plus le grade de général, et, sa vie durant, aucune décision officielle ne le lui rendra. Citant son père, son fils le reconnaît implicitement quand il déclare : « ... il y eut même un président du Conseil de la IVe République assez mesquin, m'a-t-il raconté non sans amertume, pour lui envoyer une fiche de pension de retraite à remplir, sur laquelle il figurait comme colonel puisqu'il n'avait jamais été promu général à titre définitif. Il choisit alors de ne jamais toucher un sou de retraite de son existence »(Le Figaro Magazine, le 17 juin 2000).

Ambition ardente

Au terme de la Grande Guerre au cours de laquelle il était resté prisonnier en Allemagne, de mars 1916 à novembre 1918, Charles De Gaulle avait écrit : « Au point de vue militaire, je ne me fais aucune illusion, je ne serai, moi aussi, qu'un revenant » (1). Il exprime « plus amer que jamais, le regret indescriptible » de n'avoir pu prendre une meilleure part aux combats. « Ce regret ne me quittera plus. Que du moins il me serve d'aiguillon à penser et à agir mieux et davantage pour tâcher de remplacer [u.] les quelques heures décisives et triomphantes que je n'aurai pas vécues » (2).
Cette ambition ardente, il va, dans un premier temps, l'assouvir par les appuis qu'il cultive habilement auprès des plus hautes autorités militaires ou politiques. C'est ainsi qu'après avoir épuisé la bienveillance du maréchal Pétain, il adresse à Paul Reynaud, de 1935 à 1939, plus de cinquante lettres dont l'esprit courtisan et le style louangeur sont étrangers à l'éthique militaire.
Le 16 décembre 1935, il sollicite en faveur de sa « modeste personne », une intervention de son faire-valoir, afin d'être inscrit au tableau de colonel. Pour appuyer sa démarche, il a rédigé à l'intention de ceux dont il quête le soutien, une note manuscrite et non signée dont les premières lignes précèdent des arguments justifiant, à ses propres yeux, sa promotion à titre exceptionnel, et suggérant qu'une démarche pressante et très urgente» soit effectuée par paul-Boncour, président de la commission d'étude de la Défense nationale, auprès de Jean Fabry, ministre de la Guerre.
Le 31 décembre 1935, il accompagne ses vœux d'une citation de Vauvenargues sur les grands esprits, et déclare à Reynaud qu'il en est (( la démonstration vivante et éclatante )). Puis il lui fait part de sa confiance en son destin (3), et de sa résolution de le servir (4). Par lettre du 18 décembre 1936, il remerciera Reynaud du succès de son intervention. Et il réitérera son allégeance en soulignant: (( Veuillez bien ne pas oublier que vous pouvez disposer entièrement de moi )) (5).

Un tel comportement est d'autant plus surprenant que son auteur s'identifiera sous peu à la France, et qu'il a écrit dans Le Fil de l'épée: (( Il convient que la politique ne se mêle point à l'armée. Tout ce qui vient des partis (...) a bientôt fait de corrompre le corps militaire dont la puissance tient d'abord à sa vertu» (6).
Ne devoir rien à personne

Paradoxalement, la démission de Reynaud va servir les ambitions et le destin politique de Charles De Gaulle. Car, a-t-il écrit: « Que les événements deviennent graves [ ... ] une sorte de lame de fond pousse au premier plan l'homme de caractère. » Cette lame, c'est le désastre militaire suivi de la démission de Reynaud et de sa propre élimination du gouvernement. Elle le pousse en Angleterre où son talent d'orateur va pouvoir s'exprimer.
Il sait que les plus grands ménagent avec soin leurs interventions. « Ils en font un art que Flaubert a fort bien senti lorsqu'il nous peint dans Salambô l'effet produit sur des soldats hésitants par l'apparition calculée d'Amilcar » (7).
Il ne peut donc admettre sa rétrogradation. Il s'autoproclame général. Car le général du 18 juin ne peut devenir le colonel du 24 juin et perdre ainsi le crédit que lui conférait des étoiles. Son fils en témoigne pour lui-même lorsqu'il écrit à Michel Debré qui en fait part à Georges Pompidou : « Vous comprenez, maintenant depuis la mort de mon père, je suis appelé à correspondre avec des chefs d'État. Il faut, par conséquent, que je sois amiral » (8).
Dans son dernier ouvrage sur son père, Philippe De Gaulle revient sur le refus de celui-ci de toucher une retraite. Mais il ne mentionne plus la raison qu'il en avait donnée dans Le Figaro Magazine précité. Il se borne à citer un commentaire de son père : .« Ainsi, je ne devrai rien à personne. Ce sera l'inverse. Les Français resteront en dette à mon égard » (9).
Attitude calculée de celui qui décrétait : « Là où je suis est la meilleure place » (10). Attitude que souligne son fils : «... il lui indifférait qu'on lui attribuât des prérogatives, des compliments, des hommages, des titres [...] Il a répondu à Edmond Michelet, ministre des Armées [...] qui envisageait, en 1946, de faire de lui un maréchal de France, que la seule chose qui serait à l'échelle est de laisser les choses en l'état. La mort se chargera, un jour d'aplanir la difficulté, si tant est qu'il y en a une» (11).

Dispensé des critères militaires

À sa mort, son élévation à la dignité de maréchal ne fut l'objet d'aucun débat national. Une telle dignité ne peut, en effet, être conférée qu'aux officiers généraux ayant commandé en chef devant l'ennemi.
Le colonel De Gaulle avait-il vraiment espéré que sa carrière politique lui vaudrait d'être dispensé de ces critères militaires, et lui permettrait de rejoindre, dans la constellation des maréchaux de France, l'illustre soldat rétrogradé au rang de deuxième classe par une condamnation à mort prononcée par une Haute Cour dite de justice, qu'il avait lui-même instituée par ordonnance du 18 novembre 1944 ?
« Ces choses-là sont rudes. Il faut pour les comprendre avoir fait ses études ses études »(12).

(1) Charles De Gaulle: Lettres, notes et carnets, 1905-1918, pp.519-520.
(2) ibid p. 525.
(3) Lettre du 1er mai 1936. (4) Lettre du 4 mai 1936.
(5) Lettre du 24 novembre 1938.
(6) Charles De Gaulle: Le Fil de l'épée. Berger-Levrault, 1932, p. 139.
(7) ibid, p. 67.
(8) Jacques Foccart : Journal de l'Élysée, 1969-1971, Fayard 1999. (9) Philippe De Gaulle: De Gaulle, mon père. Plon, tome " p. 522. (10) ibid, tome Il, p. 226.
(11) Ibid.
(12)Victor Hugo: La Légende des siècles. Les Pauvres gens.
Action Française 2000 juillet 2007


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