mardi 11 mars 2008

ON L'APPELAIT L'ALGÉRIE FRANÇAISE

« IMAZIGHEN ma-chi d'Arab. » Les Berbères ne sont pas des Arabes, dit une vieille chanson kabyle de la région de Tizi-Ouzzou. Viendra d'ailleurs le temps où les égorgeurs orientaux qui règnent à Alger auront à s'en rendre compte. Un sourire kabyle ne fait pas forcément le printemps ...

Dans Tradition et civilisation berbères (1), le professeur Jean Servier révèle les secrets de la vie quotidienne des Berbères, colonisés puis asservis, malgré une résistance farouche, par les cavaliers musulmans venus d'Arabie.

« Notre avenir, écrit Jean Servier, ne se construit que sur la connaissance et la fierté du passé. Ce ne sont pas des survivances que j'ai essayé de décrire ... J'ai recueilli pendant sept ans, au cours de longues étapes à pied et à mulet, parfois à cheval, les traditions que connaissaient les hommes de quarante ans : ceux qui ont le droit de parler aux assemblées de village ou de la fraction. Eux-mêmes n'acceptent que ce qui a trait à leur village et considéraient comme impoli de parler du village voisin alors qu'ils y connaissaient un vieillard qui seul avait le droit de parler s'il le jugeait opportun. De là la nécessité de « voyager pour s'instruire » comme cela se faisait autrefois. »

On peut suivre Jean Servier dans ce voyage au bout des rites et des traditions : c'est un bon guide.

On peut suivre également Raymond Féry qui vient de publier un livre de souvenirs : Médecins chez les Berbères (2). Né en Algérie, Raymond Féry a été nommé médecin de colonisation à Arris en 1937. Il a donc vécu quotidiennement avec les populations chaouïa de l'Aurès, pénétrant les foyers et les âmes. En 1940, il fut muté en Kabylie où il exerça pendant six ans.

Dans sa préface, le professeur Pierre Goinard note : « Raymond Féry, avec la sympathie d'une coexistence de tous les instants, parlant l'arabe depuis son enfance et ayant appris la langue berbère, observe mieux encore qu'un ethnologue, les mœurs autochtones, respectées par les Français, inchangées depuis la plus haute antiquité. N'a-t-il pas opté pour les deux bastions de l'Aurès et de la Kabylie, où les Berbères peu ou pas arabisés, demeurent farouchement attachés à leur identité, au point que beaucoup, surtout les femmes, sont uniquement berbérophones. »

Les choses, hélas, se précipitent: dans les plus petits villages de Kabylie les instituteurs arabes, fanatiques et bornés, s'appliquent à tuer les Imazighen, les « hommes libres ». les Kabyles sont un peuple qu'on assassine dans l'indifférence totale des professionnels des droits de l'homme.

Dans un récent ouvrage qui fait déjà figure de référence obligée, La guerre d'Algérie, Pierre Montagnon disait la fin tragique de notre Algérie française. Avec son nouvel ouvrage, La conquête de l'Algérie (3), il en retrace l'histoire à une époque où les termes « Algérie » et « Algériens » n'existaient pas. L'intérêt _tout l'intérêt de ce livre c'est qu'il balaie vigoureusement l'imagerie d'Epinal qui est inévitablement créée autour des guerres de conquête. Montagnon ne s'attache qu'à la réalité des faits. Disons-le clairement: c'est un travail d'historien à l'anglaise. C'est-à-dire objectif. Sans complaisance. Un livre d'adulte pour les adultes.

Mais, au moment même où j'écris ça - sereinement - je termine le livre du capitaine M.L. Leclair: Disparus en Algérie (4). Et la colère, la méchante rabia comme on disait là-bas, me reprend. Il y eut la conquête de l'Algérie et la guerre d'Algérie si bien racontées par Montagnon. Il y eut les semaines qui précédèrent et suivirent l'indépendance.

Dès 1963, le bilan pouvait être dressé: des milliers de personnes, hommes, femmes, enfants, chrétiens, habiroux, musulmans, avaient disparu. Souvent, les vengeances et les enlèvements s'étaient exercés sous les yeux des troupes françaises qui avaient reçu l'ordre de ne pas bouger - et qui respectèrent scrupuleusement cet ordre ...

Mais tout le monde savait que les « portés disparus » n'avaient pas tous été assassinés et qu'ils servaient d'esclaves dans les casernements FLN ou les garnisons du bled. Combien d'entre ces martyrs sont encore vivants aujourd'hui? Et dans quel état? D'après le capitaine Leclair, il y aurait en Algérie 3 000 Français « en possibilité de survie ». Il n'y a pas si longtemps, en effet, on nous signalait des camps où survivaient des prisonniers français ... « Nous voulons que ce livre, écrit Leclair, soit la clameur de nos frères disparus. »

Alain Sanders : National Hebdo du 17 au 24 avril 1986
(1) Ed. du Rocher. 510 pages.
(2) Ed. de l'Atlanthrope. 260 pages.
(3) Pygmalion. 460 pages. .
(4) Jacques Grancher. 260 pages.

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