mardi 10 février 2009

REFLEXIONS SUR LE LIVRE « LE CHOC DES CIVILISATIONS » de Samuel Huntington

Il faut commenter ce livre qui est sans doute l'un des plus intéressants depuis l'œuvre « le déclin de l'Occident » de Spengler. Ce livre est manifestement le résultat d'une réflexion de plusieurs dizaines d'années d'un homme entouré de collaborateurs. Lorsqu'on le lit attentivement, la thèse de Fukuyama sur la fin de l'Histoire semble à côté bien légère, lecture faussement brillante de Hegel.
Certains rejettent la thèse du choc des civilisations comme un gadget car c'est une vision conflictuelle de l'homme ou des hommes entre eux. Cela ne cadre pas avec la pensée unique du village global composé de citoyens du monde.
Pour eux, les hommes sont interdépendants, donc ne peuvent s'opposer comme si chacun n'avait pas fait l'expérience dans sa vie qu'on est souvent plus interdépendant de son ennemi que de son ami. Huntington a répertorié tous les conflits qui ont existé sur la planète depuis la fin de la seconde guerre mondiale et surtout depuis la fin de la guerre froide et on retrouve pratiquement toujours des conflits entre civilisations. Lorsque François Mitterrand déclarait « le nationalisme, c'est la guerre » on a là une réflexion caractéristique d'un homme qui pensait le monde avec une ou deux générations de retard, encore prisonnier intellectuellement de son passé. Il n'y a plus de guerres entre nations en tant que telles, mais entre civilisations qui s'entrechoquent.
Pour Huntington, l'homme est défini par sa race, sa religion, sa culture et civilisation. Le critère le plus important selon lui est la religion, en tout cas des déterminismes autrement plus puissants que ceux de Bourdieu. Cette idée n'est pas nouvelle ni vraiment originale. Ce n'est certes pas ce qu'on apprend à l'école de la République qui a toujours nié les origines en voulant construire de façon artificielle un homme abstrait.
Les alliances ou les affinités se font donc sur ces critères. C'est le « Je préfère mes sœurs à mes cousines » de Le Pen à une dimension planétaire. La construction européenne se fait sur des critères d'affinités culturelles plus que sur des critères purement économiques.
La fin des idéologies politiques et non de l'Histoire ne fait que renforcer la thèse de Huntington. La guerre froide Est-Ouest n'a fait que masquer pendant très longtemps des mouvements antagonistes plus fondamentaux. Ou alors faut-il penser comme Heidegger que les religions ne sont que des idéologies.
La critique que l'on peut faire à ce livre est que l'auteur a tendance à réduire l'Occident à l'Europe (surtout de l'Ouest et centrale) et à l'Amérique du Nord.
Pourtant en Amérique du Sud, on peut considérer que certains pays par l'origine de leur population, leur culture et religion appartiennent à l'Occident ou en sont très proches. Quant au monde slavo-orthodoxe, la seule guerre qui fut sanglante avec l'Occident, fut le conflit serbo-croate, heureusement terminé.
Par ses productions culturelles, scientifiques ou artistiques, la Russie a enrichi le patrimoine culturel de l'Occident. Il y a certes un pôle slavo-orthodoxe, longtemps imprégné par le marxisme qui venait de l'Occident, dominé par la Russie mais la différence qui serait basée sur la religion orthodoxe est-elle si forte ? Les Grecs orthodoxes appartiennent à un pays qui est le berceau de l'Occident.
Ceci pose la question ontologique que ne pose peutêtre pas assez Huntington : qu'est-ce que l'être de l'Occident ?
La technologie, le confort matériel ou la licence des mœurs ? ou plus profondément un rapport au savoir hérité des Grecs qui s'oppose aux mythes et aux religions. Ce rapport peut-être scientifique depuis Aristote, philosophique depuis Platon et les pré socratiques. Ce rapport au savoir a permis notre développement technologique et économique. L'Occident est aussi l'importance accordée à l'individu héritée du christianisme et que l'on trouve sous formes diverses dans différents courants politiques et philosophiques : l'anarchisme, le libéralisme et la théorie kantienne, la pensée de Nietzsche et celle de Barres lorsqu'il écrivait « le culte de moi ».
Toutes ces valeurs différent en général de celles de la civilisation asiatique et surtout de l'Islam.
Ces deux civilisations peuvent même s'opposer fortement à l'Occident. Comme le souligne l'auteur américain, l'Islam monte en puissance en raison de sa démographie qu'elle peut exporter, et de la richesse de certains pays producteurs de pétrole. Quant à l'Asie, la réussite économique de nombreux de ses pays, lui permet de plus en plus de rejeter les valeurs occidentales.
Au passage, Huntington ne donne pas beaucoup d'importance à la distinction politiquement correcte entre Islam et Islamisme l'un étant contenu dans l'autre. Mais la grande puissance qui pourra rivaliser avec les États-Unis sera la Chine à la fin du siècle. Les Chinois se définissent eux-mêmes par la race, le sang, la langue, définition de soi qui en rappelle une autre aux Européens.
Pour l'auteur, il n'y a pas de valeurs universelles.
Une civilisation exporte ses valeurs qu'elle objective ou universalise lorsqu'elle a la force économique et militaire pour le faire. Les pays musulmans et asiatiques rejettent donc par leur montée en puissance de plus en plus nos valeurs.
Huntington aborde peu la question de l'immigration même s'il en parle parfois.
Pourtant celle-ci a constitué à créer le choc des civilisations sur le propre sol de l'Occident. Pourquoi notre civilisation occidentale a-t-elle fabriqué sa propre libanisation ?
Les États-Unis étant la puissance la plus forte économiquement et militairement ont imposé les valeurs du melting-pot aux pays européens qui ne le connaissaient pas sans tenir compte des problèmes conflictuels qui pourraient en résulter. On assiste à ce propos à une résurgence de l'Islam dans les banlieues. Le discours des jeunes est donc celui-ci : « Nous sommes musulmans, notre civilisation est supérieure, nous ne serons jamais vous, c'est-à-dire ni des Français, ni des Occidentaux, ni même pour reprendre une terminologie de gauche, des citoyens de la citoyenneté ». La France s'est aussi libanisée sur fond idéologique républicain, laïque, libéral et antiraciste.
On a aussi beaucoup manipulé la jeunesse en utilisant ses bons sentiments et sa naïveté. Le moule de l'école républicaine ne fonctionne plus depuis longtemps.
On peut même dire que l'immigration a plus détruit l'école de la république que celle-ci a transformé les immigrés en citoyens français.
La France est donc en son cœur confrontée à ce choc des civilisations et il ne sert à rien de le nier par aveuglement idéologique. Ce sera son futur défi. Une société multi-culturelle et même multi-civilisationnelle devient fatalement multi-conflictuelle. Le livre de Samuel Huntington, si on prend la peine de le lire même de façon très critique est là pour nous ouvrir les yeux. Ce questionnement fondamental devrait faire partie du débat pendant la campagne européenne.
par P G-S (mai-juin 2004)

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