lundi 6 avril 2009

Le 3 mars 1918 : le réalisme du tsar rouge

En signant la paix de Brest-Litovsk, le 3 mars 1918, entre l'Allemagne impériale et la toute nouvelle Russie communiste, Lénine se conduit à la fois en chef d'Etat avisé et en chef révolutionnaire conséquent, c'est-à-dire appliquant avec une froide logique un principe de guerre subversive. Il sait en effet, d'une part avoir besoin de se libérer du poids de la guerre pour consacrer toutes les forces bolcheviques, très minoritaires dans le pays, à imposer le nouveau régime ; mais il sait aussi, d'autre part, que la paix est un thème mobilisateur pour déclencher une vague de sympathie agissante en Allemagne, où il veut étendre la révolution bolchevique. Si l'on en croit Victor Serge, Lénine livrait le fond de sa pensée devant ses proches : « Nous voulons la paix générale, mais nous ne redoutons pas la paix révolutionnaire. Si le peuple allemand nous voit disposés à discuter toutes les offres de paix, la coupe débordera, ce sera la révolution allemande. » Le langage officiel était tout autre. Le préambule du décret de paix affirme en effet que « le gouvernement ouvrier et paysan invite toutes les nations belligérantes et leurs gouvernements à ouvrir sans délai les négociations d'une juste paix démocratique ». Comme quoi il faut savoir traduire la langue communiste ...
La paix de Brest-Litovsk, maître coup d'un joueur d'échecs expérimenté, est l'aboutissement d'une manœuvre lancée dès le 20 novembre 1917 :
Lénine, Trotski et Krylenko ont adressé ce jour au général Doukhonine, chef d'état-major général, l'ordre de proposer un armistice immédiat aux forces allemandes. Sur refus de Doukhonine. celui-ci est relevé de ses fonctions et décrété « ennemi du peuple ». Il est remplacé par un vieux bolchevique, le commissaire du peuple à la Guerre Krylenko. Le nouveau généralissime exhorte très officiellement chaque unité russe du front à élire ses délégués, qui devront engager directement des pourparlers avec l'ennemi. La bolchevisation de l'armée est en marche.
A ceux qui en douteraient, Krylenko adresse un message clair : Doukhonine, inconscient de ce qu'est le communisme, vient saluer le 18 novembre son successeur, arrivé au quartier général en train spécial ; il est immédiatement assailli, jeté sur le quai et tué à coups de baïonnettes. Le 30 novembre, un décret annonce la suppression des anciens grades et des décorations, les nouveaux chefs d'unité devant être élus par les soviets de soldats. Toute mesure de discipline dépendra des soviets.
La première conséquence de ces décisions est de multiplier les assassinats d'officiers, dans des conditions atroces (au Turkestan, ses assassins laissent agoniser pendant des heures le général Korovitchenko et font payer trente kopecks aux amateurs d'un spectacle si édifiant). Un climat d'anarchie se répand : d'anciens soldats forment des bandes de pillards, dévalisant en particulier les stocks de l'armée. Ceux qui restent sous l'uniforme passent le plus clair de leur temps à s'enivrer avec beaucoup d'application.
A partir du 7 janvier 1918, les pourparlers avec les Austro-Allemands sont conduits, du côté russe, par Trotski. Maximaliste, il entend provoquer une rupture de pourparlers, persuadé que c'est le meilleur moyen de déclencher une vague révolutionnaire en Allemagne. Plus réaliste, Lénine veut la paix. Les tergiversations des bolcheviques amènent les Allemands à déclarer rompu l'armistice. Et à reprendre l'offensive contre des armées russes qui, démoralisées, se débandent par unités entières. C'est pourquoi Lénine réussit à faire triompher son point de vue au Comité central bolchevique, qui décide d'accepter toutes les conditions allemandes. La Russie perd le contrôle de l'Ukraine, de la Finlande, de la Pologne, de la Transcaucasie, des Pays baltes. La part du feu ...
P V : National Hebdo du 26 février au 4 mars 1998
À lire : Dominique Venner, Les Blancs et les Rouges, Pygmalion, 1997.

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