mardi 25 août 2009

L'histoire prise en otage

« Du passé, faisons table rase ! », exhortait Eugène Pottier, le parolier de L'Internationale. Oui, mais voilà : le passé est bien utile lorsqu'on l'instrumentalise à des fins politiques ou idéologiques. C'est même un outil de propagande dont on aurait bien du mal à se passer.

La vie politique française est construite sur un mensonge historique flagrant, mais conforté depuis 60 ans par tous les vecteurs de ce que l'on appelait hier encore la propagande officielle, avant que l «'historiquement correct», selon l'expression de Jean Sévilla n'en prenne encore plus insidieusement le relais. Selon ce bobard forgé en 1945, scellant la complicité des gaullistes et des communistes, eux seuls se seraient opposés à l'envahisseur, tandis que la droite aurait honteusement collaboré avec l'occupant nazi. Ce dogme résistancialiste, qui légitima dans l'immédiate après-guerre la confiscation des principaux journaux de droite par le Parti communiste, sert depuis plus d'un demi-siècle à disqualifier toute réflexion suspecte d'être contaminée par une quelconque forme de «nationalisme», notion fourre-tout, extensible et pratique. Il importe peu que les principaux dirigeants des partis collaborationnistes - Doriot, Déat - soient venus de la gauche internationaliste et pacifiste, que le dirigeant communiste Maurice Thorez ait donné en 1939 l'exemple de la désertion et que le Parti communiste - « le-parti-aux-75 000-fusillés » - ne se soit pris de vapeurs patriotiques qu'à partir de l'entrée des troupes allemandes en Union soviétique. Pour établir sa légitimité, De Gaulle avait besoin de la culpabilité des pétainistes et de l'innocence des communistes.
En 2008 encore, c'est la dernière lettre du communiste Guy Môquet, et non pas celle du royaliste Honoré d'Estienne d'Orves, qui est lue dans les écoles à la demande de Nicolas Sarkozy, héritier du mouvement gaulliste.
L'histoire est une science politique, et cela ne date pas d'hier. Le mensonge historique acquiert peu à peu la force d'un mythe et c'est sur de tels mythes que se fondent les nations et que s'appuient les régimes. Ce que fut vraiment Vercingétorix importe peu, seul compte ce qu'il apporte à l'imaginaire collectif, à l'imagerie populaire naïve qui le montre à cheval, les cheveux au vent et le glaive au poing, déjà dressé contre l'éternel envahisseur. Jacques Heers observe que les concepteurs des programmes d'histoire de la IIIe République n'étaient pas des historiens. C'est qu'ils n'ambitionnaient pas de faire de l'histoire, mais de construire le mythe républicain.
Rien de neuf, alors ? Si, cependant. Ce qui est neuf, c'est justement la perte des références historiques communes, dès l'école. Vercingétorix, connaît pas ! Ce qui est neuf, c'est le refus d'une partie de la population de s'approprier ces références : nos ancêtres ne sont plus les Gaulois... C'est aussi l'utilisation du mythe, non plus pour conforter la République, mais pour dénigrer la France, la couvrir d'opprobre au fil des repentances, et déchirer les images d'Epinal : on ne retient plus du règne de Louis XIV que la traite triangulaire et le code Noir, on n'honore plus les morts de la Grande Guerre sans évoquer longuement les mutins de l'année 17...
⇐Charles Martel : à exclure d'urgence de l'histoire républicaine.
L «'historiquement correct», complément naturel du «politiquement correct», s'impose aux consciences jusqu'à la déraison. Le professeur d'histoire de l'un de mes enfants refuse de leur enseigner le règne de Napoléon 1er sous prétexte que ce personnage est infréquentable. Folie ? Sans doute, mais l'exemple vient de haut puisque, pour des raisons similaires, les plus hautes autorités de la République ont refusé de commémorer le deux centième anniversaire d'Austerlitz...
Les racines du désamour sont profondes. Utilisée hier par les promoteurs de la république jacobine pour unifier une France qu'ils jugeaient par trop disparate, l'histoire mythique s'effondre aujourd'hui avec le jacobinisme, sous les coups de boutoirs d'une critique historique qui en souligne tous les mensonges, les approximations et les oublis trop souvent volontaires. On l'a bien vu lors du bicentenaire de la Révolution française, qui produisit l'effet inverse de celui qu'on avait escompté: il ne fut question que de l'holocauste vendéen.

Le terrorisme historique
Mais sur les ruines de l'histoire de Jules Ferry se construisent d'autres mythes, plus mensongers encore, que les médias rabâchent comme un nouveau catéchisme laïc, Alors que les anciens mythes voulaient cimenter la France républicaine, les nouveaux sapent l'identité nationale au nom de l'égalité, reine des vertus démocratiques, et de ses dérivés : mixité sociale, droit des minorités, discrimination positive... Le mythe entre désormais au service du communautarisme, comme en a récemment témoigné l'affaire Gouguenheim. Dans son livre Aristote au Mont-Saint-Michel, cet historien démonte la thèse qui fait des traducteurs musulmans les relais entre la sagesse grecque et l'Occident chrétien, ce qui signifierait que nous devons aux Arabes les bases mêmes de notre culture. La réponse de ses confrères, historiens et intellectuels de gauche, a pris la forme étrange d'une pétition dans Libération, dans laquelle Sylvain Gouguenheim était accusé d'islamophobie !
L'histoire est livrée, de la sorte, au terrorisme intellectuel qui étouffe l'ensemble du débat politique. Ce climat délétère conduit aujourd'hui les lobbies et les «communautarismes» de toutes obédiences, s'engouffrant dans la brèche dangereuse ouverte par la loi Gayssot contre le révisionnisme, à faire pression sur le législateur pour «légaliser» leur propre conception de tel ou tel point d'histoire, rendant par là toute contestation de leur point de vue illégale. L'histoire cesse dès lors d'être une science pour devenir officiellement un instrument de propagande politique et de justification des menées communautaristes. C'est à quoi les Français doivent s'opposer résolument, sous peine de perdre leur identité.
Hervé Bizien monde & vie du 22 novembre 2008

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