samedi 12 septembre 2009

En Espagne, l'Église sauvé des milliers de républicains

Alors qu'en France, le monde médiatique et universitaire s'émeut de l'affaire Gouguenheim (1) du nom de cet excellent historien qui remet en cause la thèse de l'influence de l'Islam dans la transmission de la culture grecque aux temps médiévaux, l'Espagne, elle, semble plus prompte à revisiter les dogmes intellectuels et politiquement corrects de l'histoire. Et même de son histoire la plus brûlante.

Dans deux ouvrages parus récemment (2), le prêtre et historien Vicente Carcel Orti a remis en cause l'idée d'une Église soutenant à tout prix le régime franquiste.
Docteur en histoire religieuse et en droit canon, l'auteur a rendu public les premiers résultats de l'exploitation des archives secrètes du Vatican, couvrant la période du pontificat de Pie XI. Il a fallu attendre la fin de l'année 2006 pour que ces dernières puissent être exploitées. Le résultat en est saisissant : « Le pape Pie XI et les évêques espagnols sauvèrent des milliers de vies de républicains » avance sans ambages le Père Carcel. Ainsi, Monseigneur Olaechea, archevêque de Pampelune pendant la guerre civile, intervint auprès de Franco en faveur de plus de 2000 condamnés à mort du fort San Cristobal (Navarre). Gens simples, travailleurs, pères de famille destinés à la peine capitale pour des raisons politiques... Le Père Carcel a étudié chacun de ces cas concrets, en relevant ceux qui ont pu échapper au châtiment, grâce à l'action de Mgr Olaechea.

Le mythe de l'Église franquiste

Le Saint Siège, naturellement, suivait la chose de très près. L'action de cet archevêque, poursuit l'historien, fut loin d'être isolée et entra dans le cadre général du besoin de réconciliation et de paix que l'on retrouvera aussi après la guerre civile, malgré la difficulté que constituaient de tels objectifs. Quoi qu'il en soit, ces recherches font voler en éclat la thèse, longtemps défendue par la gauche, d'une Église soumise et aliénée au pouvoir franquiste : « Cette accusation est complètement fausse. Le Saint Siège mit deux ans à reconnaître le régime de Franco [...] et maintint des relations diplomatiques avec la République jusqu'en 1938. Ainsi, l'accusation d'une Église alliée à Franco dès le début de la guerre est historiquement fausse ».

Déjà, à la lin de l'année 2007, le quotidien El Munda avait invité l'historien à s'exprimer dans ses colonnes sur un sujet particulièrement sensible. Dans cet entretien, le Père Carcel expliqua que ce ne fut qu'après l'assassinat de 6000 prêtres que l'Église espagnole demanda à ses ouailles de choisir le camp des franquistes, tandis que le Saint Siège préserva malgré tout des relations diplomatiques « formelles » avec le pouvoir légal républicain. Finalement, le Vatican ne reconnut le pouvoir franquiste qu'une fois l'issue de la guerre civile certaine, et après plusieurs autres États, notamment la France et la Grande-Bretagne.

De la lecture des archives vaticanes, il ressort en effet que nul ne pouvait véritablement dire quelle allait être la durée du succès franquiste, d'où la réserve de Pie XI. Sans compter sur la politique que mena ce dernier en faveur d'un règlement pacifique du conflit, ou des doutes qu'il exprima au moment du soutien militaire d'Hitler et de Mussolini aux forces du Caudillo.

A l'appel pour la paix du 25 décembre 1938, Franco répondit sèchement que la guerre était la guerre et que seul était envisageable la victoire de l'un des belligérants... Le pape, tout comme les évêques espagnols, traita aussi des cas particuliers en intervenant directement pour tenter de sauver des politiques, comme ce fut le cas pour un indépendantiste catalan, catholique et père de cinq enfants, finalement exécuté du fait de l'arrivée tardive de la requête pontificale...

Pie XI, cela va sans dire, n'en restait pas moins horrifié par les persécutions religieuses du camp républicain. Mais les nuances sont bien là. Placer l'Église à la botte du franquisme apparaît donc comme un raccourci idéologique. Un François Furet n'aurait pas hésité à le replacer dans le sillon de "l'antifascisme", qui ne s'embarrassait guère de vérités historiques.

Christophe Mahieu - Monde& Vie du 28 juin 2008.
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1). Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont Saint-Michel, Le Seuil.
2). Caidos, victimas y martires, édité par Espasa-Calpe et Pio XI, entre la Républica y Franco, paru chez BAC disponible sur http://www.baceditorial.com.

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