mardi 13 octobre 2009

Henri BLÉHAUT : « L'évolution a forcément procédé par des sauts »

Le Dr Henri Bléhaut, qui collabora avec le professeur Lejeune, s'intéresse lui aussi depuis longtemps aux mystères de l'évolution. Il explique ici ce que la génétique nous en révèle. Il est directeur de la recherche à la Fondation Jérôme Lejeune

M & V : La thèse du professeur Lejeune au sujet de l'évolution était celle d'une évolution par sauts qualitatifs brusques. On voit bien ce qu'il en est pour l'homme, mais si l'on considère l'ensemble des espèces, est-il concevable que de tels sauts, qui sont des événements très rares, puissent concerner l'ensemble des espèces? L'évolution a-t-elle pu procéder de cette façon ?
Docteur Henri Bléhaut : L'ensemble de l'évolution a forcément procédé par des sauts, des accidents. Il existe entre chaque espèce des différences de nombre de chromosomes. Or ; le changement de nombres de chromosomes résulte d'un accident chromosomique. Par conséquent, l'évolution n'a pas pu être progressive. A l'époque de Darwin, la notion de chromosomes n'existait pas et même les notions d'hérédité des lois de Mendel n'étaient pas encore connues, c'est pourquoi il a pensé à la possibilité d'une évolution progressive. Il n'en va plus de même depuis la découverte des chromosomes. Au sein d'une espèce, il existe, certes, une sélection des plus performants, il est même tout à fait possible qu'il y ait une sélection de couleurs ou de plumages - mais on reste dans une même espèce. En revanche, la spéciation, le changement d'espèce, est forcément accidentel : c'est un changement de nombre de chromosomes, qui ne peut pas être progressif. Les chromosomes vont par paires et l'on ne peut pas en changer un morceau, ce n'est pas comme ça que ça se passe.

M & V : Pour en revenir à l'homme, nous sommes des homo sapiens sapiens, mais il a existé d'autres types d'hominidés. Dans quelle mesure s'agissait-il d'êtres humains ?
Dr H. B. : Il est difficile de le préciser, d'autant plus que nous ne connaissons pas, par exemple, le nombre de chromosomes de l'australopithèque - comme Lucy, qui vivait voilà deux millions d'années. La définition qui a été donnée à l'homme, c'était finalement qu'il marche sur ses deux pieds : le redressement complet. L'australopithèque, qui était un hominidé, appartenait-il à la branche "homme" ou à la branche "primate" ? Les généticiens pensent que les singes ne sont pas nos ancêtres. Il existe un ancêtre commun à la branche singe et à la branche homme, c'est-à-dire à l'ensemble des primates, et cet ancêtre a disparu. Lucy, en revanche, est beaucoup plus proche de nous. On peut penser qu'elle possédait comme nous 46 chromosomes, alors que les grands singes en ont 48. Peut-être est-elle mon arrière grand-mère ? Je ne saurais l'affirmer.
Quand l'homme est apparu, et quelle que soit la manière dont il est apparu, il s'est produit un accident chromosomique ; et si l'ancêtre commun avait 48 chromosomes, cet accident chromosomique en a réduit le nombre à 46 chez un individu. Comme vous l'avez souligné c'est un accident majeur et si exceptionnel qu'on ne l'a même jamais vu. Or, s'il est arrivé à un individu, il aura fallu, pour qu'il fasse souche, que le même accident soit arrivé à peu près au même moment à un autre individu du sexe opposé, dans le même groupe ethnique - et les groupes ethniques, à cette époque, ne comptaient pas plus de 50 individus. Il est très étonnant, et même invraisemblable, que le même accident ait pu se produire deux fois au même moment. Ce que je vous dis là est vrai pour toute spéciation, aussi bien pour la naissance de l'homme que pour celles du zèbre et du cloporte : à chaque fois que se crée une nouvelle espèce, c'est le même mystère. Ce sont des énigmes très compliquées à résoudre et l'on se rend bien compte qu'il est statistiquement impossible que cela tienne au hasard. La tentation d'expliquer ces accidents par le hasard - qui, dans une certaine mesure, n'est qu'une manière biaisée de nier l'existence de Dieu est anti-scientifique. Un bon scientifique se demandera : quel phénomène naturel peut-il expliquer que de tels accidents chromosomiques arrivent de temps à autre ? Je suis en effet convaincu qu'il existe à cela une explication scientifique.

M & V : Le professeur Lejeune avait émis une hypothèse sur les vrais jumeaux ...
Dr H. B. : Oui. Il estimait très peu probable que dans une toute petite tribu, un accident chromosomique majeur ait pu se produire à la fois chez un petit garçon et chez une petite fille. Il avait donc émis l'hypothèse d'un accident génétique sur une grossesse gémellaire de vrais jumeaux. Le changement de nombre de chromosomes, à ce moment-là, devait se retrouver chez les deux jumeaux. Le problème, c'est qu'ils devaient être de sexes différents. Jérôme Lejeune pensait donc que l'un d'entre eux était un garçon, XY, et l'autre un "Turner", XO. En effet, les jumeaux monozygotes sont issus du clivage d'un seul œuf en deux embryons. Il arrive qu'à partir d'un œuf mâle porteur de 46 chromosomes dont un X et un Y, le chromosome X se perde lors de la séparation. On a donc bien deux jumeaux : un garçon XY et une fille ne possédant que 45 chromosomes, XO. Elle se portera très bien - vous en avez certainement déjà croisé dans la rue - mais ces jeunes femmes sont en général stériles. Toutefois on connaît quelques cas ; de "Turner" qui ont eu des enfants. A partir de là, on pourrait imaginer la naissance d'une nouvelle espèce par une gémellité très particulière. C'est ce que Jérôme Lejeune appelait l'hypothèse du monogénisme.

M & V : En admettant que l'apparition des Australopithèques se soit passée de cette façon, et que Lucy soit notre arrière-grand-mère, aurait-il fallu d'autres évolutions du même type pour en arriver à l'homo sapiens ?
Dr H. B. : Bien qu'il existe sans doute des différences assez importantes sur le plan chromosomique entre Lucy et nous, l'évolution est plus facilement imaginable dès lors que nous avons le même nombre de chromosomes. Cependant, même ce qui concerne l'homo sapiens reste mystérieux. Ainsi existe-t-il deux homo sapiens : homo sapiens sapiens, et homo sapiens neanderthalis, qui était sans doute relativement proche de nous, de sorte qu'il aurait pu y avoir une reproduction croisée avec l'homo sapiens sapiens. Il avait un cerveau nettement plus gros que le nôtre. Les raisons de sa disparition, voilà environ 30 000 ans, restent obscures : selon une hypothèse, il aurait été pacifique et l'homo sapiens sapiens, beaucoup plus agressif, l'aurait éliminé ; mais il a pu y avoir des croisements et nous avons peut-être quelques gènes d'homo sapiens neanderthalis dans notre patrimoine génétique.

Propos recueillis par Hervé Bizien monde et vie. 25 avril 2009
(avec l'aimable autorisation de monde et vie)

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