samedi 7 novembre 2009

Moscou aux origines de la « légende noire » de Pie XII

En raison de la suspicion qui pèse sur l'attitude de Pie XII, qui régna de 1939 à 1958, face au IIIe Reich, son procès en béatification ne cesse d'être différé. Principal élément à charge :
Der Stellvertreter (Le Vicaire), la pièce de l'Allemand Rolf Hochhuth, portée à l'écran sous le titre Amen par Costa-Gavras. Laquelle aurait été téléguidée par les services soviétiques...


La langue allemande dispose de deux substantifs - ce qu'on nomme un doublon en lexicographie - pour désigner le genre théâtral qui est en français la tragédie : die Tragödie (mot féminin décalque du latin tragœdia, lui-même issu du grec tragôdia qui était, à l'origine, le chant qu'entonnaient les sacrificateurs lorsqu'ils égorgeaient le tragos, le bouc) ; et das Trawerspiel (mot neutre, de racines germaniques, formé de deux substantifs agglutinés, der Trawer (deuil, mélancolie, tristesse, chagrin) et das Spiel (jeu scénique, par extension pièce de théâtre). Tragödie et Trawerspiel sont donc une seule et même chose, la seule nuance étant que le premier mot est plutôt académique et semble un peu vieilli.

La biographie de Rolf Hochhuth est pleine de trous

A quarante-cinq années de distance, deux tragédies de langue allemande (et qui plus est chacune en cinq actes) portent des sous-titres dont le parallélisme est assez troublant Eine Biblische Tragödie (Une tragédie biblique), en 1918, puis Ein Christliches Trawerspiel (Une tragédie chrétienne); en 1963. Encore plus troublante, l'étonnante relation chiasmatique entre les deux auteurs et leurs deux tragédies. L'auteur de 1918 ne dut pas sa célébrité à cette oeuvre, dramatique alors que celui de 1963 n'est connu que par elle. La première avait pour titre principal Judas Ischariot, qu'elle glorifiait au détriment de son Maître, Jésus, ravalé au rang d'ilote politique. La seconde, Der Stellvertreter, dénigrait le rôle du Vicaire (c'est la traduction de Stellvertreter en français) de ce même Jésus, en la personne de Pie XII. L'auteur de Judas lschariot se nommait Joseph Goebbels. Celui de Der Stellvertreter se nomme toujours Rolf Hochhuth.

Tenter d'en savoir plus sur la biographie de Rolf Hochhuth relève de la gageure. Son site officiel (http://www.rolf-hochhuth.de) possède certes une section «Lebenslauf» (curriculum vitœ), mais y aller voir redirige automatiquement vers le site du Deutsches Historisches Museum (DHM) de Berlin, dont la notice sur l'auteur est des plus étiques pour la période qui va de sa naissance (1931) à la parution du Vicaire, la tragédie qui va le rendre mondialement célèbre (1963), et qui est celle, on le comprendra, qui nous intéresse particulièrement. C'est avec de tels trous dans une biographie que le doute s'installe.

Hochhuth est donc né en 1931, le 1er avril précisément, à Eschwege, une ville du Land de Hesse qui ne devait guère avoir plus de vingt mille habitants à cette date et où les catholiques étaient très minoritaires. Son père, à l'époque de la naissance de Hochhuth, semble avoir dirigé dans cette ville, ou dans ses alentours, une fabrique de chaussures. Quelle a été l'attitude du père industriel pendant le régime national-socialiste ? Je l'ignore, mais de nombreux commentateurs ont estimé que Le Vicaire manifestait une sorte de transfert du sentiment de culpabilité de Hochhuth d'avoir eu un père favorable au National-socialisme sur une personnalité de plus grande envergure, et que, à cet égard, il était difficile de trouver mieux que Pie XII.

La DHM est absolument muette sur Hochhuth quant à ses vingt premières années. Quelles furent ses études) Son comportement pendant le régime national-socialiste (il était dans sa quinzième année quand le IIIe Reich s'effondra) ? Ce qu'il fit dans l'immédiat après-guerre, on l'ignore. On nous apprend que de 1951 à 1955, après avoir, peu de temps, suivi les cours d'une école sur les métiers de l'imprimerie, il occupe quelques places de commis de librairie dans trois villes allemandes et suit, comme auditeur libre, des cours aux universités de Heidelberg et Munich. Ce statut confirme ce que la plupart des commentateurs soutiennent, à savoir que Hochhuth n'obtint pas même l'équivalent allemand du baccalauréat, l'Abitur.

Conséquemment, il n'a aucun diplôme universitaire. Pendant les années 1955 à 1963, toujours selon les données succinctes de la DHM, Hochhuth serait «lecteur» chez l'éditeur Bertelsmann-Lesering, mais le vrai rôle qu'il y joue demeure obscur.

Pour Moscou, le pape et l'Eglise catholique doivent être abattus

En 1963, il a trente-Deux ans, Hochhuth se dit « auteur indépendant ». En fait il n'a encore rien écrit qui permette de déceler en lui un talent d'écrivain naissant. On pense qu'il poursuit alors un travail de documentation sur le national-socialisme entrepris des années auparavant. C'est celle année-là que paraît l'édition de sa tragédie Le Vicaire, qui allait le hisser à une subite notoriété internationale. Traduite en 27 langues, la pièce sera représentée dans un encore plus grand nombre de pays, notamment dans tous ceux de l'Est où elle était un spectacle incontournable (pour ne pas dire obligatoire, car elle fut représentée au moins une fois par an dans toutes les villes du bloc de l'Est disposant d'un théâtre...), mais elle sera, très curieusement, interdite de représentation en... Israël.

La controverse qu'elle suscite est mondiale. Découvrir que Pie XII, décédé en 1958, n'avait rien fait pour dénoncer les persécutions antisémites, voire qu'il les avait encouragées par son «silence», fut une douche froide pour le monde catholique qui continuait de vénérer la mémoire du souverain pontife, vénération partagée par les habiroux eux-mêmes.

En juin 2005, le bimensuel jésuite La Civiltà Cattolica - dont les textes sont systématiquement relus pour approbation par la Secrétairie d'État - publiait un article du père jésuite et historien Giovanni Sale, rappelant (ou pour mieux dire révélant) que la « légende noire » contre Pie XII avait été créée et lancée par Radio Moscou dès le 7 juin 1945. Cinq jours auparavant, le 2, en la fête de son saint patron Eugène, Pie XII, lors d'une allocution, avait mis en garde le « monde libre » contre les manœuvres de séduction de l'Empire soviétique. Radio Moscou déclarait : « Qui a entendu le discours du pape [...] a été extrêmement étonné d'apprendre que le Vatican, pendant les années de la domination d'Hitler en Europe, a agi avec courage et audace contre les délinquants nationaux-socialistes. En revanche, les faits et actions véritables du Vatican disent le contraire [...] Aucune des atrocités commises par les hommes d'Hitler n'a suscité le mépris et l'indignation du Vatican. Il s'est tu alors qu'œuvraient les machines de mort allemandes, quand fumaient les cheminées des fours crématoires [...], quand la doctrine hitlérienne d'élimination et d'extermination des nations et des peuples se transformaient en une dure réalité [...] Maintenant en revanche, le pape [remplit] son discours d'allusions contre l'Union soviétique et le communisme international pour provoquer des divergences et semer la méfiance parmi les alliés. »

La presse communiste internationale, mais aussi bien des organes du « monde libre », éternels « idiots utiles », accordèrent leurs violons au la donné par Moscou... Ce début d'une offensive médiatique - oubliée de nos jours - contre le Vatican allait se doubler d'un formidable effort d'infiltration de l'administration du Saint-Siège par le NKGB (qui deviendra le MGB en 1946 et sera incorporé au KGB créé en 1953). Le pape, premier résistant au communisme, était devenu l'homme à abattre et L'Eglise catholique, l'institution à subvertir avec des réussites incontestables - le noyautage du Russicum (le Collège pontifical russe) à Rome entre 1949 et 1953 - ou de piteux échecs - l'échec du montage contre le cardinal Jozsef Mindszenty, primat de Hongrie, en 1949.

Le transfuge roumain Pacepa balance la manip soviétique

En juillet 1978, le n°1 de la DIE (services secrets extérieurs de la Securitate roumaine), le général Ion Mihai Pacepa, passait à l'Ouest, et avec lui la révélation des coups fourrés du renseignement soviétique et des services «frères» et subordonnés des services d'espionnage du bloc de l'Est. Né en 1928 et entré dans la carrière en 1947, Pacepa était la mémoire vivante de l'organisation et des méthodes du renseignement de l'empire soviétique. « Une contribution considérable et sans équivalent », estima la CIA. il fut en effet le plus grand maître-espion jamais passé à l'Ouest.

Dans une longue, dense et remarquable étude parue le 25 janvier dernier dans la National Review américaine, Pacepa, qui avait d'ailleurs été en poste en Allemagne de l'Ouest à la fin des années 1950, apporte des révélations inédites sur une opération de «desinformatsiya» contre la mémoire de Pie XII par l'instrumentalisation de Rolf Hochhuth, montée par le général soviétique Ivan Agayants (1911-1968), premier chef du Département D (celui de la désinformation) du Premier directorat du KGB (renseignement et opérations à l'étranger).

Pacepa raconte qu'en 1963, Agayants (qui avait sévi sous couverture commerciale à Paris à la fin des années 1930 et y revint après-guerre) arrive à Bucarest pour remercier la DIE des bons résultats de son travail de subtilisation, de documents des archives du Saint-Siège sur Pie XII, un volet, confié aux Roumains, d'une plus vaste opération de dénigrement du pape défunt, montée par le général soviétique Aleksandr Sakharovsky, grand patron du Premier directorat du KGB, opération baptisée Siège-12 (Siège pour Saint-Siège et 12 pour Pie XIl). Agayants informe ses interlocuteurs roumains que l'opération Siège-12 va aboutir grâce à une pièce attaquant Pie XII, et titrée... Le Vicaire.

Hitler avait eu le projet de faire enlever Pie XII !

On annexera à l'édition de cette pièce toute une documentation «organisée» par les techniciens moscovites du Département D, grâce aux éléments fournis par les Roumains : ce sont, selon Pacepa, les Historische Streiflichter (les à-côtés historiques) qui figurent dans l'édition originale, et qui offrent une crédibilité apparente à une oeuvre dramatique qui en était essentiellement dépourvue.

La pièce sera mise en scène et produite par le célèbre homme de théâtre allemand, Erwin Piscator (1893-1966), un communiste notoire. Fondateur du « théâtre prolétarien », Piscator se réfugia à Moscou peu avant l'arrivée au pouvoir d'Hitler, puis vécut à Paris de 1936 à 1939 avant d'émigrer aux Etats-Unis, d'où il revint en 1962 pour «arranger», la pièce de Hochhuth, c'est-à-dire réduire à une durée raisonnable une tragédie qui aurait occupé la scène plus de huit heures dans la version de l'auteur, et sans doute contribuer à la réécriture d'une pièce mal ficelée et la remanier pour augmenter l'impression détestable de Pie XII ! A cet égard, ce fut une réussite, qui vérifiait le slogan alors en cours au KGB : « Les morts ne peuvent pas se défendre » ainsi que l'aphorisme sans cesse rappelé à Pacepa par Youri Andropov, le patron du KGB de 1967 à 1982 : « Les gens sont toujours plus disposés à croire aux cochonneries qu'à la sainteté. »

Le succès planétaire du Vicaire se maintint jusque vers milieu des années 1970, lorsque l'opinion publique internationale apprit que non seulement Pie XIl n'était pas le supposé ami et allié des nationaux-socialistes, comme cette pièce kgébiste entendait le démontrer, mais, que c'était un mythe : les dirigeants du IIIe Reich considéraient le pape comme leur pire ennemi, imaginant toute sorte d'opérations pour en venir à bout, y compris l'investissement de la Cité du Vatican et la réclusion de Pie XII (1943), voire son enlèvement, chose tellement énorme qu'on a du mal à y croire.

Monsieur Poutine, ouvrez les archives du KGB !

Ce projet fut pourtant révélé en janvier 2005 dans l'Awenire, le quotidien de l'épiscopat italien, citant un témoignage inédit et écrit du général Karl Friedrich Otto Wolff, Höchster SS und Polizei-Führer (chef suprême des SS) à Rome, à qui Hitler avait ordonné, en mai 1944, d'enlever Pie XII ! Non seulement Wolff n'obéit pas, mais il profita d'une audience pour en avertir le pape. Ce dernier, a-t-on appris l'an passé, prit l'affaire au sérieux et toutes dispositions pour que l'État du Vatican perdure si survenait ce cas inédit de sede vacant (de vacance du Saint-Siège)...

Pacepa rapporte une confidence que lui fit Andropov en 1974 : si Moscou avait connu, à l'époque de Siège-12, ces informations, on ne s'y serait jamais pris ainsi pour attenter à la réputation de Pie XII ! Un aveu qui permet de comprendre pourquoi la tentative de reprise de l'opération de calomnie essayée en 2002 par Costa-Gavras avec son film Amen, directement inspiré et adapté du Vicaire - et récompensé du César du meilleur scénario ! - est tombée à plat.

Pour l'heure, Hochhuth refuse de s'expliquer sur le fond de l'affaire révélée par Pacepa. Nous n'en saurons guère davantage tant que les archives du KGB ne seront pas ouvertes aux chercheurs et aux historiens : nous avons la clef de ce mystère mais sa serrure nous est interdite. Quant à l'auteur du Vicaire, trois hypothèses peuvent être avancées. La plus bénigne serait sa manipulation « à l'insu de son plein gré » comme disait l'autre mais c'est la moins probable : on l'imagine mal, sauf à considérer qu'on a affaire à un parfait imbécile - ce qui n'est pas le cas -, n'avoir rien subodoré pendant plus de 40 ans.

La seconde, qui est double, est que Hochhuth a participé consciemment et activement à une opération de désinformation du KGB, soit pour une raison de lucre (ses droits d'auteurs sont considérables et sa carrière littéraire et de dramaturge a été lancée par ce « coup de pouce », soit parce qu'il était idéologiquement philo-communiste et anti-catholique - encore que ces deux raisons peuvent n'en former qu'une seule... Dernière hypothèse : Hochhuth était un homme tenu par les services soviétiques, en raison de détails connus d'eux de sa vie passée ou privée, et qui dut, en raison du chantage exercé sur lui, se plier à la volonté soviétique de collaborer à son entreprise multiforme de désinformation contre Pie XII et de lutte à mort contre l'Église catholique.

Pas besoin d'être chiromancien pour comprendre que les révélations de Ion Mihaï Pacepa, qui a reconnu avoir « été lui-même impliqué dans la tentative délibérée du Kremlin pour salir le Vatican » connaîtront des rebondissements. Mais quand ?

Daniel Hamiche; Le Choc du Mois Mars 2007.

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