dimanche 22 août 2010

La Grande Guerre : Héros et canailles


Avril 1916. A Verdun, le temps est exécrable. De petites pluies glacées succèdent à des tourbillons de neige fine.
Jacques Péricard, dans Le Soldat de Verdun, décrit la « misère des veilles boueuses et froides aux premières lignes ; misère des relèves pendant lesquelles on transporte le double de son poids en boue ; misère des cantonnements où l’on continue de patauger, de grelotter, où l’on ne récupère aucune vigueur nouvelle pour la remontée en ligne... »
Et pourtant, combien cette vigueur nouvelle serait nécessaire !
Tous les jours, toutes les nuits. les hommes épuisés et glacés se battent. Pour un morceau de terrain, un bout de boyau, un mètre de tranchée.
Dans les communiqués, les noms viennent et reviennent comme une litanie sanglante : Mort-Homme, tranchée de Westphalie, tranchée Corse, Les Eparges, réduit d’Avrocourt.
Un jour, ce sont les Allemands qui en chassent les Français. Le lendemain, les poilus en extirpent les Prussiens. Le jour d’après, on recommence. Il y a quelque chose d’abominablement dérisoire dans ce va-et-vient mortel. Quelque chose qui, aujourd’hui encore, rend déchirante la lecture des communiqués.
La violence des combats est dantesque, les hommes sont littéralement hachés.
Dubourdieu et Lescaud, deux soldats du 90e régiment d’infanterie placés en liaison au Mort-Homme le jour du Vendredi Saint racontent : « De ce qui restait du commandant de la deuxième compagnie, le capitaine-abbé Milon, il n’y avait pas de quoi remplir un plat de campement. »
Au même endroit, exactement, huit jours plus tard, le 30 avril, le capitaine Duchenois assistera à la scène suivante alors que les hommes tentent de barrer un boyau au bout duquel se tiennent les Allemands : « Le premier grenadier qui arrive, un soldat magnifique, le Breton Le Poulain, est tué d’une balle dans la tête au moment où il pose le sac de terre. Un autre arrive, le regarde et dit : "J’y vais !" Il prend un second sac à terre, le remplit, le place sur le premier et tombe raide mort, frappé à la tête. Un troisième grenadier s’avance. Celui-là me regarde simplement, passe et tombe... Et ainsi sept braves, sept héros que personne ne connaît, ne connaîtra jamais. Cinq paysans bretons. un cultivateur de l’Oise et un ouvrier parisien affilié à la CGT se font tuer. Mais le barrage est construit. »
Voilà ce qu’on lit, la gorge serrée, à toutes les pages de tous les témoignages sur cette guerre. Et l’on se demande de quoi étaient faits les hommes de ce temps-là pour que nous semblions, nous autres, aussi médiocres et lâches à côté d’eux.
Eh bien, ils étaient faits de la même chair que nous. Ils étaient, comme nous, de misérables petits tas de péchés, de peurs et de misères que l’amour exaltait et jetait dans l’héroïsme pur.
La preuve. La preuve, c’est qu’à l’arrière d’autres hommes du même monde, du même âge et du même sang se conduisaient comme on se conduit aujourd’hui : en abominables canailles.
Exemple : le gang des exempteurs dont le procès emplit les gazettes. Il y a, dans le box des accusés, cinquante inculpés : un politicien, un médecin, un dentiste, des gens de l’Etat-major, des rabatteurs et leurs clients.
Moyennant finances, la bande faisait obtenir, à ceux qui payaient assez, les certificats de réforme qui leur épargnaient les souffrances du front.
C’est une véritable industrie qui bénéficie de complicités jusqu’à la Chambre et à l’Etat-major. Et qui rapporte ! Le coût d’un dossier de fausse réforme est, en 1916, de quarante mille francs.
C’est cinq cent mille francs d’aujourd’hui. Cinquante millions de centimes.
Ce procès, qui mobilise magistrats et avocats pendant que la bataille de la Meuse mobilise les poilus, est sans doute l’un des épisodes les plus répugnants de cette troisième année de guerre.
Mais l’affaire est si énorme et si stupéfiante, les personnages en sont si... typés et pittoresques, que nous y reviendrons la décade prochaine.

Aucun commentaire: