jeudi 23 septembre 2010

La Russie médiévale (1/2) Le temps des princes

Ce sont des Vikings, les Varègues, qui ont rassemblé au IXe siècle les populations slaves autour de Kiev dans le cadre du premier Etat russe, la Kiévie. Un Etat presque constamment affaibli par les luttes internes et par les menaces extérieures. Mais un Etat qui a trouvé sa cohésion dans la religion orthodoxe, à laquelle s’est converti Vladimir en 988.

La Russie médiévale s’étend, au nord, du golfe de la Baltique et du lac Ladoga, au sud, jusqu’aux rives nord-ouest de la mer Noire. [1] C’est ce territoire au climat rude qu’occupaient les Slaves orientaux, divisés en tribus, à partir du VIe siècle. Ils vivaient principalement de l’agriculture et s’étaient constitués de petits centres d’échanges qui étaient autant d’embryons de villes. Voisins de l’empire byzantin au sud, ils étaient considérés, par celui-ci, comme des barbares. Leur langue est à l’origine des langues slaves actuelles, notamment le russe, le serbe, le polonais ou encore le tchèque. Elle est écrite à l’aide des alphabets glagolitique et cyrillique, tous deux adaptés de l’alphabet grec. C’est en cyrillique qu’écrivent encore de nos jours les Russes.

La principauté de Kiev, le premier Etat russe
À partir des VIIIe et IXe siècles, ces populations slaves subissent l’influence des Varègues, des marchands et guerriers vikings. En effet, les cours d’eau, nombreux, notamment la Volga, le Dniepr et le Don, sont utilisés, dès le VIIIe siècle, par ces Normands qui traversent le continent pour commercer avec les Byzantins et les Arabes. De cette manière, les Normands s’imposèrent comme chefs militaires dans les tribus slaves et s’installent en maîtres dans les principales villes, telles que Novgorod et Kiev. La Chronique russe originelle, rédigée au XIIe siècle, imagine même un « appel aux Varègues » des Slaves en 862, qui est ainsi formulé : « Notre pays est riche et immense, mais il est en proie au désordre. Venez gouverner et régner chez nous. » [2] En réalité, il existait déjà, chez les Slaves, des confédérations de tribus, des villes et des systèmes d’organisation élaborés.
Mais toujours est-il qu’à la fin du IXe siècle, une dynastie scandinave s’établit à Kiev et y fonde le premier Etat russe, d’où le nom donné à celui-ci de Kiévie ou principauté de Kiev. C’est l’embryon de ce que sera la Russie dans les siècles à venir. Cette dynastie des Rurikides tire son nom de son ancêtre mythique, Rurik. Ce nouvel Etat est un domaine familial dans la mesure où chacun des fils du souverain reçoit une part de l’héritage sur lequel il règne. Évidemment, à la mort du prince, il est courant que l’Etat soit déchiré par des luttes fratricides pour la succession. Et ce qui affaiblit encore la Kiévie, ce sont les invasions auxquelles elle doit faire face, celles des Petchénègues et des Khazars, venus d’Asie centrale, celles des Vikings venus du Nord, ainsi que les affrontements avec l’empire byzantin au sud. D’ailleurs, Sviatoslav, petit-fils du prince Oleg, qui règne de 879 à 912, est tué en 972, par des Petchenègues qui lui avaient tendu une embuscade.
Deux princes sont parvenus à instaurer une unité solide à la principauté de Kiev, en éliminant leurs rivaux : Vladimir, qui règne de 980 à 1015, et Jaroslav le Sage (1019-1054). Ce dernier noue avec les autres Etats d’Europe des relations diplomatiques scellées par des mariages. C’est ainsi, par exemple, que sa fille Anne épouse le roi de France Henri Ier en 1051. Mais après la mort de Jaroslav, de nouveau la Kiévie est secouée par les guerres entre frères et cousins. Le morcellement du territoire s’accentue avec l’émergence de petites principautés héréditaires qui, à leur tour, sont partagées à chaque génération. Cependant, à Novgorod, ce sont les hommes libres qui choisissent, parmi les différentes branches rurikides, le prince qui les gouvernera. Il est chargé par ceux-ci de défendre ce carrefour commercial important entre la Baltique et le sud de la Russie.
En 1196, le prince de Rostov-Souzdal, André de Bogolioubovo, prend Kiev – la « mère des villes russes » – et la pille. Kiev devient dès lors un centre secondaire. Elle n’a pas le temps de retrouver son ancienne prospérité : elle est prise et détruite par les Mongols en 1240 tandis que, à l’ouest, l’ordre Teutonique conquiert des territoires correspondant à la Prusse et aux pays baltes.

La religion orthodoxe : facteur d’unité
L’un des événements les plus importants des premiers siècles de l’histoire russe se situe en 988 : c’est la conversion du prince Vladimir, qui sera surnommé « le Saint », au christianisme orthodoxe. En fait, à cette date, le christianisme concurrençait déjà le paganisme.
À l’origine, les populations slaves adoraient une multitude de dieux qu’ils représentaient sous des traits humains. Chaque divinité avait son domaine de compétence : Iarilo était le Soleil, Volos le dieu des bestiaux… Selon les croyances slaves, les lieux étaient habités par des esprits, bénéfiques ou maléfiques, comme le domovoï, dieu du foyer, ou le beregovoï, celui de la rive. Au IXe siècle, les évêques de Salonique Cyrille et Méthode, sont envoyés depuis Byzance évangéliser les Slaves. Ce sont leurs disciples qui mettront au point l’alphabet cyrillique… Aux IXe et Xe siècles, le christianisme progresse parmi les Russes, si bien que les sources distinguent les Russe chrétiens des Russes païens.
Mais les progrès de la religion chrétienne ne s’expliquent pas seulement par les missions envoyés par les Occidentaux ou les Byzantins. Nous l’avons noté, l’Etat kiévien est aux prises avec les luttes fratricides qui l’affaiblissent et morcellent son territoire. Vladimir a donc eu l’idée d’instaurer une religion qui permette de donner une cohésion idéologique à son Etat. C’est pourquoi il met d’abord en place le culte public organisé autour d’un panthéon, ou même d’un dieu unique, Peroun, divinité de la foudre et du tonnerre. Mais c’est un culte éphémère. Pour se rapprocher de Byzance, il se convertit au christianisme orthodoxe en 988. Il oblige son peuple à faire de même et à se faire baptiser dans les eaux du Dniepr. Cette conversion est une décision éminemment politique. En effet, dans la foulée de son baptême, Vladimir reçoit un clergé appelé à diriger la nouvelle Eglise, un clergé autonome vis-à-vis de Byzance, ayant autorité sur les fidèles, très hiérarchisé. Ainsi, la Kiévie, par sa religion nationale, reçoit un facteur important d’unité et de soumission au pouvoir.

L’« âge d’or » : le XIe siècle
Si, du IXe au XIIIe siècles la principauté de Kiev a été baignée dans un climat de guerres et de violences, cela ne l’a pas empêché de développer une activité économique. L’économie kiévienne est principalement agricole. Le grand prince de Kiev est le propriétaire éminent de la terre. Il est entouré de ses boyards, ses amis et compagnons d’armes qui composent une force armée, la droujina, que le grand prince doit entretenir. Pour fidéliser ses boyards, le grand prince décide de les doter de domaines fonciers et forestiers. C’est aussi un moyen de percevoir un tribut des paysans qui travaillent la terre. Au Moyen Age, les paysans russes sont, dans leur écrasante majorité, libres. Mais la pression fiscale, l’endettement lié aux guerres incessantes qui doivent être financées, et l’arbitraire des boyards qui possèdent la force armée font évoluer la condition des paysans petit à petit vers le servage, qui sera légalisé en 1649.
Cependant, les princes tirent aussi une part de leurs revenus des villes, qui sont fortifiées par un kremlin. Elles sont nombreuses : on en compte environ 300 au moment de l’invasion mongole. Les plus importantes sont Kiev, Novgorod, Pskov. Depuis Kiev, les Russes exportent à Byzance des esclaves, de la cire et des fourrures.
Les revenus des princes, des boyards et de l’Eglise ont permis de financer la construction de nombreux monuments religieux réalisés par des architectes grecs. La plupart datent du XIe siècle, période de l’« âge d’or » de la principauté de Kiev. Pour ne prendre qu’un seul exemple, mentionnons l’église Sainte-Sophie de Kiev, érigée à la demande de Jaroslav sur le modèle de Sainte-Sophie de Constantinople. Achevée vers 1046, elle compte cinq nefs, chacune prolongée par une abside. Sur trois côtés, elle est entourée d’un péristyle, c’est-à-dire d’une galerie à colonnade. Douze petites coupoles entourent une treizième plus grande : ces dômes rappellent ainsi le Christ entouré des douze apôtres. L’intérieur de la cathédrale est décoré de mosaïques et de fresques dont l’une d’elles représente Jaroslav en compagnie de sa famille. Au XIIe siècle, des villes de la Russie centrale connaissent un essor comparable à celui de Kiev et voient aussi la construction d’édifices religieux.
Ainsi, la période qui court de la fin du IXe au début du XIIIe siècle a vu l’émergence et l’essor du premier Etat russe indépendant, malgré les conflits nombreux qui l’ont déchiré. Surtout, la conversion au christianisme orthodoxe a donné à la Russie une unité forte, à tel point qu’elle est l’un des piliers de l’identité russe. Cet Etat kiévien perd son indépendance avec l’invasion de peuples d’Asie centrale au XIIIe siècle qui ouvre une nouvelle période, celle de la domination mongole.
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Aller plus loin :
ARRIGNON, Jean-Pierre, La Russie médiévale, Paris, Belles Lettres, « Guide des civilisations », 2003.
CHANNON, John, Atlas historique de la Russie. Puissance et instabilité d’un empire européen, asiatique et arctique, Paris, Autrement, 1995.
ECK, Alexandre, Le Moyen Âge russe, Paris, Maison du livre étranger, 1933.
FERRO, Marc et MANDRILLON, Marie-Hélène (dir.), Russie, peuples et civilisations, Paris, La Découverte, 2005.
HELLER, Michel, Histoire de la Russie et de son empire, Paris, Flammarion, 1999.
KLUTCHEVSKI, B., Histoire de Russie, tome I Des origines au XIVe siècle, traduit par Constantin Andronikof, Paris, Gallimard,1956.
KONDRATIEVA, Tamara, La Russie ancienne, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1996.
VODOFF, Vladimir, Princes et principautés russes, Xe-XVIIe siècle, Northampton, Variorum Reprints, 1989.

[1] Cf. les cartes illustrant La formation du territoire russe.
[2] Cité par COHAT, Yves, Les Vikings. Rois des mers, Paris, Gallimard, « Découvertes », p. 62.

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