mardi 19 octobre 2010

La Guerre Chimique (1915-1918)

Sous titrée « Gaz ! Gaz ! Gaz ! », une exposition est présentée à l'Historial de Péronne jusqu'au 14 novembre 2010 (1). Dans une salle à part sont exposés 150 objets, œuvres et documents d'origine venus surtout des collections de l'Historial de la Grande Guerre et traitant des gaz de combat utilisés de 1915 à 1918. Pour ceux qui veulent plus d'informations on peut lire un ouvrage intéressant (2), riche en illustrations, rédigé par des universitaires, détaillant les différents aspects de cette guerre des gaz comme les rapports avec le droit international, les populations civiles et militaires, le traitement médical des gazés (pénible), la mort par les gaz, la mémoire et l'oubli.

L'ARME SUPRÊME ?

Les gaz furent utilisés pour la première fois par les Allemands en avril 1915 à Langemarck proche d'Ypres en Belgique. Le retentissement fut considérable. Sur le terrain, des régiments surpris et paniqués refluèrent et une indignation mondiale dénonça la « barbarie boche » utilisant de telles méthodes. Mais très vite l'Angleterre, dès 1915 et la France en 1916 ripostèrent en fabriquant et en usant des gaz de combat et en trouvant des moyens de protéger leurs soldats. Comme ces affreux (sur le plan esthétique) masques et des combinaisons étanches. Les gaz furent plusieurs fois employés des deux côtés jusqu'à la fin de la guerre. La dernière grande tentative fut allemande sur le Chemin des Dames en 1918. Mais les gaz ne furent pas « l'Arme suprême » qui aurait mené à la victoire. Les fronts (et les hommes) ont tenu bon et les pertes humaines dues aux gaz furent moins élevées que celles engendrées par les autre moyens de combat comme l'artillerie. Les historiens estiment le gaz responsable de 0,2 % des pertes françaises mais parfois plus par endroits. Et moins de 0,5 % de tous les morts sur le front occidental de 1914 à 1918. Le bilan est d'ailleurs difficile à établir parce que d'une part une censure implacable sévit de 1915 à 1918 pour cacher ces morts dues à l'emploi du gaz et d'autre part ensuite il y eut bien des gazés qui décédèrent et il y eut aussi de nombreux morts parmi le personnel des usines de fabrication à cause des fuites.

L'ENNEMI INTIME

N'empêche, et ce fut là le paradoxe, dans la mémoire des combattants et des opinions civiles, les gaz vont rester comme l'aspect le plus horrible de la Grande Guerre. Plus que les lance-flammes, les mitrailleuses, les mines, les combats au corps à corps. Stéphane Audoin Rouzeau explique pourquoi le gaz c'est l'ennemi intime. Il vous enveloppe d'un brouillard jaune, il ne fait pas de bruit mais il est de plus en plus perfectionné (après les gaz suffocants, il y eut les gaz vésicants, l'ypérite), il s'insinue dans le corps, vous étouffe, vous brûle, vous attaque le visage. Comme en témoignent les photos qui frappèrent l'imagination de combattants aveugles se déplaçant à la queue leu leu, se tenant par l'épaule. Le gaz, c'est la mort sans le sang, « une transgression anthropologique ».

Dans la mémoire collective entre 1918 et 1939, la hantise des gaz pesa dans les réunions internationale à Genève et l'on se battit pour interdire les gaz dans les guerres futures. Mais il n'y eut jamais d'unanimité sur le sujet. Les gaz furent utilisés par l'armée française dans la guerre du Rif en 1925, dans la guerre d'Abyssinie par les Italiens en 1934-1935, par les Japonais en Chine dans les années 1930. En 1939 on craignit beaucoup les gaz et on distribua massivement aux populations civiles des masques qui suscitaient l'effroi ou l'ironie des caricaturistes. Vaine crainte puisqu'ils ne furent pas utilisés sur le plan militaire entre 1939 et 1945. Mais ailleurs. Après on les voit ressurgir dans différents conflits. Comme au Vietnam, dans la très meurtrière guerre entre l'Irak et l'Iran. En Algérie aussi (surtout en Kabylie) par une brigade spécialisée traitant les grottes refuges des fellaghas. Il y a cependant une convention anti-gaz avec destruction des stocks signée en 1993 et en vigueur depuis 1997. Mais elle n'a pas été signée par Israël, la Corée du Nord, la Syrie, la Chine, l'Iran et d'autres pays sont suspectés de détenir des armes chimiques. Sans négliger d'autres menaces. En 1995 un groupe terroriste utilisa un gaz meurtrier dans le métro de Tokyo. Pour l'instant un acte unique.

UNE AFFAIRE ALLEMANDE ?

C'est le titre d'un paragraphe de l'article d'Annette Becker (fille d'Annie Kriegel) sur les gaz « rumeur, mémoire et oubli ». Après 1918, il y eut en Allemagne des polémiques sur la responsabilité de l'armée germanique (elle avait tiré la première). Jünger en parle dans son livre « la mobilisation totale » critiqué par Walter Benjamin qui dénonça « le fascisme allemand ». Plus curieux, Annette Becker a relevé dans Mein Kampf (publié en France en 1995 par les Nouvelles Editions Latines) des lignes étranges. Hitler fut, on le sait, gazé légèrement avant la fin du conflit en 1918. Il écrit : « Si l'on avait au début et au cours de la guerre tenu une seule fois douze ou quinze mille Hébreux (sic) corrupteurs du peuple sous les gaz empoisonnés que des centaines de milliers de nos meilleurs travailleurs allemands de toute origine et de toutes professions ont dû endurer au front, le sacrifice de millions d'hommes n'eût pas été vain. ». Annette Becker y voit dès 1924 « deux obsessions, celle de la trahison juive et celle des gaz ».

Mais Hitler savait-il que c'est un ingénieur allemand Fritz Haber, Prix Nobel de chimie, travaillant avant 1914 pour la firme Leibig qui fut à l'origine de la guerre des gaz ? Et en supporta l'opprobre universelle et même en Allemagne dans les années 1920-1930. D'autant qu'il avait témoigné pendant la guerre de convictions nationalistes. Or Fritz Haber auquel l'Historial a consacré une exposition ce dernier printemps était un juif converti au protestantisme. En 1933, après la prise du pouvoir par Hitler il refusa d'aryaniser le personnel de son institut, gagna la Suisse et mourut plus tard d'une crise cardiaque. Son fils Hemann Haber s'était installé en France en 1929 et ne voulut pas revenir en Allemagne en 1933. Il demanda la nationalité française à plusieurs reprises, y compris sous le Front populaire. Elle lui fut constamment refusée. Pesait sur lui « une culpabilité héréditaire ». Il réussit avec sa famille à gagner les États-Unis en 1941. Il s'y serait suicidé en 1947. À des années de distance, imitant sa mère qui avait fait de même pendant la Grande Guerre. Parce qu'elle aurait désapprouvé son mari ? Annette Becker conclut : « Jamais rien n'a pu être prouvé sur ce point »…

Jean-Paul ANGELELLI. Rivarol du 30 juillet au 2 septembre 2010

(1) Château de Péronne. BP 20063 - 80201 Péronne Cedex. Tél.: 03-22-83-14-18. < info@hisrorial.org >. À noter une exposition annexe sur Pierre Mac Orlan, né à Péronne en 1882, blessé en 1916 lors de la bataille de la Somme.

(2) Gaz ! Gaz ! Gaz ! La guerre chimique 1914-1918. 112 pages. 31,80 euros. Editions 5 continents. Commandes à Historial de la Grande Guerre.

1 commentaire:

Paul-Emic a dit…

des gaz en Kabylie pendant la guerre d'Algérie ? Quelles sont vos sources ?
Par contre l'enfumage des grottes pendant la conquête de la même Algérie au XIX ème c'est avéré. N'y aurait-il pas confusion d'époque ?