mardi 26 octobre 2010

Voltaire sans la légende

Voltaire, l'écrivain engagé, le militant des Lumières, le symbole européen du Parti philosophique nous laisse un message caché, heureusement décrypté par Xavier Martin. On pourrait le transcrire ici en clair : Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais...

Xavier Martin, spécialiste mondialement reconnu de l'histoire du Code civil et qui a consacré un grand livre au sujet, à l'occasion du deuxième centenaire de la rédaction de notre grande charte juridique, est à la fois historien du droit et historien des idées. Sa spécialité ? La pensée du XVIIIe siècle. Après Nature et Révolution française, après L'homme des droits de l'homme et sa compagne, voici, plus concret peut-être, plus immédiatement vérifiable, un détonnant Voltaire méconnu.

Avec Voltaire, un Français est forcément un peu dans la légende dorée. Ne parle-t-on pas du siècle de Voltaire ? Ne donne-t-on pas en exemple jusqu'aujourd'hui son engagement de publiciste, face aux étroitesses des juristes de son temps, que ce soit dans l'affaire Calas (Jean, protestant, payant la mort de son fils Marc-Antoine qu'il aurait empêché de se convertir au catholicisme) ou dans le procès du Chevalier de La Barre, condamné au supplice pour blasphème au Saint Sacrement, parce qu'il aurait refusé de se découvrir lors d'une Procession religieuse ? Est-ce le syndrome de l'Affaire Dreyfus ? Le cocktail politico-religieux est au rendez-vous. Il va contribuer à une véritable héroïsation de Voltaire. Ainsi Michelet écrit-il un siècle plus tard : « Voltaire est celui qui souffre, celui qui a pris sur lui toutes les douleurs des hommes, qui ressent, poursuit toute iniquité. Tout ce que le fanatisme et la tyrannie ont jamais fait de mal au monde, c'est à Voltaire qu'ils l'ont fait ».

Le Patriarche de Ferney aurait sans doute bien ri de ce portrait de lui en héros chrétien, prenant sur ses épaules tout le mal du monde. Mais les universitaires d'aujourd'hui (en l'occurrence ici Raymond Trousson, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, qui cite ce texte avec admiration), continuent à prendre (et à faire prendre) pour argent comptant la légende dorée, imaginée par Michelet.

C'est une tout autre image que nous donne Xavier Martin, dans son Voltaire méconnu. On ne se fatigue pas de relire avec lui les correspondances de l'époque, où notre héros, en toute occasion, laisse percer son mépris du genre humain, sa détestation des Français (qu'il nomme les Welches, sans doute parce qu'ainsi il les traite de Belges), son horreur pour les Arabes en général (Gare aux odeurs, dirait Chirac qui le citait sans le savoir !), et son obsession antisémite, qui nécessite aujourd'hui une édition expurgée de son fameux Dictionnaire philosophique... Ce n'est pas tout! Ce grand défenseur des droits de l'homme a été capable à plusieurs reprises de réclamer au Roi des lettres de cachet pour embastiller ceux qui avaient eu le malheur de le critiquer et qu'il voulait ainsi bannir de la Littérature elle-même. Contrairement à une idée reçue, le patriarche de Ferney n'est pas un contempteur de la Monarchie, il pose au contraire en ardent thuriféraire. Les pensions qu'il perçoit du pouvoir et les faveurs qu'il reçoit du ministre Malesherbes (futur avocat de Louis XVI) valent bien l'encens qu'il brûle ostensiblement en l'honneur du siècle de Louis XIV ... Quant à sa "philosophie", elle se situe à peu près au niveau de celle de Madame Michu, répétant sentencieusement : « Il n' y a pas de mal à se faire du bien ». C'est ce que Michel Onfray appelle aujourd'hui un art de jouir. De l'art ou du cochon ? Avec Voltaire, c'est selon...

Joël Prieur Minute du 6 décembre 2006

Xavier Martin, Voltaire méconnu, éd. DMM, sept. 2006, 252 pp, 30,00 euros port compris.
Sur commande à : Minute 15 rue d'Estrées, 75007 Paris.

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