samedi 6 novembre 2010

Bismarck et l’Afrique (1)

En trente ans, de 1884 à 1914, l’Allemagne constitua et perdit son empire africain. A la déclaration de guerre du mois d’août 1914, le drapeau du Reich flottait au Togo, au Cameroun, au Sud-ouest africain et en Afrique orientale (Tanganyika, Ruanda et Urundi).

Jusqu’en 1884, les priorités allemandes furent européennes. Avant 1870, afin de réaliser l’unité ; après la proclamation de l’Empire, afin de consolider ce dernier. A partir de 1890, année où Bismarck abandonna la chancellerie, l’Allemagne chercha à combler son retard sur les grandes puissances coloniales. Tournant alors résolument le dos aux principes bismarckiens en ce domaine, elle bouscula le jeu diplomatique, provoquant des tensions à la faveur desquelles elle réussit à élargir son domaine, s’imposant enfin comme puissance coloniale.

La première doctrine de Bismarck en matière coloniale fut résumée par une phrase abrupte : « Nous autres, Allemands, nous n’avons pas besoin de colonies. » Cette affirmation tranchait singulièrement avec la volonté impérialiste manifestée au même moment en Grande-Bretagne et en France.

Bismarck pensait que l’État allemand devait se tenir à l’écart du mouvement colonial mais que rien n’interdisait cependant aux firmes commerciales germaniques de se lancer dans des entreprises ultra-marines.

En 1868, avant la réalisation de l’unité allemande, quand des négociants d’Allemagne du Nord avaient proposé au roi de Prusse d’acquérir des territoires libres en Afrique orientale et dans l’actuel Mozambique, la réponse de Bismarck, alors chancelier de Prusse, avait été nette :

« Je pense que la Confédération ne doit pas s’engager dans des entreprises coloniales, celles-ci devant être l’oeuvre exclusivement de l’initiative privée. » (Lettre du 9 janvier 1868 au ministre de la Marine, Roon.)

Après 1871, Bismarck suivit la même ligne politique : pour lui, la constitution d’un empire colonial présentait trois inconvénients principaux :

1 - celui d’affaiblir l’Allemagne en détournant vers l’Afrique une partie des énergies nationales au moment où le Reich avait, en Europe même, besoin de tous ses fils ;

2 - celui de gaspiller les ressources de l’État ou même des particuliers dans une entreprise au devenir douteux ;

3 - celui, enfin, de créer des conflits diplomatiques avec la France et la Grande-Bretagne qui considéraient le continent noir comme leur chasse gardée.

Allant plus loin qu’un simple refus d’engagement outre-mer, Bismarck définit la doctrine qui sera celle de l’Allemagne durant une douzaine d’années. Elle tient en trois points principaux :

1 - Le gouvernement allemand n’a pas pour objectif de planter son drapeau sur une poussière de possessions dispersées et indéfendables.

2 - L’Allemagne annonce officiellement qu’elle ne nourrit aucune ambition territoriale coloniale. Dans ces conditions, les puissances concernées ne doivent pas voir dans les dynamiques commerçants allemands, qui parcourent les Afriques déjà partagées, les représentants d’un quelconque impérialisme colonial germanique.

3 - En revanche, l’Allemagne affirme que son seul objectif impérialiste est d’ordre commercial ; il est donc d’une tout autre nature que celui de la France ou de la Grande-Bretagne, qui cherchent à acquérir un maximum de territoires coloniaux.

La position de Bismarck n’était ni viable, ni réaliste car ces deux dernières puissances, qui subissaient des contraintes de souveraineté dans leurs empires respectifs, ne pouvaient accepter sans réagir que la méthodique et agressive politique commerciale allemande s’y exerce à leurs dépens.

C’était, en effet, grâce aux infrastructures, aux fonctionnaires, aux soldats britanniques ou français que les commerçants de Brême ou de Hambourg pouvaient créer et développer leurs affaires.

Ils n’allaient pas pouvoir conserver éternellement cette attitude de “profiteurs”.

A cette opposition extérieure s’ajouta bientôt celle des milieux économiques allemands qui trouvaient des échos de plus en plus attentifs quand ils affirmaient que l’Allemagne perdait de sa substance par l’émigration et par les investissements qui se faisaient ailleurs que dans des territoires allemands. En 1878 déjà, un journaliste avait écrit : « Il s’agit de savoir si l’Allemagne va se décider à faire autre chose en Afrique que d’y envoyer des missions scientifiques et d’y semer les ossements de ses explorateurs (…) ». (à suivre)

par Bernard Lugan http://www.france-courtoise.info

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