dimanche 2 janvier 2011

Henri IV

En cette fin d'année certains s'étonneront peut-être que le 400e anniversaire de la mort d’Henri IV ait donné lieu à si peu de commémorations. Le roi réconciliateur, celui dont la mémoire populaire a conservé le meilleur souvenir, semble intéresser bien peu de monde. Il compte beaucoup moins que les figures et les agents de division. Citons tout de même, par ci par là, les festivités organisées par la ville de Chartres. Recommandons au besoin le livre d'un homme politique atypique paru en 1995. (1) Les royalistes se féliciteront enfin, en ce millésime, des heureux événements survenus dans la lignée du Béarnais. (2)
I
Dans ma jeunesse nul ne doutait que les séquelles de la terrible division des Français de la génération précédente, – celle qui s'était entre–tuée entre 1940 et 1945, – seraient surmontées. Cela viendrait naturellement, pensait-on, quand le dernier résistant serait enterré avec le dernier collaborationniste. Espoir déçu. Au contraire on remarque d'année en année les progrès des récits les plus manichéens.
La seconde guerre mondiale présente sur beaucoup d'autres événements des différences notables. Outre ses horreurs indicibles, et la masse énorme de ses victimes, elle permet aussi aux professionnels de la Mémoire de relayer constamment les anniversaires. La 65e commémoration de la victoire soviétique (9 mai 1945 + 65 ans = 2010) chevauche pratiquement la 70e évocation de l'armistice (22 juin 1940 + 70 ans = 2010) sans parler du fait que la guerre européenne a commencé en Pologne (1939) et son homologue extrême orientale en Mandchourie (1938). De la sorte pour qui souhaite raviver les flammes tous les 10 ans, voire tous les 5 ans, il ne se passe pas de mois sans qu'une occasion ramène de l'eau à la noria.
Une petite couche de guerre d'Espagne peut aussi rendre des services, à condition d'être pilotée de manière politiquement correcte. Cela va sans dire.
Aux derniers jours de cette année 2010, où je couche ces lignes sur le papier, on aurait pu ainsi souligner que 70 ans plus tôt la chambre du Front populaire avait voté les pleins pouvoirs. Avec seulement 80 voix contre, elle s'était abandonnée au gouvernement. Celui-ci était présidé par celui que Léon Blum appelait auparavant le “maréchal républicain”.
Dans son irremplaçable série des “Responsabilités des dynasties bourgeoises”, Beau de Loménie consacre les principaux développements de son tome V à ces tragiques circonstances. On doit préciser au besoin que la publication du premier volume de cette histoire non-conformiste de la France contemporaine, date de 1943. Son auteur se proposait explicitement de réfuter les thèses alors en vogue. Une idéologie plus ou moins maurrassienne, plus ou moins technocratique, on la disait alors “synarchique”, s'était installée dans les couloirs de l'Hôtel du Parc à Vichy. Selon son discours, la défaite de 1940 aurait essentiellement résulté du fait que “l'esprit de jouissance l'avait emporté sur l'esprit de sacrifice”.
La phrase n'avait-elle pas été prononcée par le vieux chef appelé par la catastrophe, en juin 1940. Il avait convaincu sur le moment l'immense majorité des Français d'accepter l'armistice, comme un moindre mal, en comparaison de ce qu'eût permis au vainqueur une capitulation en rase campagne. On sait que le principal rédacteur de ses discours s'appelait Emmanuel Berl, brillant pamphlétaire de droite. À la faveur de ce propos une certaine rhétorique prétendait ne charger l'accusation qu'à l'encontre de la gauche.
Or c'est bien à cette thèse que Beau de Loménie entendait répondre.
Les idées, les slogans de la gauche n'avait nullement bénéficié depuis 1918, du monopole de l'influence, et donc des nuisances, des frivolités et des accaparements ayant causé la décadence du pays. Le gros argent monopoliste avait, lui aussi, contribué à l'effondrement. Les grands habiles, tout en manipulant le centre gauche, avaient constamment servi, depuis deux siècles, les intérêts de la bourgeoisie “dynastique”. Celle-ci était issue de l'appropriation de biens nationaux sous la Terreur. Elle avait bénéficié de sa consolidation sous le Consulat, et grâce au Code civil. À remarquer par exemple l'analyse très fine, que l'auteur publiera dans le 3e volume, des conséquences funestes de la guerre 1914-1918 et du traité de Versailles.
Or, les appareils antagonistes, aussi bien ceux des partisans de la révolution nationale vichyssoise, que ceux des staliniens lovés au sein de la résistance à partir de 1941, et qui la transformèrent en guerre civile franco-française à partir de 1943, ne pouvaient s'intéresser à de tels travaux.
L'idée d'une véritable réconciliation, et d'une reconstruction du pays dans un cadre de Liberté déplaisait, et déplaît encore, aux prédateurs nourris d'étatisme.
II
Une intéressante exposition au château de Blois m'a, d'ailleurs, protégé d'une tentation : celle d'entrer, en août dernier dans le cycle des éphémérides en traitant à date fixe du 70e anniversaire de la fin de la IIIe république.
On ne peut pas aborder en effet un tel épisode récent de l'histoire de France sans plonger plus avant dans le passé des déchirements séculaires de ce pays.
Quand on a prétendu les surmonter par la voie autoritaire, on doit se demander si véritablement les cicatrices mêmes les plus anciennes ont été refermées. Il suffira de visiter Monségur, pour savoir qu'un certain Midi occitan, cathare et aujourd'hui laïque continue de se penser en descendants des victimes du champ des Cramats ou du sac de Béziers.
Idem pour la Saint-Barthélémy où depuis 1572 un certain monde protestant français s'identifie orgueilleusement à l'amiral de Coligny.
Et, quoique je ne côtoie guère leurs homologues issus de la Sainte Ligue, je ne doute pas que d'autres s'arc-boutent à leur manière sur le souvenir d'Henri le Balafré duc de Guise dont, selon moi, les quarante-cinq gentilshommes au service du roi débarrassèrent symétriquement et heureusement le royaume en décembre 1588.
Comme vous le voyez, tout en faisant profession de patriotisme réconciliateur, le rédacteur de ces lignes n'hésite pas, dans la présentation des faits à exprimer ses préférences pour tel parti : en l'occurrence le parti royal et national, car il me semble qu'il fallait faire face aux extrêmes respectifs.
Le pouvoir du Prince devait sans doute s'opposer à la Réforme iconoclaste. Celle-ci incendiait les églises et détruisait les madones. Un tableau d'anonyme flamand représente ainsi une scène particulièrement suggestive. Exposée cet été à Blois, cette œuvre remarquable appartient aux collections permanentes du musée de Douai. Un Turc, un Gueux et un prédicateur de la forêt y viennent briser une représentation de l'Adoration des Mages laissant derrière eux les traces de leur furie, une église en ruines.
De l'autre côté, le pays devait se débarrasser de la Ligue. Ce contre-pouvoir, non moins fanatique, s'était constitué autour de 1584. Il prétendait défendre la foi catholique, très majoritaire à Paris. Mais cela le conduira à exprimer son fanatisme de l'atroce manière que représente la Saint-Barthélemy.
Or, de tels partis se sont perpétué dans toute l'histoire de France, y compris hélas dans les malheurs du XXe siècle, dans les contresens et les malentendus sanglants. Il faudrait un livre entier pour en retrouver la trace.
III
Le film de Bertrand Tavernier consacré à la “Princesse de Montpensier” ne se substitue pas à ce travail. Mais il occasionne, pour peu qu'on décide de l'aborder avec bonne humeur, pas mal de petits bonheurs.
Évacuons d'emblée les grincheriez, légitimes quoique secondaires. Acceptons de minimiser ainsi les défauts de direction d'artistes, le mélange anachronique, de ci de là, d'accents plébéiens et de récitations maladroites des textes. Le réalisateur vient de très loin et sa caque sentira toujours le hareng. La figure de Catherine de Médicis n'est pas arrangée, on le regrettera. Le pâlot Charles IX n'apparaît jamais. Et Madame de La Fayette est presque trop servilement suivie.
Ne nous attardons pas non plus au splendide dépliant touristique consacré à la Touraine, au château de Blois dont le spectateur pourra découvrir la partie Renaissance.
Insistons donc surtout sur la dimension historique. Peut-être sans le vouloir, le film réhabilite le futur Henri III, alors duc d'Anjou. Il situe de façon assez exacte la réalité des Guise “toujours odieux” et particulièrement celle d'Henri le Balafré. Cela est mené de façon plaisante, à partir du regard féminin de la première romancière de la littérature française. On y redécouvre d'ailleurs une condition archaïque de la femme qui malgré tout, n'arrive pas à la cheville de l'islamisme moderne.
L'horreur absolue des guerres de religion y apparaît dans toute sa sanglante crudité. La nuit de Walpurgis de la Saint-Barthélemy 1572 ne survient pas comme un accident de l'histoire. De toute évidence le parti de la sainte Ligue appelait ce massacre de longue date et ses continuateurs n'ont jamais cessé de l'approuver. L'erreur difficilement pardonnable du Roi Soleil en son déclin fut d'ailleurs de rompre avec l'héritage rassembleur de son grand-père Henri IV, pour le plus grand malheur des Bourbons. La dynastie qui apparaît en effet en 1589 prit à son compte l'idée du dernier Valois, Henri III le Décrié.
Comment et pourquoi la réputation de ce prince fut-elle à ce point calomniée ? Pas la peine de chercher trop loin. Les deux partis qui se déchirent, et qui en tirent profit, ne veulent pas de ce tiers parti “royal”, “national”, “politique” ainsi l'appelle-t-on. Les longues tirades injurieuses d'Agrippa d'Aubigné “contre Un” et celles, moins talentueuses, des libelles catholiques ont forgé la légende. Unis autour du Roi, ses défenseurs qu'on appellera faussement ses “Mignons” représentaient les destinées et l'honneur de la France. Il fallait souiller leur image.
Un moine fanatique viendra en 1589 venger le chef de la Ligue liquidé, disons-le, sans beaucoup d'honneur dans le traquenard de Blois en 1588. Il permettra l'accession au trône du Vert Galant, de Béarnais réconciliateur. Il faudra, un quart de siècle plus tard, le poignard d'un autre exalté du parti ligueur pour mettre un terme au bonheur de ce règne.
On ne peut donc que regretter à 400 ans de distance que si peu d'officiels de la république aient daigné s'intéresser à rendre hommage à un règne si fédérateur pour les Français. On ne s'en étonnera qu'à moitié.
JG Malliarakis http://www.insolent.fr/
2petitlogo
Apostilles
  1. On doit en effet recommander la biographie écrite par M. François Bayrou “Henri IV, le roi libre”. Outre sa qualité de Béarnais, et sa connaissance de l'Histoire, l'auteur écrit directement en français. Ce dernier point mérite d'être salué de nos jours.
  2. Louis duc d'Anjou père de deux jumeaux qui pourraient donc un jour régner légitimement, aux yeux de leurs partisans, l'aîné sur la France, le second sur l'Espagne, sans contrevenir aux dispositions du traité d'Utrecht de 1715.
  3. cf. “Les Responsabilités des dynasties bourgeoises”.

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