mercredi 26 janvier 2011

Louis-Philippe ou le réalisme politique

Souvent décrié, fils d'un régicide et lui-même usurpateur du trône couronné par une révolution, Louis-Philippe vaut pourtant mieux que l'image qu'en a laissée la postérité.
Louis-Philippe fait partie des personnages maudits de notre histoire. À tel point que son nom est entré dans le langage courant pour désigner un physique ou un objet de mauvais goût… Il faut dire que son hérédité ne plaide pas pour lui : fils de Philippe Egalité qui vota la mort du roi, Louis-Philippe a souffert toute sa vie de cette ombre paternelle admirablement décrite par la maîtresse du duc d'Orléans, Mme Elliot. Frondeur et comploteur, libéral et membre fondateur du Grand Orient, le révolutionnaire et cousin du roi laisse à la postérité l'image d'un traître qui perdra lui-même la tête à une époque où, selon l'adage, le pur trouve toujours un plus pur qui l'épure. Or, tous ces traits de caractères sont inexistants chez son ftls, qui montre à l'égard de ce mouvement révolutionnaire un recul étonnant. Il faut savoir gré à Arnaud Teyssier, son biographe, de nous apporter de cet homme un éclairage nouveau et tout en nuance.
Certes, Louis-Philippe fut, comme beaucoup d'aristocrates et comme Louis XVI lui-même, un enfant des lumières par son éducation et son entourage ; mais la grande révolution est une meilleure école pour l'observateur des choses de ce monde. Pendant que son éducatrice, Mme de Genlis, voyait ses convictions rousseauistes sur la bonté de l'homme s'évanouir dans la furie révolutionnaire, son élève Louis-Philippe laisse apparaître une admirable perspicacité dans ce pays où ne se trouvaient que « déshonneur et malheur sur malheur ». Il tire deux leçons de cette désolation. Il comprend d'abord qu'en temps de crise, il faut savoir faire preuve d'autorité, « prendre un parti et s'y tenir ». Et aussi, que la crise française résulte d'une impréparation des élites : « Une des principales sources des malheurs de la Révolution, a été l'ignorance complète et générale de la conduite que chacun devait tenir dans une semblable crise ; et cette ignorance était commune aux hommes de tous les partis et de toutes les opinions. Il n'y avait plus de devoirs clairement définis. »
l'ultime incarnation d'un pouvoir plein
Le sens du devoir est précisément ce qui constitue, d'après Teyssier, le fondement de l'œuvre et de l'action politiques de Louis-Philippe. Mais le traumatisme révolutionnaire, le sens du tragique qui domine notre personnage, engendrent en lui une prudence excessive et une forme de résignation qui lui seront fatales. Malgré tout, ils ne l'empêchent pas de tout faire pour « réparer » la France plutôt que de la restaurer, tant l'idée de retour en arrière lui apparaît anachronique. Même s'il prend la mesure du nouveau rôle de l'opinion publique, les journées de 1848 lui rappellent néanmoins la fragilité d'une œuvre face au rouleau compresseur des passions révolutionnaires.
Pour Teyssier, le roi a été perdu par « une humanité excessive, une défiance inconsciente à l'égard de sa propre légitimité ». Il s'est attribué un péché originel qu'il aurait pu effacer s'il n'y avait pas eu chez lui le respect d'une forme de légalisme incongru : « Je n'ai jamais violé la Loi » s'exclame-t-il le jour de sa chute. Et plus loin : « Je ne croyais pas que je fusse la clef de voûte. » Le sens du devoir ne s'arrête pas dans l'intention, mais s'épanouit dans l'accomplissement. Il n'empêche, Maurras fait de Louis-Philippe « l'ultime incarnation d'un pouvoir plein et assumé dans la meilleure tradition des Capétiens, bien loin du pantin des caricaturistes ou de l'usurpateur cynique et prisonnier du destin dépeint par Chateaubriand. » Nous sommes bien ici au cœur de la pensée monarchiste du XX, siècle, qui jauge le régime non pas à l'aune du romantisme, mais à celle du réalisme politique. L'image de Napoléon III s'oppose à celle de Louis-Philippe. En matière de romantisme, Louis-Philippe n'est rien quand Napoléon III est tout. À contrario, sur le plan politique, le roi des Français est bien plus que le neveu de Napoléon 1er. Cela n'a d'ailleurs pas échappé à l'historien monarchiste Jacques Bainville, qui, dans son œuvre, a toujours privilégié l'éloge de la mesure et de la conservation contre celle des aventures extérieures, déstabilisatrices de l'équilibre européen. Ce n'est pas le moindre mérite du roi des Français que d'avoir voulu mettre fin à l'alliance sanguinaire de l'idéalisme révolutionnaire et de l'esprit de conquête napoléonien.
Christophe Mahieu Le Choc du mois janvier 2011
Arnaud Teyssier, Louis-Philippe, le dernier roi des Français, Perrin, 451 pages, 23€

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