dimanche 27 février 2011

Desouche Histoire : Violence et criminalité dans la France moderne (XVe-XVIIIe)

Cet article s’inscrit dans la continuité des articles sur la culture populaire dans l’Ancien Régime. Après la vision du monde, les fêtes et coutumes populaires, ce troisième volet de la série vise à donner un aperçu de la violence dans l’Ancien Régime.

Brutalité et violence sont omniprésents à la fin du Moyen Âge et dans l’Ancien Régime (jusqu’à la fin du XVIIe). L’homicide, fréquent, est un crime banal qui est souvent pardonné par une lettre de rémission du roi.
En Corse (qui n’appartient pas encore à la France), entre 1683 et 1715, 900 meurtres en moyenne sont comptabilisés chaque année sur une population d’environ 120 000 habitants. A populations équivalentes, la mortalité due aux homicides sur l’île équivaut presque à la mortalité due à la guerre de 1914-1918 en France ! Dans l’Angleterre du XIIIe siècle, pour prendre une autre référence, le taux d’homicides est environ 100 fois plus élevé qu’aujourd’hui (de l’ordre de 1 pour 1000 contre environ 1 pour 100.000 de nos jours).
Il faut néanmoins savoir que les historiens ont énormément de peines à estimer le taux d’homicides à l’époque moderne, la justice ne traitant qu’une infime partie des crimes notamment dans les campagnes, les ruraux préférant régler leurs affaires entre eux (la justice est perçue comme un corps étranger à la communauté villageoise).

I. La violence ordinaire
● Profil du délinquant
Le délinquant type est un homme. Entre 1760 et 1790, les femmes ne constituent que 21,1 % des individus poursuivis en justice par le parlement de Paris. L’infanticide et le vol sont les crimes les plus récurrents chez les femmes, avec la sorcellerie qui devient très majoritairement féminine à partir du XVIe siècle. Dans les seuls actes de violence, les hommes sont ultra-majoritaires : en Artois de 1386 à 1660, les homicides répertoriés dans les lettres de rémission sont commis par des hommes dans 99,6 % des cas (chiffre pas totalement représentatif : les femmes reçoivent moins souvent la grâce royale, la violence féminine étant mois tolérée). Quand la femme tue, c’est pour se défendre d’un agresseur ou pour aider son mari en danger.
Les délinquants sont aussi essentiellement des jeunes célibataires, de 15 à 25 ans. A Dijon au XVe siècle, 85 % des violeurs sont célibataires et la moitié d’entre eux ont entre 18 et 24 ans. Les villes universitaires sont celles qui connaissent le plus grand nombre de crimes de sang. Au niveau socio-professionnel, c’est le menu peuple qui fournit le plus grand nombre de criminels : en 1488 à Paris, on enferme au Châtelet lors d’une semaine de juin 30 % d’artisans, 20 % de laboureurs et de manouvriers, 9 % de prostituées, 8 % de valets et d’apprentis et 3 % de mendiants…
Plus de la moitié des agressions sont commises à plusieurs, par ce qui n’est pas encore appelé « bande de jeunes » mais « royaumes de jeunesse ».
● Faits divers choisis
Les motifs de meurtre peuvent paraître aux contemporains parfaitement ridicules, étant souvent liés à la notion d’honneur. Ainsi, en 1536, à Saint-Hilaire, près de Cambrai, Hotinet Cuisette arbore son chapeau des grands jours, un bonnet orné de plumes. Jean Lempereur, qui croise son chemin, en arrache une : grave affront. Hotinet sort son couteau, Jean brandit son bâton. Hotinet, en position d’infériorité, s’enferme dans sa maison pour lui échapper tandis que Jean tente d’enfoncer la porte. Le cabaretier intervient, sort son épée et reçoit un grand coup de bâton qui l’étend sur le sol. Son beau-frère vient à la rescousse, sur rue sur Lempereur, le bat et lui plante sa javeline dans l’oeil. La victime « depuis ne parla et morut, V ou VI heures après ».
Dans la soirée du 6 janvier 1557, à Enghien (ville du Hainaut belge actuel), un jeune homme joue du luth sous la fenêtre de plusieurs filles pour les charmer. Un homme s’approche et se met à uriner contre une maison proche. L’homme « layssa plusieurs pets ». Il se rapproche du joueur de luth, se retourne puis fait sept ou huit autres pets. Le séducteur demande à l’homme « s’il les faysoyt en depit de lui » (c’est-à-dire par provocation). « Oui », répond-il, et les deux hommes sortent une épée. Le provocateur n’est que légèrement blessé mais une infection s’en mêle : il décède une dizaine de jours plus tard.
La taverne, dans la France d’Ancien Régime, est une « école de masse de la brutalité » (R. Muchembled) : l’ivresse libère les pulsions et des rixes peuvent se déclencher à la moindre occasion. En août 1426, des jeunes célibataires brisent un godet de terre déjà fendu, dans une taverne d’un village de Bourgogne. Le propriétaire mécontent grommelle contre eux. Un client s’associe à la colère du cabaretier, suivi par son fils et un autre client. Le propriétaire insulte les célibataires : « à l’umanité leur mère » (insulte touchant au tabou de l’inceste). Une bagarre démarre qui se termine par la mort du cabaretier.
● Wallons et Flamands, déjà…
Les frontières linguistiques (patois) constituent souvent des motifs de méfiance, même si les deux populations cultivent des mœurs semblables par ailleurs. Dans les tavernes, des rixes se déclenchent parce qu’un individu est énervé de ne pas comprendre un groupe de gens discutant en espagnol, en latin ou dans un autre patois…
Pour faire écho à l’actualité, des faits divers concernant les Flamands et Wallons ont été choisis. Pas d’homicide ici mais plutôt des rancœurs et violences verbales. En avril 1564, Antoine Chavatte, qui tente de séduire une fille à Poeringe, s’entend dire « Meschant Wallon ! ». « Ne te fie pas aux Wallons, car vous ne scavez ce qu’ils vouldront faire de vous ! » crie quelqu’un dans une taverne d’Hazebrouck en 1594. Le 1er juin 1597, deux groupes Wallons et Flamands s’insultent mutuellement dans un bois : « Wallons ! Flamands ! ». En juillet 1598, un paysan des environs d’Audenarde se plaint de la lourdeur des impôts et de la cherté des terres et conclut que c’est parce que les « Wallons mangent la sueur des Flamands ».
● Violence verbale : les injures à Dijon au XVIIIe siècle
Devant la justice, les affaires d’injure sont rares. Les archives judiciaires de Dijon au XVIIIe siècle livrent les injures pour lesquelles on pouvait être poursuivi en justice : « gueuse », « putain », « pastorelle » pour les femmes ; « souteneur de bordel », « coureur de gueuses », « mari cornard » pour les hommes sont les injures les plus fréquentes.
Autres injures : « laronnesse », « friponne », « vilaine », « voleuse », « chienne » pour les femmes ; « coquin », « fripon », « arlequin », « filloux », « voleur », « chien » « banqueroutier », « trompeur », « ivrogne », « imposteur », « marot », « fanfaron », « espion de foire », « homme de race pendu » pour les hommes.
II. Fêtes populaires et violence
Dans l’année, le temps des fêtes passe en danses et beuveries, mélangeant profane et sacré, avec des dérives qui inquiètent fortement l’Eglise (bagarres avec blessures pouvant parfois mener jusqu’à la mort, débordements sexuels pouvant mener aux viols). Certaines fêtes sont carrément des défouloirs où la violence est non plus une dérive mais est intrinsèque à la fête : la cournée à Langres, à la fin du XIVe siècle, consiste ainsi à se lancer mutuellement des pierres hors des murs de la ville ! A Namur, le jour des saints Innocents, le 28 décembre, la tradition veut que les hommes puissent fouetter les femmes qu’ils rencontrent tandis que leurs semblables jouent des farces en public. En Artois et en Champagne, une fête consiste à abattre un animal (porc, oie, boeuf,…) en lui jetant des pierres, des bâtons ou des couteaux. Le vainqueur des différents tournois organisés est alors déclaré « roi » pour un an et donne un banquet.
L’historien Robert Muchembled interprète ces fêtes comme des soupapes de sécurité, des dérivatifs qui permettent d’extérioriser ses passions et frustrations pour ressouder la communauté « qui ne risque plus de se briser en luttes intestines ». Les autorités civiles et ecclésiastiques réprouvent ces fêtes qui donnent lieu à des désordres et débordements, tentant de les faire disparaître (le nombre de fêtes diminue fortement aux XVIIe et XVIIIe siècles, non sans raison).
III. Le rapport à la justice et la « paix privée »
Les ruraux des XVe et XVIe siècles ne vont que rarement se plaindre auprès de la justice, une méfiance générale régnant à l’égard des institutions chargés de la rendre (justice seigneuriale, justice municipale, présidiaux, parlements,…). Les querelles sont généralement réglées selon le système de la « paix privée ». Cette paix consiste en une compensation matérielle et prend parfois la forme d’un contrat civil rédigé par un notaire ou un officier, lequel prévoit un dédommagement financier ou des messes pour le repos de l’âme du défunt (etc.) afin d’éviter la vengeance familiale des proches de la victime
Quelquefois, des gens de loi peuvent parfois arbitrer cette paix : le 1er août 1400, des échevins de Doullens (Picardie) font prisonnier deux garçons qui se battent. Ils les obligent à se jurer une paix puis libèrent le plus jeune des deux bagarreurs, qui a 17 ans. Il prend sa dague et blesse à l’épaule son ennemi encore dans la cellule. Or, une trêve imposée par les autorités doit être inviolable : la peine capitale s’applique aux adultes. Le jeune homme évoque son âge pour se défendre : il ne sait pas, affirme-t-il, « l’inconvénient qui se povoit ensuir de enfreindre ladicte paix ». Généralement, la justice sert davantage de moyen de pression dans la guerre que se livrent deux individus que comme une institution rendant justice.
Il faudra attendre la fin du XVIIe siècle pour voir cette situation changer, la justice entrant dans les moindres villages, appliquant des peines plus sévères, tandis que l’Eglise tridentine (de la Contre-Réforme) tente d’adoucir les mœurs. Cette action portera ses fruits : les violences diminuent très largement à partir de la fin du XVIIe.
IV. Le recul de la violence au XVIIIe siècle
Tout au long du XVIIIe siècle, la violence recule d’une façon considérable en France grâce aux efforts conjugués du pouvoir monarchique et de l’Église. Les violences contre les personnes diminuent fortement tandis que les vols tendent à augmenter par un effet de vases communicants. Au XVIIe siècle, dans le bailliage de Falaise en Normandie, 83 % des procès concernent des affaires de violence (meurtres, coups, injures), ce chiffre tombe à 47 % au XVIIIe siècle. Dans le pays d’Auge, les actes de violence qui passent devant les tribunaux sont quatre fois moins nombreux en 1781-1790 par rapport à 1703-1711. Ce recul de la violence se poursuit au XIXe siècle. Il semble que les hommes du XVIIIe se montrent plus tolérants à l’égard des injures qui ne dégénèrent plus en bagarres mortelles.
Parallèlement à cet effondrement de la violence, les juges se montrent plus sévères pour les voleurs, davantage pourchassés : à Paris, 5 % des voleurs d’aliments sont envoyés aux galères entre 1750 et 1755 ; ce taux monte à 15 % entre 1775 et 1790. Les juges se montraient jusqu’au milieu du XVIIIe siècle tolérants à l’égard du vol de nourriture de même que pour les vols dus à la misère, ce qui change alors. La propriété se voit davantage protégée, signe d’une évolution des mentalités.
Sources :
DUBY, Georges (sous la dir. de). Histoire de la France rurale. 2 – de 1340 à 1789. Seuil, 1992.
GARNOT, Benoît. Crime et justice aux XVIIe et XVIIIe siècles. Imago, 2000.
http://www.fdesouche.com

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