jeudi 10 mars 2011

1214 : Le roi et le sentiment national

Bénéficiant du soutien populaire, levant en masse les milices communales, Philippe-Auguste fait de sa poitrine le bouclier de l'indépendance française.
Cette année-là, la trente-quatrième de son règne, Philippe II Auguste, quarante-neuf ans, fils de Louis VII le Jeune (1120-1180) et d'Alix de Champagne, était toujours engagé dans la difficile reconquête de son royaume, amputé à la génération précédente par suite du caprice de la première épouse de son père, la très belle mais trop volage Aliénor d'Aquitaine.
Celle-ci, en effet, dès qu'elle avait obtenu de Rome en 1152 l'annulation de son mariage, s'était empressée de se jeter dans les bras d'Henri Plantagenêt, duc de Normandie, comte du Maine, comte d'Anjou, et avait emporté dans ses bagages les terres appartenant à son propre héritage : le Poitou, le Limousin, une partie de l'Auvergne, le Périgord, le Bordelais et la Gascogne ! Comme un an plus tard, l'insatiable Plantagenêt s'était fait reconnaître roi d'Angleterre sous le nom d'Henri II, la moitié de la France était devenue anglaise…
Face à un ogre
Face à un tel ogre, Louis le Jeune s'était trouvé quelque peu déconcerté, mais n'avait nullement perdu la face, affirmant sa souveraineté de droit sur toutes ces terres françaises dont la possession faisait d'Henri et d'Aliénor des vassaux du roi de France. Louis avait même soutenu la révolte des fils Plantagenêt contre leur insupportable père - révolte encouragée par Aliénor elle-même, obligée un jour de demander à son premier mari protection contre son second…
Devenu roi à quinze ans, et déjà fin calculateur, Philippe Auguste avait repris cette habile - et très capétienne - politique, se liant d'amitié avec le révolté Richard Coeur de Lion, lequel devint roi d'Angleterre à la mort d'Henri II en 1189. Philippe s'était alors aussitôt fait l'ami du jeune Jean Sans Terre révolté contre Richard parti pour la troisième Croisade où il affrontait Saladin. Dès son retour, Richard avait voulu reprendre tout ce qu'avait cédé Jean, mais il fut occis lors du siège de Châlus en Limousin en 1199. L'accession au trône anglais du cruel et immoral Jean Sans Terre ayant provoqué l'ire de son neveu Arthur de Bretagne, Philippe Auguste s'était évidemment lié à ce dernier, puis (quand Jean Sans Terre l'eut fait assassiner) à ses vassaux. C'est ainsi qu'en quelques années de sièges, d'escarmouches et de démantèlements de châteaux, le roi de France avait réussi à reconquérir la Normandie, puis le Maine, l'Anjou, la Touraine et le Poitou.
Pourtant, en 1214, tout risquait d'être remis en cause. Alors qu'une invasion de l'Angleterre était envisagée, les féodaux de Boulogne et de Flandre, jaloux des Capétiens, négociaient depuis déjà un an une entente contre la France entre Jean Sans Terre et l'empereur germanique Othon IV de Brunswick. Le danger devenait terrible. Il était temps d'organiser une résistance, à l'instar de celle de 1124 au temps de Louis VI le Gros.
Bouvines
Cette fois ce fut encore plus merveilleux. Après qu'au printemps, le jeune Louis (futur Louis VIII) eut vaincu Jean Sans Terre en l'expulsant de la forteresse de La Roche-aux-Moines dans l'actuel Maine-et-Loire, Philippe-Auguste, assuré du soutien du pape Innocent III, s'élança vers les coalisés malgré l'infériorité en nombre de ses troupes. Alors il remua l'extraordinaire fibre française qui devait si souvent faire miracle dans notre histoire : on leva en masse les milices communales ; bourgeois, paysans, petites gens se lancèrent avec enthousiasme, entendant le roi leur dire, selon Bainville : « Je porte la couronne mais je suis un homme comme vous. »
Contrairement à toutes les lois de la chrétienté, Othon engagea la bataille le dimanche 27 juillet à Bouvines (actuel Nord) au pont sur la Marque, mais Philippe prit personnellement tous les risques, faisant de sa poitrine le bouclier de l'indépendance française. Un temps désarçonné, mais remis en selle sur un cheval sain, il poussa l'Empereur à battre en retraite avec toute sa troupe hétéroclite. La victoire était totale. Ce fut l'allégresse dans la France entière en cette belle saison des moissons.
Les semaines suivantes, tandis qu'Othon, déjà excommunié, renonçait à l'empire, et qu'en Angleterre l'ignoble Jean Sans Terre se voyait imposer par ses barons révoltés la Grande Charte qui amoindrissait pour toujours la couronne anglaise, le roi de France resplendissait dans les coeurs de tous les Français comme l'incarnation du sentiment national.
Cette même année, trois mois plus tôt, le 25 avril, était né à Poissy le petit-fils du roi, fils du futur Louis VIII et de Blanche de Castille (petite-fille d'Aliénor) un petit Louis qui serait le saint roi Louis IX…
MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 20 novembre au 3 décembre 2008

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