vendredi 18 mars 2011

La Grande Guerre : Paris « en guerre »…

« Quand on voudra avoir une physionomie exacte de ce que fut la vie de Paris pendant les terribles journées que furent celles de la bataille de Verdun, il faudra consulter à la fois les faits divers et les rapports des commissaires de police », écrit le mémorialiste Jean Bernard à la date du 7 mai 1915.
Eh bien, voyons un peu.
Les gazettes nous apprennent que la baronne de Vaughan, “qui fut la Pompadour de Léopold II, roi des Belges” et qui est restée ce que les Parisiens appellent joliment une “demi-mondaine de marque”, a porté plainte contre des résidents étrangers qui lui auraient soustrait des sommes importantes. La justice classe le dossier : les étrangers en question sont des millionnaires qui ont gagné cinquante mille francs (près de six cent cinquante mille francs d’aujourd’hui) en jouant au poker avec la baronne lors des soirées qu’elle organise dans son fastueux hôtel particulier.
La presse parle aussi d’un autre hôtel, mais public. Il se trouve rue Victor-Massé et le jeune poète portugais Mario de Sa Carnero y a mis fin à ses jours en laissant un billet où l’on lit cette pensée qu’il prête à Epictète : « La vie est comme une chambre où brûle un feu. Quand la cheminée fume un peu, on tousse. Quand elle fume trop, on s’en va. »
Cependant la vie continue, si l’on ose écrire… Un ordonnateur de pompes funèbres distribue dans les loges un imprimé par lequel il promet une récompense aux concierges qui lui feront connaître sans délai les décès survenus dans leur immeuble.
Les pipelettes auront cinq francs par décès rapporté, plus une guelte proportionnelle à la classe des funérailles commandées par les héritiers. De 3 F pour une “neuvième classe” à 150 F pour une “première classe”.
Au cours d’aujourd’hui, un riche défunt rapporterait donc deux mille francs au concierge ; un miséreux cent francs à peine.
A ce tarif, il faudrait être au front pour gagner sa vie…
Quelqu’un qui n’a pas eu besoin de notre ordonnateur entreprenant, c’est Madame Verlut, ménagère à Brasles, Seine-et-Marne, dont les journaux rapportent la peu banale et fatale mésaventure.
Son fils étant tombé en Champagne, elle s’est rendue sur sa tombe en compagnie d’un infirmier. Tandis qu’elle priait, agenouillée, un “Taub” allemand a laissé tomber sa “torpille aérienne” sur le cimetière, tuant la malheureuse mère et son guide.
Aurait-elle accompli ce dernier voyage si elle avait consulté au préalable l’une des voyantes dont les annonces envahissent les colonnes ? Extra-lucides, tireuses de cartes, liseuses de marc de café, chiromanciennes, somnambules font des fortunes sur les espérances des malheureuses dont les maris ou les fils ont disparu au front.
Ce commerce répugnant de l’humaine crédulité prend de telles proportions que la Chambre projette de légiférer pour l’interdire.
En attendant, les aruspices font leur pelote. Une ouvreuse de théâtre subventionné améliore ses pourboires en interprétant les évolutions de trois poissons rouges dans un bocal… Une Marseillaise annonce la paix pour le 16 août « parce que la Sainte Vierge le veut ainsi ». Et une troisième décrète que « la fin du monde aura lieu en 2004 ». Mais, d’ici là, on est tranquille, on a largement le temps de mourir, se disent les braves gens.
Dans le même ordre d’idée, on voit naître un nouveau lieu de pèlerinage : une fontaine proche de Gonesse.
Les vieux disent que le cheval de Jeanne d’Arc y but, puis que son eau cessa de couler jusqu’à la veille de l’armistice de 1871, avant de s’interrompre de nouveau. Or, depuis quelques semaines, elle a repris son débit…
En outre, les feuilles évoquent une lettre d’un combattant à son père, le poète Boyer d’Agen : les sapins des Vosges ont fleuri du côté français ; la chose, rarissime selon les gens du cru, ne s’est produite en pareille saison qu’en 1870 du côté allemand…
On attend donc la paix pour le début de l’été 1915…
Telles sont les nouvelles de cette première semaine de mai 1915.
Pendant ce temps, les combattants des Flandres découvrent les gaz asphyxiants et le Lusitania, navire “civil” (avec douze canons et transportant trois mille caisses de munitions !) est coulé avec mille deux cents passagers.
Serge de Beketch Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 97 du 22 mai 1996

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