samedi 14 mai 2011

Ce que j’ai vu et entendu à Rome deux jours avant la mort de Mgr Lefebvre

Au moment où de nouvelles menaces, auxquelles l’épiscopat français n’est sans doute pas étranger, se précisent contre Saint-Nicolas-du-Chardonnet, signe visible, à Paris, et donc le plus médiatisé de l’oeuvre de Monseigneur Lefebvre, le Libre Journal apporte une pièce inédite au dossier des relations entre la Tradition et le Saint Siège. Le récit d’une ultime tentative de réconciliation que Winfried Wuermeling entreprit le 22 mars 1991. Ce texte a été établi à partir d’un rapport rédigé de mémoire par W. Wuermeling dans les instants qui suivirent l’entrevue.
Les protagonistes ignoraient évidemment à ce moment-là que l’Evêque de fer allait gagner, deux jours plus tard, sa Patrie céleste.
J’arrivai à Rome le vendredi 22 mars 1991. Deux semaines auparavant, j’avais entendu Mgr Perl au téléphone :
- Nous avons eu, voilà trois semaines, la visite de votre évêque, Mgr Thomas ; il semble que les choses s’arrangent très bien à présent.
- Premièrement, lui avais-je répondu, Mgr Thomas n’est pas notre évêque mais l’évêque de Versailles ; notre évêque à nous est Mgr Thierry Jordan, de Pontoise. Deuxièmement, ne savez-vous pas qu’à Port-Marly le chauffage et l’électricité sont toujours coupés et que le curé conciliaire a intenté un procès civil contre la Tradition ? Vous appelez ça “s’arranger” ? Vous n’êtes pas informés à Rome ! Voilà ce qui arrive quand on ne passe que par la nonciature…
Mgr Perl m’avait donc accordé, en tant que délégué du Comité Sainte-Geneviève, un rendez-vous auprès de la Commission pontificale Ecclesia Dei, présidée par le cardinal Mayer.
Sainte-Geneviève, paroisse florissante jusqu’à VatIcan II, avait été délaissée par les fidèles, louée par l’évêché de Pontoise aux musulmans qui en firent une mosquée Quûba, puis vendue au maire communiste d’Argenteuil qui la rasa, malgré les prières des catholiques agenouillés autour du chantier de démolition.
Un Comité Ste-Geneviève s’était constitué en vue de sa reconstruction ; une quête nationale avait été lancée dans ce but et, en attendant, nous occupions, chaque mois, une église du Val-d’Oise dans l’espoir que l’évêque Jordan consentirait finalement à nous donner un lieu où un prêtre de la Fraternité sacerdotale St Pie X pourrait célébrer la messe de toujours.
L’évêque s’obstinant, j’étais venu à Rome en appeler de cette attitude qui s’aggravait d’un refus de communion opposé, sur ordre de Mgr Jordan, par le curé de Garges-lès-Gonesse à deux paroissiens suspects de sympathies pour Mgr Lefebvre.
L’entretien allait donc porter à la fois sur la situation de la Tradition en France et sur la situation de Mgr Lefebvre, sujets indissolublement liés.
“Si vous n’exigiez pas des prêtres de St Pie X, les choses s’arrangeraient”
Le cardinal Mayer se déclara horrifié par l’abandon de l’église aux musulmans mais lorsque, lui rappelant que le cardinal Pappalardo venait de livrer l’église San-Paolino de Palerme (Sicile) aux musulmans, je lui demandai comment on pouvait accorder aux islamistes des lieux de prières refusés aux catholiques, seul un silence consterné me répondit.
- Si vous ne réagissez pas dans cette incroyable affaire, prévins-je, nous, les laïcs, nous le ferons. Nous sommes mille, demain nous serons dix mille…
- Si vous n’exigiez pas des prêtres de la Fraternité sacerdotale St Pie X, convint le prélat, les choses s’arrangeraient plus facilement.
- Nous avons perdu confiance en vos prêtres ! A Garges-lès-Gonesse, paroisse traditionnelle, l’évêque avait délégué “pour dire la messe en latin” un desservant qui, au bout de trois ans, annonça : « Maintenant, vous êtes plus mûrs, nous allons commencer à vous habituer à Vatican II dans cette paroisse. Par exemple, par une concélébration de temps à autre… » Eh bien, Eminence, des prêtres comme cela, nous n’en voulons pas. Sinon, dans cinq ans, il nous faudra repartir de zéro. Nous voulons des prêtres sûrs, qui nous prêchent tout l’Evangile, tous les dogmes, toute la morale. Actuellement, il n’y a qu’une seule adresse pour cela dans l’Eglise : la Fraternité sacerdotale St Pie X.
- Quand nous étions jeunes séminaristes, se souvint le cardinal, nous étions aussi très attachés à la liturgie, aux processions, aux dévotions, etc. Mais, en même temps, nous nous sommes dit que, sur certains points, il faudrait quand même moderniser un peu… Chez vous, on est souvent pointilleux dans les gestes et les formes du rite. C’est ridicule et borné.
- Eminence, j’étais à l’église St-Joseph à Pékin, il y a trois ans. Si vous aviez vu ces gens si attachés à notre sainte messe, vous auriez pleuré. Il ne leur reste plus rien que cela, le rite. Et nous, nous serions dans une autre situation ? Et sainte Jeanne d’Arc, ne croyez-vous pas qu’elle s’est mise à genoux pour recevoir, de façon “bornée”, comme vous osez le dire, le Seigneur sur la langue, excommuniée qu’elle était ? Je vous prie d’avoir un extrême respect pour les personnes qui s’accrochent de façon “bornée” au rite pendant cette crise de l’Eglise. C’est souvent l’expression d’une foi absolument pure. Si vous voulez savoir ce qui se passe dans nos âmes, Eminence, dites-vous que nous nous sentons comme Jeanne après son excommunication, avec le seul Christ comme consolation. Eminence, cette excommunication de Mgr Lefebvre était une erreur gravissime ; il faut qu’elle soit très rapidement invalidée !
- Comment pouvez-vous parler d’une erreur de l’Eglise ?
- Le cardinal Ratzinger lui-même a dit, au cours d’une conférence aux évêques latino-américains, mexicains, je crois : « Quelle erreur avons-nous faite pour que cette séparation se soit produite ? Ou plutôt quelles erreurs sommes-nous en train de commettre pour que cela perdure ? » Si le cardinal Ratzinger dit cela, c’est qu’il est convaincu que des erreurs ont été commises par l’Eglise. Pourquoi donc vous, Eminence, qui êtes un saint homme, et Mgr Lefebvre qui l’est aussi, comme vous venez de le reconnaître, n’employez-vous pas vos saintes volontés à trouver une solution ensemble ? Nous, laïcs, sommes déchirés par cette guerre de paragraphes. Si c’est le même Esprit-Saint qui remplit vos coeurs, à vous et à Mgr Lefebvre, une solution doit pouvoir se trouver pour sortir de là.
- C’est triste, mais Mgr Lefebvre ne veut pas venir ici pour discuter.
- C’est vous qui ne voulez pas l’accueillir. Pouvez-vous assurer, Eminence, que le Pape est prêt à recevoir Mgr Lefebvre pour trouver une solution ?
Mgr Mayer se récria :
- Mais enfin, je ne peux pas prendre d’engagement pour le Pape !…
- Certes, mais vous pouvez convaincre le Pape de daigner écouter Mgr Lefebvre à qui, de mon côté, j’essayerai de parler à Pâques ? Il faut que cette excommunication cesse avant qu’il ne soit trop tard. Si Mgr Lefebvre disparaissait, les choses pourraient empirer. C’est vous qui porterez la responsabilité de cette déchirure, par omission. C’est rare dans l’histoire de l’Eglise.
Le cardinal promit de tenter une démarche auprès du Pape. Il me dit également que le cardinal Thiandoum, successeur de Mgr Lefebvre à Dakar, avait « pleuré » chez lui au motif que Mgr Lefebvre « ne voulait absolument pas revenir ».
“La liberté de conscience ne vaut que pour les autres, pas pour nous”
Je fis remarquer qu’effectivement, si l’on attendait du prélat d’Ecône un voyage à Canossa, ce n’était pas envisageable.
Mgr Mayer me dit alors :
- Mgr Lefebvre m’a dit lors du Concile qu’il était d’accord avec 80 % des résolutions. Aujourd’hui, il est contre à 100 %. Pour lui, tout est mauvais dans l’Eglise. Mgr Lefebvre se trompe d’adversaire : il lutte contre l’Eglise au lieu de lutter contre les athées.
- Vous vous trompez ! Nous sommes au coeur de l’Eglise et nous l’aimons profondément. Le Pape est notre Pape, vous êtes notre cardinal, notre évêque est notre évêque. Nous prions à chaque sainte messe pour Sa Sainteté : “Pro Pape nostro… pro Antistite nostro…” Nous le chantons entre les Christus Vincit. Vous pouvez nous chasser autant de fois que vous voulez, le soir même nous serons là pour frapper à la porte : “Père, c’est ton fils”. C’est dur à entendre pour ceux qui veulent nous exclure mais jamais nous n’abandonnerons notre Eglise. Pourquoi pensez-vous que nous n’achetons pas une salle de cinéma à transformer en chapelle ? Pourquoi croyez-vous que nous occupons tant d’églises ? Parce que ce sont les nôtres !
- Mais vos actions sont violentes, vous chasseriez la messe selon le nouveau rituel…
- Nul besoin de la chasser. Elle disparaitra, faute de fidèles. C’est déjà le cas. Vos églises se vident. Quant à la “violence”, c’est un mensonge. Jamais nous ne sommes violents dans nos occupations. Nous entrons toujours après la dernière messe paroissiale, nous ne cassons rien, nous n’agressons personne. La seule violence a eu lieu contre nous dans la cathédrale de Pontoise, le 1er juillet 1990. Par contre, la violence de l’Evangile, de la Parole de Dieu, nous ne la refusons pas. C’est une Violence dont la lutte physique n’est qu’une pâle image. Cette violence spirituelle, c’est celle de l’Esprit-Saint, et si c’est Lui qui nous inspire, nous ne pourrons que gagner.
- Oui, répondit simplement le cardinal.
Plus tard, parlant du rôle de subsidiarité des laïcs dans le cas de fautes des supérieurs hiérarchiques, j’allai jusqu’à dire qu’un jour nous descendrions à Rome faire la grève de la faim sous le portail de la Piazza Sant’Ufficio où se tiennent le Saint Office du cardinal Ratzinger et la Commission du cardinal Mayer.
- Toujours des ultimatums ! soupira le cardinal.
- Oui, car le Royaume de Dieu presse et les âmes se perdent !
- Mais, dit-il, vous nous desservez auprès des autres évêques qui nous montrent les articles des journaux et disent qu’ils ne veulent pas de ces traditionalistes-là.
- C’est vraiment le comble ! Nous vous desservons ?! Le fauteuil sur lequel vous êtes assis, Eminence, a été consolidé par Mgr Lefebvre ; votre église St-Eugène, à Paris, n’existe que parce que St-Nicolas-du-Chardonnet existe, votre chapelle de L’Hermitage à Pontoise n’a fini par être ouverte par l’évêque qu’en réponse à nos actions dans le Val-d’Oise… et c’est nous qui vous desservons !
Puis, comme nous en venions à évoquer la liberté de conscience, le cardinal eut ce propos étrange et intéressant :
- Mais Mgr Lefebvre comprend mal cette liberté ; naturellement, elle n’est valable que pour les autres, pas pour nous. Par exemple, en Arabie Saoudite, nous serions heureux que les autorités reconnaissent la justesse de ce principe ; l’Eglise y gagnerait.
- Si vous pensez vraiment cela, lui dis-je, il faut le dire. Mais je ne crois pas que vous oserez le dire au monde. Selon vous, la Vérité n’est la Vérité que si les gens l’acceptent dans leur for intérieur. Je ne suis pas d’accord. La Vérité n’est pas relative. C’est là toute l’ambiguïté de ce décret conciliaire. Excusez-moi de parler de mon père, que vous avez connu : il était de cette génération de chênes, de ces catholiques debout. Ministre de la Famille, en Allemagne après la guerre, il a, pendant douze ans, sous le grand chancelier Adenauer, imposé la morale chrétienne au pays. Il a interdit la pornographie, les préservatifs, la drogue, l’avortement… Il ne s’intéressait pas à la question de savoir si les gens acquiesçaient, il s’intéressait à la vérité. Il a menacé douze fois de démissionner si telle ou telle loi ne passait pas au Conseil des ministres. La treizième fois, on l’a mis dehors mais l’Allemagne a pu ainsi rester propre pendant douze ans. Les enfants ne furent pas pourris par les salauds publics comme c’est le cas aujourd’hui. C’est de ministres comme cela que nous avons besoin, d’évêques comme cela, de Papes comme cela. Et que nous proposez-vous ? La “liberté de conscience” !
“Monsieur, si vous êtes avec Mgr Lefebvre, je ne puis rien pour vous”
De nouveau, je réclamai davantage de dialogue avec la Tradition.
- Mais, regardez Mgr Perl, me dit le cardinal il a passé trois mois à dialoguer avec Mgr Lefebvre, pour rien. Et vous voudriez que l’on continue à dialoguer ?
- Oui, c’est votre devoir, et celui de chaque évêque. Il faut chercher la brebis que l’on considère perdue. Comme Jésus. Il faut dialoguer “non seulement sept fois, mais sept fois sept fois”. Vous ne pouvez pas vous laver les mains comme Ponce Pilate. Il y a urgence, Monseigneur !
Le cardinal remarqua que Mgr Jordan était l’un des quatre évêques de France à avoir célébré personnellement la messe St Pie V :
- Eh bien, dis-je, si ces quatre évêques sont vos seules colonnes de la Tradition en France, vous n’êtes pas bien partis. Nous avons, nous, quatre évêques d’un autre calibre qui ne célèbrent que la messe St Pie V, mais vous les rejetez.
Alors, le cardinal me posa l’inévitable question :
- Répondez-moi clairement, monsieur : êtes-vous pour Mgr Lefebvre ou pour le Pape ?
- Eminence, je suis pour le Pape ET pour Mgr Lefebvre. Ce problème n’est pas dans ma tête mais dans la vôtre. Je ne vois même pas comment on pourrait être pour Mgr Lefebvre et contre le Pape, compte tenu de sa fidélité exemplaire. Je dis “fidélité” et non pas “obéissance”, et je ne vous ferai pas l’injure de rappeler que, selon saint Thomas d’Aquin, la désobéissance peut être pour un chrétien un témoignage de fidélité. Même envers le Pape. Dans les choses infaillibles, vous ne trouverez pas plus fidèles que nous à l’Eglise. Mais, pour ce qui concerne la partie faillible, des signes graves nous amènent à douter et nous forcent à questionner nos consciences.
Et je mentionnai alors les fausses doctrines du nouvel évêque de Würzburg, Mgr Kasper, sans susciter aucune réaction.
- Dans l’Eglise, dit cependant le cardinal, il ne s’agit pas seulement d’obéir aux choses infaillibles mais bien aussi aux choses faillibles. Regardez, moi-même, croyez-vous qu’il m’est agréable d’être appelé à Rome à soixante-dix-neuf ans pour une mission aussi importante que celle de la Commission Ecclesia Dei ?
- Je ne pense pas, en tout cas, qu’il faille obéir aveuglément aux hommes mais seulement à ceux dont les ordres sont conformes à la Volonté de Dieu. Je compare donc en conscience leurs ordres avec les préceptes divins, et j’agis en conséquence. Souvent, dans le cas de l’Eglise actuelle, je me vois forcé d’agir autrement. C’est la magnifique liberté des laïcs, comme je me permets de le redire.
Puis, à mon tour, je posai la question de fond :
- Cardinal Mayer, dites-moi, oui ou non, est-ce que la Tradition n’est pas vraiment catholique ?
Il sembla ne pas comprendre et Mgr Perl dut répéter la question, ce qu’il fit très exactement. Il répondit alors :
- Naturellement… Puis, il reprit :
- Monsieur, si vous êtes avec Mgr Lefebvre, je ne puis rien pour vous et je me demande si cet entretien a un sens.
“Refuser la communion et excommunier sont deux choses différentes”
- Nous excommunier est une chose, dis-je, mais nous donner des coups de pied comme à des chiens galeux, comme c’est le cas dans le Val-d’Oise, est autre chose. Et c’est pour cette autre chose que je demande aussi votre intervention. Oui ou non, nous autres laïcs, dans la mouvance de Mgr Lefebvre, sommes-nous également excommuniés ?
Ce n’est pas le cardinal qui me répondit mais Mgr Perl :
- Normalement non, il n’y a que les six évêques.
Puis, se rendant compte de son erreur :
- Refuser la communion et excommunier, ce sont deux choses différentes…
- Il y a des excommunications, dis-je, qui ne valent rien devant Dieu. Celles de sainte Jeanne d’Arc et de Mgr Lefebvre. Et il y a des communions qui sont une horreur devant Dieu, comme celles des divorcés, des avorteurs, etc. A ce propos, Eminence, comptons les pilules dans les sacs des femmes dans les églises conciliaires et dans les églises de la Tradition ! Et on verra où sont les vraies déchirures dans l’Eglise. Face à cela, ces histoires de paragraphes canoniques que vous nous jetez à la figure sont un détail ridicule dans l’histoire du Salut ! Je suis étonné qu’ici, à Rome, on ne regarde pas l’essentiel.
Je revins alors au Comité Ste-Geneviève.
- Si l’évêque ne veut pas nous aider de manière positive en nous louant une église, qu’au moins il ne gêne pas ceux qui sont prêts à le faire. A Eaubonne, le maire a fait restaurer l’ancienne église paroissiale Ste-Marie où le curé ne trouve pas le temps de célébrer. Le maire nous l’attribuerait bien mais l’évêque refuse. Eminence, dis-je en le fixant dans les yeux, comment jugez-vous un évêque qui préfère laisser cent quinze églises de son diocèse sans prêtre plutôt que de les ouvrir à la Tradition ?… C’est ça, la haine, Monseigneur !
- Considérez aussi qu’il n’est pas facile d’être évêque, me dit-il.
- Et vous voulez que je sois de ce côté-là ? demandé-je. Si vous aviez été avec nous quand, devant la Basilique de la Sainte-Tunique d’Argenteuil fermée à ses paroissiens pour éviter notre présence, nous avons célébré la sainte messe devant le portail, sous un soleil merveilleux ! Ah, c’était vraiment catholique : le chant grégorien, le Credo, le grand autel, les enfants de choeur, deux cent trente-cinq communions, les bannières proclamant la présence de tous nos Saints et Saintes, la dévotion, la communion à genoux… Même les gens de la paroisse nous ont rejoints (après avoir quitté la messe à la sauvette que l’on avait exilée dans un gymnase proche). Nous étions émus aux larmes. Comparez cela à la messe protestantisante de quarante ou cinquante personnes de chaque dimanche, à l’intérieur de cette Basilique.
Savez vous qu’une semaine plus tard une femme-pasteur a prêché dans cette même Basilique ? Eminence, vous entendez ? Une protestante peut prêcher dans une église catholique où nous, catholiques, n’avons pas le droit de célébrer la sainte messe de toujours !…
Et que l’on ne nous parle pas de sécurité, la sainte Tunique est tellement bien gardée qu’elle fut volée pendant plus de six mois et retournée contre rançon. Nous voulons refaire de cette Basilique le centre d’un pèlerinage mondial vers la sainte Tunique de Notre Seigneur.
Le cardinal me demanda :
- Comment osez-vous exiger la démission de votre évêque ?
- Parce qu’il est devenu un casseur dans l’Eglise, il faudra qu’il parte.
- Ce n’est quand même pas vous qui l’en sortirez ?
- Non, mais, d’une part, il n’est pas interdit de prier pour qu’il parte (et Dieu a encore son mot à dire, que je sache), et, d’autre part, nous informons ce que j’appelle “la conscience catholique française” qui existe encore dans ce pays.
Montrant à nouveau le livre des cent trente articles de journaux concernant notre combat, j’ajoutai :
- Il se peut qu’il craque devant la pression publique de l’opinion catholique. Vous rassemblez 7 % des Français dans les églises mais songez aux 93 % d’autres “catholiques”. Savez-vous de quel côté ils penchent ? La vraie catholicité est sans complexe, sans compromissions, sans remords. Nous avons fondé une association, l’UNEC (Union des nations de l’Europe chrétienne), afin de lutter contre l’avortement dans toute l’Europe, avec tous les chrétiens. Nous nous rendons, sous les bannières de l’UNEC, sans la moindre gêne, aux messes “diplomatiques” de St-Pierre-de-Montmartre à Paris où l’on fait du bon oecuménisme, si l’on peut dire. On n’y cache pas la Vierge Marie, au contraire. Avant le début de la messe, tous les diplomates (y compris les musulmans) sont conduits vers la statue de la Vierge - là où saint Ignace a fait sa “veillée d’armes” - où l’on dit une prière. On insiste sur le crime de l’avortement, la nécessité de la paix, l’impossibilité de la paix sans le respect de la Vie. Puis, tous assistent à la sainte messe catholique. Vous voyez, nous ne sommes pas si… “bornés”, dis-je au cardinal. Le vrai oecuménisme, c’est d’amener les nations à Jésus et à sa Mère. Partout où cela se fera, nous serons de votre côté.
Je l’informai alors que nous avions réussi à rassembler dans l’UNEC - extension internationale du Comité Ste-Geneviève - des protestants allemands, des évêques orthodoxes français, des évêques polonais, un évêque de Suisse - Mgr Tissier de Mallerais - pour lutter ensemble face aux terribles attaques actuelles contre le christianisme et le Christ. Saint Pie V avait-il fait autre chose en rassemblant tous les chrétiens (dont certains guerroyaient entre eux) pour la bataille de Lépante ?
- Eh bien, les seuls qui ne veulent pas participer, ce sont les évêques français. Parce que, disent-ils, « il y aurait un évêque de Lefebvre ». Alors, dites-moi, Eminence, les “bornés”, ils sont de quel côté ? Nous, nous sommes catholiques. C’est-à-dire universels, embrassant tout, rassemblant tout, fidèles à tout. Comment excommunier le catholicisme de l’Eglise catholique ? C’est ignoble. Il faut que cela cesse.
Le cardinal regarda sa montre ; c’était le signe que l’audience accordée prenait fin.
Je remerciai mes interlocuteurs et je demandai au cardinal sa bénédiction, qu’il m’accorda volontiers. En partant, dans la porte, me trouvant seul avec Mgr Perl, je lui redis :
- Il est toujours bon de se parler. Merci. Gardons le contact, si vous le voulez bien.
Il me répondit aimablement :
- Bien sûr, dès que l’occasion se présentera.

Je ne savais pas, alors, que celle occasion nous serait donnée à peine cinquante-six heures plus tard par Dieu qui appela Son serviteur, Mgr Marcel Lefebvre, à la Vie Eternelle.
par Winfried Wuermeling, Secrétaire général de l’UNEC

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