mercredi 13 juillet 2011

1095 : Prudence capétienne

Au lieu de courir après la gloire, Philippe Ier améliora l'administration de son domaine, restant à l'affût des successions laissées vacantes par tel seigneur ayant dû s'endetter pour acheter son équipement de croisé…
Cette année-là, la trente-cinquième de son règne, Philippe 1er, quarante-trois ans, traversait une période pour lui fort délicate. Troisième successeur d'Hugues Capet, premier roi à se prénommer Philippe en souvenir des rois de Macédoine dont prétendait descendre sa mère Anne de Kiev, il avait, de par la volonté très sage du roi Henri 1er son père, été sacré à six ans. Roi à huit ans, il s'était formé au cours de voyages épiques avec son oncle le régent Baudouin V, comte de Flandre. Quand il avait pris effectivement le pouvoir à quinze ans, le royaume était relativement paisible et en pleine floraison religieuse, intellectuelle et artistique au sein d'une Europe essentiellement chrétienne.
Normandie
Toutefois, le 29 septembre 1066, Guillaume, duc de Normandie, gendre du régent Baudouin, s'était emparé de la couronne anglaise, s'élevant aussi haut que le roi de France son suzerain… Après avoir réglé les conflits qui déchiraient la Flandre en épousant à dix-huit ans Berthe de Hollande, Philippe 1er avait dû veiller à ce que l'autorité de Guillaume, devenu pour tous “le Conquérant”, s'exerçât le moins possible en Normandie. Intervenant sans cesse dans cette province, il avait même soutenu les ambitions du fils aîné du Conquérant, Robert Courte-Heuse, un imbécile et un jouisseur pressé de gouverner la Normandie, mais qui la gouvernait si mal qu'à la mort de Guillaume (1087) le cadet de ses enfants Guillaume le Roux, devenant roi d'Angleterre, se soucia de remettre de l'ordre sur le continent. Philippe 1er, qui avait profité de ces escarmouches pour s'emparer du Vexin français, ne voyait pas avec plaisir l'Angleterre reconquérir la Normandie…
Élan de foi
Soudain, les esprits s'échauffèrent très vite, dans un gigantesque élan de foi, pour une tout autre cause : délivrer le tombeau du Christ des mains des Turcs Seldjoukides qui s'étaient emparés de Jérusalem. En cette année 1095, le pape Urbain II était le 15 août au Puy prêchant la croisade à une immense foule et en septembre au concile de Clermont lançant aux chevaliers un appel pathétique à partir pour la Terre sainte.
Or le roi Philippe ne put participer à ce vaste élan de jeunesse. Ce même concile de Clermont lançait contre lui l'excommunication ! Car il venait de répudier après vingt ans de mariage la reine Berthe de Hollande, pour se jeter dans les bras de la trop belle intrigante Bertrade de Montfort qu'il avait enlevée à son mari le peu sympathique Foulque le Réchin, comte d'Anjou. À ce même Foulque, son allié contre Guillaume, Philippe avait déjà pris en 1068 le Gâtinais pour se faire payer sa neutralité dans le conflit qui l'opposait à son frère Geoffroy le Barbu… Il avait alors oeuvré pour agrandir le royaume, mais, en enlevant une femme mariée il avait tout simplement, en dépit de l'évêque laxiste de Senlis qui bénit ce mariage adultère, poussé le pape à lancer l'interdit sur le royaume de France. Désormais les cloches s'arrêteraient de sonner dans les villes que traverseraient les époux concubins. Bertrade, femme “moderne” avant l'heure, n'allait pas hésiter un jour à se montrer toute rayonnante assise entre ses deux maris, le légitime et l'illégitime…
Cet engourdissement sensuel contrastait fort avec les hauts faits que réalisaient au même moment pour le Christ tant de chevaliers, européens, dont Godefroy de Bouillon, qui prirent Jérusalem le 15 juillet 1099, y fondant même un royaume. Faut-il gloser sur l'indolence de Philippe ? Il n'empêcha personne de partir à la Croisade : son propre frère Hugues de Vermandois s'y précipita comme toute la fine fleur de la noblesse française. Mais pour lui, roi d'un royaume encore jeune et fragile, aurait-il été sage d'abandonner la place sans véritable espoir de revenir un jour ? Grand capétien, paysan prudent et rusé, il préféra, au lieu de courir après la gloire, continuer la tâche ancestrale : faire la France, améliorer l'administration de son domaine (il délégua l'autorité à des prévôts) et surtout utiliser les circonstances en restant à l'affût des successions laissées vacantes par tel seigneur ayant dû s'endetter pour acheter son équipement de croisé. Ainsi réunit-il à la couronne la vicomté de Bourges.
Le “pré carré” s'agrandit
Philippe 1er arrondit considérablement le pré carré capétien. Il ne connut pas que des moments heureux avec Bertrade, très méchante à l'égard de ses enfants. Il semble toutefois qu'en annonçant sa volonté de cesser les pratiques simoniaques (le commerce des charges ecclésiastiques) il se soit réconcilié avec le pape Pascal II. À sa mort en 1108 au soir d'un règne de quarante-huit ans, reconnaissant le scandale qu'avait été une partie de sa vie il demanda à être inhumé non à Saint-Denis, comme ses prédécesseurs, mais à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, tandis que son fils Louis VI le Gros s'apprêtait déjà à dompter les grands barons et à protéger ainsi le peuple de France.
MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 18 juin au 1er juillet 2009

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