mercredi 24 août 2011

Les Khmers rouges


Le 27 juin 2011 s'est ouvert le procès de quatre des principaux dirigeants khmers rouges, responsables d'un des pires génocides du XXe siècle, perpétré contre leur propre peuple au nom d'une idéologie communiste.
Nuon Chea, Khieu Samphân, Ieng Sary et Ieng Thirith vont être - enfin - jugés. Ces quatre dirigeants Khmers rouges avaient appartenu, dès 1951, au « Cercle marxiste », formé en France par des étudiants cambodgiens et qui, dirigé par Ieng Sary, comptait aussi parmi ses membres Saloth Sâr, qui allait plus tard devenir le numéro 1 du régime Khmer rouge sous le pseudonyme de Pol Pot. Comme Ieng Sary, Saloth Sâr avait adhéré à l'époque au Parti communiste français, qui peut s'enorgueillir de compter parmi ses grands anciens deux des plus grands criminels de la seconde moitié du XXe siècle…
Après l'indépendance, en 1953, les dirigeants du Parti communiste du Kampuchéa - Saloth Sâr, Nuon Chea, Son Sen -, rentrèrent au Cambodge, où le pouvoir revint au roi Norodome Sihanouk, qui fut renversé en 1970 par son Premier ministre Lon Nol avec la bénédiction des Américains. Poussé par le Vietnam du Nord et par la Chine, Sihanouk s'allia alors avec les Khmers rouges pour constituer un gouvernement en exil dans lequel figuraient plusieurs ministres communistes, dont Khieu Samphân.
Alors que les bombardements aveugles et massifs opérés par les Américains sur la partie du Cambodge occupée par les Nord-Vietnamiens grossissaient les maquis, les Khmers rouges mirent en place à partir de 1972 une politique de collectivisation des terres et commencèrent à s'éloigner des Vietnamiens. En 1973, ils organisèrent des purges et des massacres qui poussèrent 60 000 personnes à fuir les zones qu'ils contrôlaient et des milliers d'autres à se rebeller, mais la répression fut féroce.
En 1975, les Américains se retirèrent du Cambodge, abandonnant à son sort le gouvernement de Lon Nol, et les troupes khmères rouges investirent le 17 avril la capitale, Phnom Penh, dont la population entière - malades des hôpitaux compris - fut évacuée, à pied, conformément au projet de Pol Pot (Saloth Sâr) prévoyant de vider les villes. Deux millions de personnes partirent en abandonnant tous leurs biens, et l'opération causa plus de 10000 morts. Les autres villes du pays subirent le même sort.
Angkar, le Big Brother cambodgien
Le régime qui se met alors en place évoque le roman d'Orwell, 1984. Big Brother, ici, s'appelle Angkar (l'Organisation), dont on parle comme d'une personne. Angkar règne par la terreur, les purges et la chasse aux « espions », le bourrage de crâne, à base de séances d'auto-critique, et par la faim. Les cadres du Parti eux-mêmes n'y échappent pas. Laurence Picq, une maoïste française ayant épousé un communiste khmer travaillait pour un ministère et faisait partie de la poignée d'habitants qui restait à Phnom Penh. Dans son livre Au-delà du ciel, elle raconte : « Puissance anonyme et sans visage, Angkar était omniprésente, aveuglément suivie et idolâtrée. Elle demandait à être servie inconditionnellement et en retour elle pourvoyait à tout ; Elle avait banni toutes les religions et croyances mais elle s'imposait comme un nouveau Dieu. (…) L'isolement et le cloisonnement renforçaient considérablement le travail idéologique d'Angkar. À cela s'ajoutait le fait que chacun était tenaillé en permanence par la faim, ce sur quoi Angkar jouait avec beaucoup de finesse. »
Le, sort des populations déportées dans les campagnes ou dans les camps de concentration est encore pire. Les familles sont dispersées. L'économie est en ruine et les coopératives rurales ne nourrissent pas la population. Laurence Picq décrit ainsi le paysage qu'elle découvre à l'occasion d'un voyage : « Je regardai se dérouler le paysage. Point de vie, point de cultures, des rizières en friche depuis des années… Une désolation infinie. Où était le miracle de la collectivisation ? La nature maîtrisée ? Les foules heureuses de citadins convertis ? Il était flagrant que le pouvoir central n'avait pas su s'imposer. Phnom Penh, la tête, n'avait ni corps, ni bras, ni jambes ! Tout n 'avait été qu'illusion et comédie ! »
En réalité, le pouvoir ne s'était que trop bien imposé et l'on avait affaire à une tragédie. Dans un livre récemment paru, Les Larmes interdites, Navy Soth, Cambodgienne réfugiée en France et partie civile au procès en cours, âgée de 3 ans lors de la chute de Phnom Penh, raconte ces quatre années d'enfer, au cours desquelles ont péri son père et quatre de ses frères et sœurs : le long chemin pour rejoindre un camp, la vie privée interdite, la mort omniprésente, le départ de son père sans que ses enfants aient eu le droit de l'embrasser, ni de pleurer, pour ne pas manifester des sentiments « bourgeois »
Dans les centres de rééducation où sont déportés les victimes des purges, les conditions de vie sont abominables, la torture et les exécutions couramment pratiquées, et l'espérance de vie ne dépasse pas trois mois.
Le bilan de ce génocide communiste s'élève au moins à 1,7 million de morts et probablement plus de 2 millions, en quatre ans, sur une population de moins de 8 mimons d'habitants.
Encore la tragédie ne finit-elle pas en 1979 avec l'invasion vietnamienne, accueillie comme une délivrance. Les Khmers rouges, de nouveau alliés avec Sihanouk, entretiendront une guérilla contre le gouvernement pro-vietnamien, avec le soutien, non seulement de la Chine,- mais de la Thaïlande, des États-Unis et de l'ONU (le Viet Nâm ayant pour sa part l'appui des Russes). La paix ne reviendra qu'en 1991, avec la signature des accords de Paris, plaçant le Cambodge sous l'autorité de l'ONU en attendant l'organisation d'élections libres.
Quant à Pol Pot, responsable de l'assassinat de l'ancien ministre communiste de la Défense, Son Sen en 1997, il sera arrêté par l'un des plus cruels dirigeants khmers rouges, Ta Mok, dit « le boucher ». Condamné à la prison à perpétuité, il mourra d'une crise cardiaque - dit-on - le 15 avril 1998.
Jean-Pierre Nomen monde & vie . 16 juillet 2011

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