lundi 26 septembre 2011

Chateaubriand, l’Europe et la menace islamique


Chateaubriand a été un des plus grands esprits de l’histoire française et donc de l’histoire moderne. La conclusion des "Mémoires d’outre-tombe" est tout bonnement prodigieuse d’intuitions, de constatations, de prévisions justes : il a vu le monde dans lequel nous allions tomber.
Le grand homme aura aussi été un très grand diplomate, ambassadeur d’ailleurs en Prusse, en Angleterre, à Rome ; sa carrière aura été tronquée par les jalousies et par la satanée monarchie de Juillet, prélude à toutes nos avanies, alors qu’il était en train de rendre à la France, c’est le cas de le dire, ses lettres de noblesse. Son livre sur le traité de Vérone est remarquable, comme son intervention dans l’affaire d’Espagne en 1823 est éblouissante.
Quelques années plus tard, il rédige dans son style magistral ces notes diplomatiques que peu de lecteurs lurent alors (Mémoires, 3 L29, chapitre 13). Elles concernent l’Angleterre, notre amitié avec la Russie et l’incontournable problème de l’islamisme et de la Turquie, toujours soutenue par l’Angleterre. L’auteur de "René" estime justement que l’histoire du monde eût été différente si on avait laissé les russes orthodoxes récupérer Constantinople quand il était encore temps.
Politiquement incorrect s’il en fut, le grand homme écrit que :
En principe de grande civilisation, l’espèce humaine ne peut que gagner à la destruction de l’empire ottoman : mieux vaut mille fois pour les peuples la domination de la Croix à Constantinople que celle du Croissant. Tous les éléments de la morale et de la société politique sont au fond du christianisme, tous les germes de la destruction sociale sont dans la religion de Mahomet.
On lui vante la modernisation économique et technique de ces contrées barbares : il la redoute...
C’est une faute énorme, c’est presqu’un crime d’avoir initié les Turcs dans la science de notre tactique : il faut baptiser les soldats qu’on discipline, à moins qu’on ne veuille élever à dessein des destructeurs de la société.
Je bois du petit lait quand je lis ces lignes sur l’amitié franco-russe. Alliance franco-russe, seul moyen de gagner les guerres et de retrouver notre rang :
Il y a sympathie entre la Russie et la France ; la dernière a presque civilisé la première dans les classes élevées de la société ; elle lui a donné sa langue et ses moeurs. Placées aux deux extrémités de l’Europe, la France et la Russie ne se touchent point par leurs frontières, elles n’ont point de champ de bataille où elles puissent se rencontrer ; elles n’ont aucune rivalité de commerce, et les ennemis naturels de la Russie (les Anglais et les Autrichiens) sont aussi les ennemis naturels de la France. En temps de paix, que le cabinet des Tuileries reste l’allié du cabinet de Saint-Pétersbourg, et rien ne peut bouger en Europe. En temps de guerre, l’union des deux cabinets dictera des lois au monde.
Ancien réfugié puis ambassadeur en Angleterre (son histoire d’amour avec Charlotte Ives est un des grands passages d’amours classiques des "Mémoires"), Chateaubriand ne se prive pourtant pas de remettre d’équerre (si j’ose dire) l’ordre anglo-saxon :
L’Angleterre, d’ailleurs, a toujours fait bon marché des rois et de la liberté des peuples ; elle est toujours prête à sacrifier sans remords monarchie ou république à ses intérêts particuliers... vouée tour à tour au despotisme ou à la démocratie selon le vent qui amenait dans ses ports les vaisseaux des marchands de la cité.
Inquiet sur l’affaire turque, parce qu’il lui appert que l’occident préfère la Sublime Porte à la Russie, Chateaubriand revient à la charge ; prophète là encore, il voit que la mondialisation des techniques et de la science militaire peut déboucher sur de nouvelles menaces :
Prétendre civiliser la Turquie en lui donnant des bateaux à vapeur et des chemins de fer, en disciplinant ses armées, en lui apprenant à manoeuvrer ses flottes, ce n’est pas étendre la civilisation en Orient, c’est introduire la barbarie en Occident.
Enfin, comme s’il annonçait notre maître et ami Jean Raspail :
Vous ne voulez pas planter la Croix sur Sainte-Sophie : continuez de discipliner des hordes de Turcs, d’Albanais, de Nègres et d’Arabes, et avant vingt ans peut-être le Croissant brillera sur le dôme de Saint-Pierre.
On n’y est pas tout à fait, mais quand même... Erdogan et quelques autres se frottent les mains.

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