vendredi 28 octobre 2011

Le Communisme occulte, un entretien avec Oleg Chichkine


Oleg Chichkine, est un historien moscovite dont les travaux portent principalement sur les années 1920/1930 et sur les liens entre l’occultisme et les services secrets soviétiques. Il est collaborateur des revues Soverchenno secretno, Oracul, Ogonek, Segodnya et prépare un ouvrage qui portera comme titre Le Communisme occulte.
Christian Bouchet : Vous affirmez que dans les années 1920/1930 le GPU s’est servi des sociétés secrètes …
Oleg Chichkine : Gleb Bokiy, le chef du service le plus secret du GPU, le Spetzotdiel, était un des dirigeants de la société secrète la Fraternité unie du travail. Il était communiste depuis 1901. Avant la révolution, il était franc-maçon dans une loge de Saint Petersburg.
L’histoire de son initiation est la suivante. En 1906, il a organisé dans l’Institut de géologie où il était étudiant, un groupe bolchevique clandestin sous la couverture d’une cantine gratuite pour les étudiants. La police a découvert l’existence du groupe bolchevique et Gleb Bokiy a été arrêté. Il avait un ami Paviel Mokievsky qui était un médecin et un hypnotiseur connu, ainsi que le responsable de la chronique philosophique dans la revue La Richesse russe qui était un journal d’orientation libérale. Paviel Mokievsky a donné trois mille roubles - une somme importante pour l’époque - comme caution pour libérer Gleb Bokiy. Or c’est ce même homme qui avait initié Gleb Bokiy en maçonnerie dans les premiers grades.
Les membres des degrés supérieurs connaissaient tous les initiés des degrés inférieurs mais pas le contraire. Un certain Bartchenko, dont on parlera par la suite, était maçon, au grade de Rose-Croix, dans la même loge, donc logiquement il devait être au courant de l’initiation de Gleb Bokyi par Paviel Mokievsky.
Cette organisation maçonnique était indépendante de celle de Papus mais coexistait avec celle-ci que dirigeait Moebens. La loge où avait été initié Gleb Boki avait son origine au XVIIIème siècle. Parmi ses hauts dignitaires du degrés de Rose-Croix, on trouvait Roerich, des orientalistes comme Oldenburg et le prince Tcherbatskoï.
Bartchenko que nous avons précédemment cité, quitta la loge en 1914. Il s’intéressait à l’idée de Shambhala. Après la révolution, Bartchenko devint un propagandiste bolchevique auprès des marins de la flotte de la Baltique. Il leur parlait de l’histoire de Shambhala de manière si enthousiaste qu’un comité de marins écrivit une lettre ouverte au Comité international des affaires étrangères des soviets pour organiser une expédition à Shambhala. Les membres de ce comité se portaient même volontaires pour libérer Shambhala du capitalisme ! Les documents sur cette affaire peuvent être consultés aux archives du Ministère des affaires étrangères.
En 1921, Bartchenko a organisé une expédition en Laponie soviétique. L’objet de ses recherches devait être l’étude de « l’hystérie arctique » (nom scientifique que l’on donnait alors à certaines manifestations du shamanisme comme la transe et l’hypnose). Il découvrit à cette occasion une vallée avec de nombreux menhirs où l’on sacrifiait encore des cerfs. Bartchenko pensa qu’il avait trouvé des restes d’une civilisation plus ancienne que l’égyptienne. Cela rentrait dans les idées sur les cycles de Papus.
Quand il est revenu à la civilisation, il a publié un compte rendu de ses découvertes dans La Gazette rouge vespérale sous le pseudonyme de X. Il a alors été contacté par Blumkine, un agent des services secrets qui s’était illustré précédemment en tuant l’ambassadeur allemand le baron Mirbach le 6 juillet 1918. Blumkine est venu chez Bartchenko et lui a proposé de collaborer avec les services secrets soviétiques et pour ce faire d’aller à Moscou. Avec Lounatcharski, Blumkine a organisé un laboratoire de biophysique dans l’enceinte du musée polytechnique de Moscou. Un personnage central de ce labo était Oldenburg. Malgré le fait qu’il ait été membre du gouvernement provisoire socialiste-révolutionnaire/menchevik, il était tenu en haute estime par les bolcheviques.
Quand Bartchenko est venu à Moscou, il y a eu une querelle entre lui et Oldenburg qui étaient pourtant issus de la même loge maçonnique. Bartchenko est donc retourné à Saint Petersburg et a choisi comme logement le temple bouddhiste tibétain de cette ville. Il a été initié au vajrayana par de hauts représentants de l’ambassade de Mongolie, Lama Naga Naven - qui était favorable à l’indépendance du Tibet occidental - et Hayan Hirva - celui-ci avait été initié au martinisme et était membre de la loge La Grand fraternité de l’Asie; après la seconde guerre mondiale il sera le chef des services secrets de Mongolie -. Ces gens là ont dit à Bartchenko qu’ils souhaitaient l’intégration du Tibet au sein de l’URSS, dans une grande fédération eurasiatique. À la même époque, Bartchenko a été en contact avec Chandorovski, un martiniste disciple de Gurdjieff, (celui-ci le cite dans Rencontre avec des hommes remarquable) qui était juriste par profession, violoniste par passion et secrétaire du Soviet des ouvriers et paysans de Iessentuki. Il a proposé à Bartchenko d’être le chef d’une structure similaire à une loge maçonnique qui serait la réplique de l’organisation de Gurdjieff fondée au Caucase et dont le nom serait la Fraternité unie du travail. Les responsables de cette fraternité furent Bartchenko, Chandorovski et Alexandre Kondihein - un astrophysicien -.
Deux semaines après la fondation de la loge, Bartchenko a eu la visite de Blumkine et celui-ci lui a proposé pour la seconde fois d’entrer dans les services secrets soviétiques du fait de ses recherches sur l’hypnose et la télépathie.
En décembre 1924, Bartchenko est venu à Moscou et a fait un discours à l’école du GPU où il a proposé d’organiser des recherches scientifiques sur la télépathie et sur le magnétisme, ainsi qu’une expédition à Shambhala.
Bartchenko a proposé à Gleb Bokiy d’entrer dans sa Fraternité, en plus de Gleb Bokiy qui a rejoint le conseil des dirigeants de la Fraternité, a aussi adhéré à celle-ci Moskvine, un membre du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, et l’adjoint du dirigeant du Comité populaire des affaires étrangères Stomoniakov. Les rituels utilisés provenaient de Gurdjieff, mais la symbolique était empruntée aux ouvrages d’Anastasius Kircher. Le nom ésotérique de Gleb Bokiy était Vostokov (Parole d’Orient) et son signe était Saturne.
Le GPU utilisait ce groupe pour ses liens internationaux et en particulier avec l’Orient pour sa politique étrangère.
CB.: Y a-t-il eu des liens entre ce groupe et les Constructeurs de Dieu ?
OC.: Lounatcharski habitait dans la même maison, au même étage que Blumkine. Lounatcharski aurait été maçon comme Tchitchérine. Il a joué un rôle dans le transfert de Bartchenko à Moscou.
Certains auteurs l’ont accusé d’avoir organisé des messes noires sur la tombe de sa fille décédée, mais il ne s’agissait sans doute que de séance de spiritisme …
Il n’est pas inutile de faire référence aussi ici à Alexandre Bogdanov, de son vrai nom Malinovski, un des idéologues du Parti communiste bolchevique, considéré un temps comme l’égal de Lénine (qui le critique dans son livre Matérialisme et empiriocriticisme). Membre du groupe ultra-gauchiste En avant !, il est une des têtes des Constructeurs de Dieu avec Lounatcharski.
Ecrivain de romans de science fiction, il est l’auteur de L’Etoile rouge, Ingénieur Menni, etc. où il décrit le socialisme réalisé sur la planète Mars, un socialisme représenté comme le gouvernement occulte d’une société secrète d’initiés nommés les Frères inconnus; une banque du sang qui répartit de manière permanente le sang des membres entre eux et permet la régénération permanente de ceux-ci; une théurgie des ingénieurs comme classe de nouveaux initiés.
Ses romans en fait relataient ses croyances profondes, dont celle que le plus grand ennemi du socialisme c’est la mort du corps. Après la prise du pouvoir par les bolchevique, il se fit nommer directeur de l’Institut de transfusion du sang et décéda le 13 avril 1928 - il était né le 10 août 1873 - lors d’une transfusion sanguine collective !…
CB.: Et avec les Cosmiques, y eut-il aussi des liens ?
OC.: Ils se réclamaient de la même autorité, le savant Tchigevski, un disciple de Federov le fondateur des Cosmiques, qui vouait un culte scientifique au soleil et qui a fondé l’Institut du soleil d’URSS, et leurs travaux scientifiques étaient parallèles.
Un cousin de Gurdjieff, nommé Mercurov, était sculpteur. C’est lui qui réalisa le masque mortuaire de Lénine. Il était aussi à la fois membre de la Fraternité de Bartchenko et un admirateur de Tchigevski. Tout se tient …
CB.: Et avec la Synarchie ?
OC.: Saint Yves d’Alveydre a rencontré Dordzhiyev, un conseiller du Dalaï Lama. Dordzhiyev est connu pour avoir introduit en Europe l’idée de Shambhala.
Guénon a fait remarquer dans Le Roi du monde qu’Ossendovski ne pouvait pas connaître Saint Yves d’Alveydre car aucun de ses livres n’avaient été traduits en Russe. Or l’oeuvre de Saint Yves d’Alveydre fut traduite dès 1912. De surcroît il n’est pas exclu qu’Ossendovski, homme cultivé, maîtrisa fort bien les langues étrangères.
En Russie, avant la révolution, les idées de Saint Yves d’Alveydre étaient connues d’un large public occultiste, cela d’autant plus que la femme de Saint Yves d’Alveydre, la comtesse Keller, était russe.
Bartchenko qui avait lu Saint Yves d’Alveydre, fait un parallèle entre le communisme et la société rêvée par ce dernier. On peut en conclure à l’existence d’une manipulation des partisans de Saint Yves d’Alveydre par le GPU, d’ou la création d’une loge nommée Aggartha au sein du Grand Orient de France considérée comme manipulée par le GPU.
CB.: N’a-t-on pas aussi parlé de contacts entre Roerich et le GPU ?
OC.: Les rapports entre Nicolas Roerich et le GPU sont maintenant avérés. Il est acquis que Roerich, qui est devenu une gloire nationale russe, était un agent d’influence soviétique en Inde.
CB.: Que sont devenus tous ces personnages dont nous venons de parler ?
OC.: Blumkine a été accusé de trotskisme et fusillé en 1929, Bokiy a été fusillé en 1937, Bartchenko a été accusé d’avoir organisé une loge « maçonnico-fasciste » et a été fusillé le 30 avril 1938, Mercurov lui est mort de mort naturelle en 1952 après être devenu le plus célèbre sculpteurs de monument à Lénine et à Staline.
Christian Bouchet http://www.voxnr.com/

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