mardi 3 janvier 2012

L’armée dans une nation ( octobre 2008 )

Paul Bourget souligne qu’il n’existe pas de conquête définitive : la paix est fragile et doit être cultivée avec soin.
« D’un bout à l’autre de l’histoire, nous constatons que les peuples qui ont voulu, enivrés de leur civilisation, s’en faire un instrument de jouissance et de paix, ont été livrés comme des proies à des peuples plus rudes. Ils ont été envahis et asservis. Leur renoncement, la largeur de leur hospitalité ne les ont pas sauvés ; ni même leur supériorité de culture, s’ils n’ont pas su la défendre les armes à la main. Nous ne possédons rien qui ne soit menacé, dès que nous n’avons plus l’énergie de maintenir cette possession par la force. Toute propriété n’est qu’une conquête continuée. C’est sa légitimité et c’est sa noblesse. Trop souvent les nations comblées sont tentées d’oublier ces vérités. »
PAUL BOURGET

Discours de réception à l’Académie française d’Émile Boutroux (1), 22 janvier 1914
En ces temps de réduction des effectifs et des budgets de la Défense nationale, après la mort de soldats français dans des opérations lointaines, il est bon de méditer les leçons de l’histoire.

Si nous regardons le texte de près, un rapprochement nous vient immédiatement à l’esprit : « instrument de jouissance et de paix » fait penser à « l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice » dans l’appel du maréchal Pétain du 20 juin 1940. « Largeur de leur hospitalité », « supériorité de culture » évoque les illusions libérales des socialistes utopistes et des démocrates-chrétiens. Je suis gentil, accueillant, généreux ; j’invite tous les hommes à partager les Lumières du Progrès. Qui pourrait avoir l’idée de m’attaquer ? Je ne menace personne ; regardez, je ne suis même pas armé. Gros benêt ! tu es bon pour servir un maître.

Leçons de l’histoire

L’histoire l’enseigne par ses exemples, de l’Antiquité à l’époque moderne. Prenons un exemple en sortant des sentiers battus. Après la mort de l’empereur Basile II en 1025, la bureaucratie byzantine, la cour de Byzance affectèrent un antimilitarisme. Il était de bon ton chez les beaux esprits, comme Psellos, le type même de l’intellectuel néfaste, de se moquer de l’aristocratie anatolienne, terrienne et militaire. L’armée byzantine fut négligée et l’empire subit un désastre face aux musulmans en 1071. La Croisade sauva Byzance.

Paul Bourget donne l’explication de cette leçon de l’histoire toujours réitérée : « Toute propriété n’est qu’une conquête continuée. » Il n’existe pas de conquête définitive, et la paix, comme la santé, n’est qu’une absence fragile de maux qu’on doit cultiver avec soin. Saint Luc écrit : « Si un homme fort et armé garde sa maison, ce qu’il possède est en sécurité. »
Par sa seule présence dans la nation, le soldat rappelle ces évidences trop vite oubliées par les peuples. Nous avons besoin d’une armée puissante, bien équipée, bien entraînée. Cela exige des efforts financiers, mais l’aspect matériel de la défense ne suffit pas à l’assurer. Comme l’écrivait Ernest Psichari dans L’Appel des armes, « l’armée comporte en elle-même sa morale, sa loi et sa mystique. Avoir pratiqué cette morale, affirmé cette loi, senti cette mystique, c’est avoir défendu, en soi et autour de soi, un des éléments vitaux du pays. »

Défense et démocratie

Ces deux termes sont inconciliables. Les démocraties guerrières, comme la Cité antique, étaient des aristocraties. Hiérarchie, obéissance n’entrent pas dans les valeurs de la philosophie libérale. Peut-on imaginer, quand sévit la démagogie, et toute démocratie finit en démagogie, une volonté déterminée, suivie, de fabriquer des armes en souhaitant qu’on les détruise un jour pour les remplacer par de meilleures sans qu’elles aient été utilisées sur le champ de bataille ? Quelle dépense inutile, ne votons pas l’impôt ! Seul un pouvoir qui possède le sens de l’intérêt général et qui dispose de l’indépendance et de la durée, peut comprendre et faire comprendre que l’arme qu’on détruit pour la remplacer a mieux servi que celle qui a été utilisée, puisqu’elle a aidé la diplomatie à préserver le fragile « chef-d’oeuvre de l’art humain » (2) qui se nomme la paix.

Quelques mois après le discours de Paul Bourget éclatait la guerre mondiale que la République avait mal préparée. Le sang français compensa l’impéritie démocratique. Relisons Kiel et Tanger.
GÉRARD BAUDIN L’Action Française 2000 du 18 septembre au 1 er octobre 2008
Notes :
1 -- Emile Boutroux (1845-1921) fut professeur d’histoire de la philosophie moderne à la Sorbonne. Les ouvrages techniques du général Hippolyte Langlois (1839-1912), polytechnicien, professeur de tactique d’artillerie à l’École supérieure de guerre, firent autorité.
2 -- Le mot est de Maurras.

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