vendredi 15 juin 2012

La révolte exemplaire des légionnaires romains, racontée par Tacite

Tacite l’admirable... Voici comment il nous dépeint une agitation politique, celle des légionnaires, si proches, avant le net, d’une révolte des étudiants, d’un printemps arabe, d’une péripétie mondaine. C’est dans le livre I des "Annales", chapitre XVI et XVII, qu’on a si mal lues à l’école... Nous sommes sous Tibère.
« Telle était à Rome la situation des affaires, quand l’esprit de révolte s’empara des légions de Pannonie ; révolte sans motif, si ce n’est le changement de prince, qui leur montrait la carrière ouverte au désordre et des récompenses à gagner dans une guerre civile. »
Le printemps légionnaire va éclater. Il vient de l’inactivité et de l’oisiveté, si propices à déclencher des troubles... La mutinerie débute comme une fable d’Esope :
« Trois légions étaient réunies dans les quartiers d’été, sous le commandement de Junius Blésus. En apprenant la fin d’Auguste et l’avènement de Tibère, ce général avait, en signe de deuil ou de réjouissance, interrompu les exercices accoutumés. »
Et là intervient un acteur. On sait le rôle que jouent les acteurs dans les révolutions (Couthon, en France), le rôle subversif du théâtre (Napoléon pensait à la Comédie-Française à Moscou...) et des spectacles modernes. Lisez bien Tacite, c’est tout bonnement extraordinaire.
« De là naquirent, parmi les soldats, la licence, la discorde, l’empressement à écouter les mauvais conseils, enfin l’amour excessif des plaisirs et du repos, le dégoût du travail et de la discipline. Il y avait dans le camp un certain Percennius, autrefois chef d’entreprises théâtrales, depuis simple soldat, parleur audacieux, et instruit, parmi les cabales des histrions, à former des intrigues. Comme il voyait ces esprits simples en peine de ce que serait après Auguste la condition des gens de guerre, il les ébranlait peu à peu dans des entretiens nocturnes ; ou bien, sur le soir, lorsque les hommes tranquilles étaient retirés, il assemblait autour de lui tous les pervers. »
Le Percennius est un bolchevik en herbe qui va reprendre tous les poncifs des révolutionnaires de toutes les époques, ceux qui remplacent un ordre ancien par un désordre nouveau ou un ordre bien pire encore. Plus question d’obéir !
« Enfin lorsqu’il se fut associé de nouveaux artisans de sédition, prenant le ton d’un général qui harangue, il demandait aux soldats pourquoi ils obéissaient en esclaves à un petit nombre de centurions, à un petit nombre de tribuns. Quand donc oseraient-ils réclamer du soulagement, s’ils n’essayaient, avec un prince nouveau et chancelant encore, les prières ou les armes ? C’était une assez longue et assez honteuse lâcheté, de courber, trente ou quarante ans, sous le poids du service, des corps usés par l’âge ou mutilés par les blessures. Encore si le congé finissait leurs misères ! Mais après le congé il fallait rester au drapeau, et, sous un autre nom, subir les mêmes fatigues. Quelqu’un échappait-il vivant à de si rudes épreuves ? On l’entraînait en des régions lointaines, où il recevait comme fonds de terre, la fange des marais et des roches incultes. »
Tacite voit bien que dans une révolution tout repose sur une manipulation : les gens doivent être convaincus qu’ils sont malheureux. C’est à cette condition qu’ils sont prêts à tout risquer. Le style indirect, Tacite le manie de main de maître. Ce génie historien comprend avant les stratèges des propagandes et les agitateurs professionnels les méthodes de contagion mentale, comme disait Gustave Le Bon. Il écrit plus loin :
« XXXI. Presque dans le même temps et pour les mêmes raisons, les légions de Germanie s’agitèrent plus violemment encore, étant en plus grand nombre... Quand on apprit la fin d’Auguste, une foule de gens du peuple, enrôlés depuis peu dans Rome, et qui en avaient apporté l’habitude de la licence et de la haine du travail, remplirent ces esprits grossiers de l’idée "que le temps était venu, pour les vieux soldats, d’obtenir un congé moins tardif, pour les jeunes d’exiger une plus forte paye, pour tous de demander du soulagement à leurs maux et de punir la cruauté des centurions." »
L’agitation dégénère souvent en messianisme ; et le messianisme apocalyptique dégénère en barbarie comme 1789, comme en 1917 et bien sûr en 1933. On s’en prend aux élites que l’on veut écharper. Ici ce sont les centurions qui font les frais de ce millénarisme libérateur :
« Soudain la fureur les emporte, et ils fondent l’épée à la main sur les centurions, éternels objets de la haine du soldat, et premières victimes de ses vengeances. Ils les terrassent et les chargent de coups, s’acharnant soixante sur un seul, comme les centurions étaient soixante par légion. Enfin ils les jettent déchirés, mutilés, la plupart morts, dans le Rhin ou devant les retranchements. »
Comment dit-on, déjà, rien de nouveau sous le sommeil ?
par Nicolas Bonnal  http://www.france-courtoise.info

Aucun commentaire: