mardi 4 septembre 2012

Labyrinthe et "Trojaborg" Deux traits caractéristiques de la préhistoire nord-européenne

Il est une règle en archéologie qui veut que la fréquence des découvertes sur un site prouve que ce site est le site originel de l'objet en question. Dans le cas du symbole que sont les labyrinthes, le site d'origine doit être le nord de l'Europe et non le sud. Environ 500 labyrinthes de pierre ont été découverts en Europe septentrionale, jusqu'aux confins de l'Océan Arctique. Bon nombre de ces labyrinthes datent de la préhistoire européenne, y compris ceux du Grand Nord. Dans la zone méditerranéenne, on ne trouve que rarement ce symbole, perennisé dans les alignements de pierres.
En règle générale, le labyrinthe est considéré comme une sorte de jardin, conçu pour jouer à s'égarer. Tous ceux qui ont eu l'occasion de visiter des labyrinthes de haies dans les jardins et parcs anglais, français ou italiens, sauront combien il est parfois difficile de retrouver le chemin de la sortie. Le labyrinthe, en conséquence, est considéré par la plupart de nos contemporains, comme un jeu où l'on s'amuse à s'égarer. Beaucoup de princes européens du XVIe au XIXe siècle se sont fait installer des jardins labyrinthiques pour amuser et distraire leurs invités. Parmi les plus célèbres labyrinthes français, citons ceux de Versailles, de Chantilly, du Jardin des Plantes ; en Angleterre, les labyrinthes de Hatfield House, de Hertfordshire, de Hampton Court Palace (à Londres), ainsi que le grand labyrinthe de Hazlehead Park à Aberdeen ; en Italie, aujourd'hui, on peut encore visiter le célèbre labyrinthe de haies de la Villa Pisani à Stra, à l'ouest de Venise, avec une tour et une statue de Minerve au centre. Ce sont là les labyrinthes les plus connus et les mieux conservés aujourd'hui. 200.000 touristes parcouraient chaque année les allées du labyrinthe de Stra, jusqu'au moment où il a fallu les fermer au public qui devenait vraiment trop nombreux et risquait d'abîmer le site.
Quant au touriste qui s'intéresse à l'histoire de l'art, il peut visiter de nombreux labyrinthes de mosaïques, surtout dans des églises. Ceux qui se rendent en Italie pourront en voir de très beaux dans l'église Santa Maria di Trastevere à Rome, ou encore dans l'église San Vitale de Ravenne, dont le sol présente un magnifique labyrinthe. Dans la cathédrale de Lucca, on peut apercevoir un labyrinthe gravé dans un mur et flanqué d'une inscription latine signifiant "Ceci est le labyrinthe que le Crétois Dédale a construit". En France, notons les labyrinthes de la Cathédrale de Bayeux et de l'église de Saint-Quentin, qui attirent, aujourd'hui encore, de nombreux amateurs d'art. En territoire allemand, nous ne trouvons aujourd'hui plus qu'un seul labyrinthe : dans la crypte de la Cathédrale de Cologne.
Mais en Allemagne, comme en divers endroits d'Angleterre, on peut encore voir les traces, dans l'herbe, de très anciens labyrinthes comme la Roue (Rad) d'Eilenriede près de Hannovre ou les labyrinthes d'herbe de Steigra et de Graitschen en Thuringe. Malheureusement, le magnifique labyrinthe de Stolp en Poméranie, l'un des plus beaux du monde, a été détruit. 

En Angleterre, une bonne centaine de labyrinthes

En Angleterre, au contraire de l'Allemagne où l'on ne trouve plus que les 3 labyrinthes que je viens de citer, le touriste amateur de sites archéologiques pourra en visiter une bonne centaine. Dans les Iles Britanniques, on les appelle Troy-town  ou Murailles de Troie (Walls of Troy), exactement comme plusieurs labyrinthes scandinaves encore existants (Trojaborg ; en all. Trojaburg). À l'évidence, labyrinthes britanniques et labyrinthes scandinaves sont structurellement apparentés. Car il ne s'agit pas de constructions de modèle simple, édifiées pour le seul plaisir du jeu, mais d'une allée unique serpentant circulairement vers un centre, pour en sortir immédiatement, toujours en serpentant. Il est intéressant de noter que les élèves des écoles primaires, en Scandinavie, apprenaient encore, dans les années 30, l'art de "dessiner des labyrinthes".
Avant de nous pencher sur la signification étymologique des termes "labyrinthes" et "Trojaborg" (Troy-town ; Troja-burg),  je voudrais d'abord signaler qu'aujourd'hui, sur le territoire suédois, j'ai dénombré 296 Trojaborge de pierre, dont les diamètres varient entre 4 et 24 m et qui comptent généralement 12 segments circulaires ; en Finlande, y compris les Iles Åland, j'en ai dénombré 150 ; dans le nord de l'Angleterre, 60 (dont 15 sont fouillés par des archéologues professionnels) ; en Norvège, 24 ; en Estonie, 7 ; en Angleterre méridionale, 2 ; sur le territoire de la RFA (avant la réunification), 1. Nous arrivons ainsi au nombre de 540 Trojaborge nord-européens en pierres, auxquels il faut ajouter la centaine de labyrinthes en prairie des Iles Britanniques et leurs 3 équivalents allemands. Malheureusement, la zone archéologique méditerranéenne ne compte plus, aujourd'hui, de labyrinthes de ce type ; seuls demeurent les labyrinthes des églises et ceux, récents et en haies, des parcs. Nous pouvons en revanche découvrir des labyrinthes gravés sur des parois rocheuses, comme dans le Val Camonica dans les Alpes italiennes, ou à Pontevedra en Espagne septentrionale. Ce labyrinthe ibérique présente le même modèle que celui découvert sur la pierre irlandaise de Wicklow et celui de Tintagel en Cornouailles.
J'ai cherché à découvrir un labyrinthe en Crète, qui confirmerait la légende de Thésée et Ariane. Je n'ai pas découvert le fameux labyrinthe de Cnossos. Or, on associe très justement la Crète au symbole du labyrinthe, car, au British Museum et dans le Musée de l'Antiquité de Berlin, les visiteurs peuvent y voir des labyrinthes sur des monnaies crétoises du IIième et du Vième siècle avant notre ère. En Égypte, pays d'où nous viendrait, d'après les linguistes, le terme "labyrinthe" (Loperohint, soit le palais à l'entrée du lac, allusion à un labyrinthe disparu, qui se serait situé sur les rives du Lac Méri), je n'ai pas eu plus de chance qu'en Crète et je n'ai pas trouvé la moindre trace d'un labyrinthe. D'autres spécialistes de l'étymologie croyent que l'origine du mot labyrinthe vient du terme "labrys", qui désigne la double hache crétoise. 

Un piège pour l'astre solaire ?

Quant au nom scandinave de Trojaborg,  il n'a rien à voir avec la ville de Troye en Asie Mineure, comme l'a prouvé un spécialiste allemand des symboles, qui vivait au siècle dernier, le Dr. Ernst Krause. Trojaborg  serait une dérivation d'un terme indo-européen que l'on retrouve en sanskrit, draogha,  signifiant "poseur de pièges". Dans la mythologie indienne, en effet, existe une figure de "poseur de pièges", qui pose effectivement des pièges pour attraper le soleil.
En langue vieille-persique, nous retrouvons la même connotation dans la figure d'un dragon à trois têtes, du nom de druja;  en langue suédoise dreja  signifie l'acte de "tourner" ou de manipuler un tour. Le sens caché du labyrinthe se dévoile dans la légende de Thésée et d'Ariane, dans l'Edda et dans la Chanson des Nibelungen, où nous retrouvons, partout, une jeune fille solaire gardée par un dragon ou un Minotaure, symboles des forces de l'obscurité. Le mot "Troja" se retrouve, outre dans le nom de la ville de l'épopée homérique, dans le nom de centaines de labyrinthes scandinaves et britanniques, dans la danse labyrinthique française, le Troyerlais, dans la ville de Troyes en Champagne, dans les trojarittes de la Rome antique, dans le nom de Hagen von Tronje, figure de la Chanson des Nibelungen. Des dizaines de noms de lieu en Europe portent la trace du vocable "troja".
Le Prof. Karl Kerényi, l'un des principaux spécialistes contemporains des mythes et des symboles, est l'un des très nombreux experts qui admettent aujourd'hui l'origine nordique du symbole du labyrinthe. Les pays du Nord, pauvres en soleil, développent une mythologie qui cherche à rendre cet astre captif, au contraire des mythologies du Sud de l'Europe. Les archéologues spécialisés dans la préhistoire, sur base de leurs fouilles, datent les labyrinthes nord-européens de l'Âge du Bronze (de 1800 à 800 avant notre ère) ; les labyrinthes sur parois rocheuses de l'Europe centrale, de même que le labyrinthe en pierres plates d'argile de Pylos dans le Péloponèse, datent, eux, de 1200 à 1100 avant notre ère. Un labyrinthe de vases étrusque date, lui, du VIIe ou du VIe siècle avant notre ère, tandis que les monnaies de Cnossos, sur lesquelles figurent des la-byrinthes, datent du Vième et du IIième siècle avant notre ère.
La ressemblance est frappante entre les labyrinthes des monnaies crétoises du IIe siècle avant notre ère et la configuration du labyrinthe suédois de Visby en Gotland. Cette configuration, nous la retrouvons dans de nombreux sites de Suède, et aussi en Norvège, en Finlande et en Estonie. D'où, la question de l'origine septentrionale de ces symboles labyrinthiques se pose tout naturellement.
Ces labyrinthes reflètent le tracé astronomique des planètes. Les mythes associés aux labyrinthes, d'après de nombreux chercheurs et érudits, reflètent la nostalgie du soleil chez les peuples des régions septentrionales de l'Europe.
► Dr. Frithjof Hallman, Combat païen n°19, 1992. (texte issu de Mensch und Maß, 23.2.1992)

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