mercredi 19 septembre 2012

Louis XIV face au jansénisme

Aimé Richardt retrace l'histoire du jansénisme. Ce faisant, il met en scène les protagonistes d'une querelle qui ébranla les théologiens, tout en révélant de profonds conflits de pouvoir.
Toute erreur religieuse débouche un jour ou l'autre sur une erreur politique, parce qu'il s'agit d'une erreur sur la place de l'homme dans l'ordre de la Création. L'on sait combien Louis XIV a voulu protéger son royaume des égarements jansénistes. Pour comprendre quelque chose à la question passablement embrouillée de l'influence de Jansénius au cours du XVIIe siècle, il importe de lire la seconde édition de l'ouvrage que lui a consacré l'historien Aimé Richardt. Celui-ci, lauréat de l'Académie française, n'est pas un inconnu pour nos lecteurs puisqu'il a publié de nombreux ouvrages sur le XVIIe siècle dont il traite avec compétence et élégance et auxquels nous avons donné écho avec plaisir dans nos colonnes.
La liberté et la grâce
Une querelle s'était élevée au sujet de la liberté et de la grâce après la publication en 1641 du livre majeur de Cornélius Jansénius (1586-1638), évêque d'Ypres. Il prétendait y exposer la pensée de saint Augustin, assez pessimiste sur l'homme et sa capacité du bien sans le secours de la grâce, à l'opposé de la thèse soutenue par les jésuites, lesquels allaient devenir dès lors les adversaires acharnés du jansénisme. Très vite l'affaire remonta à Rome où le pape Innocent X condamna par la bulle Cum occasione (1653) cinq propositions que l'on disait tirées du livre. Ces propositions, dont la dernière laissait croire que Jésus était mort pour les seuls prédestinés, étaient déclarées hérétiques, ou du moins téméraires.
Louis XIV, qui venait de prendre personnellement le pouvoir à la mort de Mazarin, afficha dans l'affaire une détermination remarquable. Le 18 décembre 1660, il réunit les présidents de l'assemblée du clergé et leur déclara que « pour son salut, pour sa gloire et pour le repos de ses sujets », il voulait terminer l'affaire, puis il leur enjoignit de « s'appliquer à chercher les moyens les plus propres et les plus prompts pour extirper cette secte » et leur promit « de les appuyer de son autorité ». Le 13 avril 1661, un arrêt de conseil d'État imposait aux ecclésiastiques, aux religieux et aux maîtres d'école la signature d'un formulaire anti-janséniste. Le couvent de Port-Royal résista et reçut la visite du lieutenant civil de Paris...
Puis le roi ordonna aux deux grands vicaires de Paris de faire signer le formulaire. L'un de ceux-ci publia à cet effet le 8 juin 1661 un mandement distinguant le fait que ces propositions existassent et fussent condamnables et le droit au nom duquel rien ne prouvait qu'elles fussent dans le livre de Jansenius, ce qui engendra un belle cacophonie. Les soeurs signèrent alors au compte-goutte. Échec pour les vicaires généraux qui apparurent comme des semeurs de zizanie. Ils durent publier le 31 octobre 1661 un second mandement. Le nouvel archevêque de Paris, Mgr de Péréfixe, obtint assez rudement un "nettoyage" de Port-Royal avec changement de mère supérieure.
Le rôle d'un roi
Finalement l'on parvint dès 1668 à une situation que l'on appela paix de l'Église. D'ailleurs toute relative, car dès 1679 recommencèrent les escarmouches, provoquant de la part du nouveau pape, Clément XI, la publication d'une nouvelle bulle renouvelant les précédentes, chose qui réveilla le vieux fond gallican du clergé français. Tandis que le couvent de Port-Royal-des-Champs hésitait à se soumettre à cette bulle, le lieutenant de police de Paris, M. d'Argenson, ordonna la dispersion des religieuses et la démolition des bâtiments.
Aimé Richardt a le talent d'exposer clairement des choses complexes ; son livre campe aussi le portrait de personnalités exceptionnelles, à commencer par Jansénius lui-même et l'abbé de Saint-Cyran, et toute la famille des Arnauld, dont mère Angélique qui mourut de devoir signer le formulaire. On voit aussi Blaise Pascal mettre son talent au service de cette cause douteuse dans ses dix-huit Provinciales avant de mourir en 1662 en pleine bataille du formulaire. L'histoire du jansénisme est celle d'un affrontement entre des caractères entiers, jamais prêts à plier. Mais tout se passait dans le siècle de Racine, de Mme de Sévigné, de Bossuet, déjà un peu de Fénelon. Aimé Richardt les entrevoit, ainsi que les grands événements du temps, notamment les malheurs de la fin du règne de Louis XIV (1715). Cela donne un livre riche par son érudition et la finesse de ses évocations.
Louis XIV agit en tant que fils de Clovis et de saint Louis, il s'opposait à ce noyau de subversion, dont Mgr Guillaume, évêque de Saint Dié, dit dans la préface du livre qu'« exaltant l'univers de la conscience, il a favorisé le processus d'individualisation dans une société établie sur des liens de dépendance des hommes et des biens, il a accéléré l'évolution bourgeoise et contribué au déclin de l'Ancien Régime ». Ce n'est pas un hasard si les chefs de la Révolution dite française les plus hostiles à l'Église catholique allaient être marqués par le gallicanisme janséniste.
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 20 octobre au 2 novembre 2011
✓ Aimé Richardt, Le Jansénisme - De Jansénius à la mort de Louis XIV, F.-X. de Guibert, 277 p., 25 €

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