jeudi 8 novembre 2012

Il y a 140 ans, la Commune

L'insurrection de la Commune s'acheva en mai 1871 par une semaine sanglante. Cent quarante ans plus tard demeure le souvenir d'une cassure entre deux France, celle des ouvriers et celle des bourgeois.
Les républiques en France ne sont jamais nées dans le calme. Elles ont toujours dû se faire apprécier selon leur aptitude à venir à bout, fût-ce en tirant sur le peuple, des désordres que leur faux ordre, l'ordre bourgeois, avait engendrés dans le pays. N'évoquons même pas la Ière, née tout simplement dans et de la Terreur. Les plus récentes n'échappèrent pas à la règle, la IVe se nourrissant péniblement des affres de l'Épuration et la Ve devant de n'être pas morte au bout de moins de dix ans à la seule répression implacable et sauvage qu'un chef de l'État dont on aime mieux taire le nom infligea à la population française d'Algérie...
Paris en colère
Adolphe Thiers, "Monsieur Thiers", fut un de ces hommes dans les années 1870, qui se chargea de rendre la IIIe république acceptable parce qu'il sut faire régner l"ordre" à tout prix. Il faut rappeler que l'hiver 1870-1871 est restée longtemps comme "l'année terrible" dans le souvenir des Français. On avait dès le 4 septembre renversé l'empire de Napoléon III, mais la guerre lancée à la légère et sans préparation contre la Prusse par l'empereur n'était pas terminée. Nos armées levées à la hâte étaient battues tour à tour tandis que Paris assiégé mourait de faim et de froid, et des bombardements commencèrent le 5 janvier, quelques jours avant le 18, jour où Guillaume 1er de Prusse se fit proclamer empereur d'Allemagne dans la Galerie des Glaces à Versailles. Suprême humiliation pour la France. La Grande Allemagne naissait pour le malheur de l'Europe entière.
Thiers désirait la paix, contrairement au "fou furieux" Léon Gambetta qui avait désapprouvé l'armistice et qui dut alors démissionner du gouvernement de la Défense nationale. Tandis que l'insurrection couvait dans Paris, le suffrage universel trancha en faveur des conservateurs monarchistes le 8 février en envoyant à l'Assemblée nationale quatre cents légitimistes ou orléanistes sur six cent cinquante députés. Le rusé Thiers, qui n'était pas à un retournement de veste près, fit admettre l'idée que l'on remît à plus tard la question du régime, car il pensait ainsi habituer les esprits à « la république, le régime qui nous divise le moins » disait-il... La révolte qui éclata à Paris à ce moment-là lui donna l'occasion de s'affirmer comme un sage et un homme à poigne ce qui plaisait particulièrement à la bourgeoisie.
La tragédie de la Commune commença le 18 mars quand l'Assemblée nationale décida de siéger à Versailles. Paris "décapitalisée" se rebiffa et quand Thiers envoya la troupe reprendre les canons sur les hauteurs de Belleville et de Montmartre, les Parisiens, pensant que ces canons étaient leur propriété, s'insurgèrent. La troupe était peu sûre et de fait elle fraternisa avec les émeutiers laissant fusiller les généraux Lecomte et Clément Thomas. La population ouvrière (car les bourgeois avaient déjà fui..) avait tous les éléments de la sans-culotterie.
Le temps des cerises
« La révolution "patriote", dit Jacques Bainville, s'associait bizarrement à l'Internationale socialiste, la vieille conception jacobine de la Commune à des idées de fédéralisme communal fort éloignées de la république une et indivisible. Le fonds général c'était l'esprit d'émeute » encore aggravé par l'exaspération causée par la faim, l'inconfort et les travaux urbanistes du baron Haussmann qui lui avaient arraché son espace urbain. Qui plus est, cette population ouvrière abandonnée à elle-même et à sa misère par le libéralisme économique d'alors n'avait aucune éducation religieuse ni morale. Tout ce qu'il fallait pour former une proie facile pour les agitateurs de tout poil et les aventuriers en tout genre.
La "fête" dura presque deux mois sous les yeux de l'occupant allemand, devant qui Thiers eut quand même le bon goût de ne pas accepter l'aide que Bismarck lui proposait. Les Communards fusillèrent ou massacrèrent des quantités d'otages. On votait à tour de bras pour maintenir la tension, c'était vraiment la démocratie directe, le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, avec tout ce que cela comportait d'autogestion, et de surexcitation, sur l'air de la ritournelle d'alors, Le Temps des cerises.
Puis le 21 mai les "versaillais "entrèrent dans Paris. Les insurgés furent refoulés quartier par quartier. Et commença ce que l'on a appelé la semaine sanglante au cours laquelle, dans une atmosphère réellement apocalyptique, les Communards incendiaient monuments et rues pour ralentir l'avancée de la troupe. Ainsi fut renversée la colonne Vendôme, brûlèrent le palais des Tuileries, le palais de Justice où la Sainte Chapelle fut épargnée de justesse, le palais d'Orsay, l'Hôtel de Ville, le Mobilier national. La bibliothèque de l'Hôtel de Ville et la totalité des archives de Paris furent anéanties ainsi que tout l'état civil parisien. Lisons Bainville : « Dans les deux camps l'acharnement fut extrême. La rigueur de cette répression n'avait encore jamais été égalée. Il y eut 17 000 morts, des exécutions sommaires, plus de quarante mille arrestations. Les conseils de guerre prononcèrent des condamnations jusqu'en 1875. Et loin de nuire à la république cette sévérité la consolida. » Oui, "Monsieur Thiers" avait gagné son pari et les monarchistes pourtant majoritaires, mais divisés entre légitimistes et orléanistes, ne purent accoucher que de la république qui s'établit pour de bon en 1875 avec l'amendement Wallon dont nous avons déjà parlé ici. Toute cette histoire nous rappelle la phrase d'Anatole France : « La république gouverne mal mais elle se défend bien. » Ajoutons qu'elle ne sait même que se défendre...
La Commune a laissé dans l'esprit des Français des images d'horreur. Reconnaissons que les Communards ne furent pas des enfants de choeur. Ce sont eux qui fusillèrent Mgr Georges Darboy, archevêque de Paris, et qui démolirent une partie du patrimoine historique parisien. N'empêche que sa répression implacable ne fut pas du goût des catholiques sociaux comme le comte Albert de Mun ou René de La Tour du Pin, marquis de La Charce qui, eux, même servant dans le camp versaillais, plaçaient le drame à son vrai niveau, celui d'une cassure entre deux France, celle des ouvriers et celle des bourgeois, la première réduite à l'état de bêtes sauvages par l'égoïsme et l'utopie libérale sans coeur de la seconde. Plus que la répression de "Monsieur Thiers", l'érection commencée en 1873 d'une basilique du Sacré-Coeur à Montmartre sur les lieux mêmes où se commirent tant de crimes et de sacrilèges, cette année-là, contribua à la restauration du tissu social .
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 19 mai au 1er juin 2011

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