dimanche 13 janvier 2013

Quoi de neuf ? Dumas !

Tiré du mépris où l'avait tenu l'Université, panthéonisé pour services rendus à l'idée républicaine, Alexandre Dumas connaît une gloire médiatique neuve ou presque.
Études, essais, rééditions se succèdent.
Alain Decaux fut l'artisan de cette renaissance ; elle lui doit tout, depuis le sauvetage du château de Monte Cristo, qu'il arracha, dans les années soixante-dix, aux promoteurs immobiliers jusqu'aux cérémonies de 2002 qui tirèrent l'écrivain de sa tombe familiale à Villers-Cotterêts. La popularité de l'académicien a fortement aidé à ranimer celle de Dumas, dont, à une époque pas si lointaine, il était devenu difficile de lire autre chose que Les Trois Mousquetaires.
Un dictionnaire lassant
Il allait de soi de lui demander un Dictionnaire amoureux de Dumas, conforme aux critères d'une collection réclamant une parfaite connaissance d'un sujet, une grande passion mise à l'évoquer, et ce qu'il faut de subjectivité quand il s'agit d'amour. Il n'est pas défendu, et Decaux ne s'en prive pas, de parler de soi. Pour le reste, la fantaisie prévaut. Au bout du compte, on aura fait le tour des principales facettes du personnage, des événements de sa vie, des oeuvres phares, et d'amours tumultueuses. Tout cela est brillant, instructif, mais d'un politiquement correct lassant. On s'était peu avisé jadis que les Dumas aient pu souffrir de leur métissage, ni être victimes de racisme, pour l'excellente raison qu'ils assumaient leurs origines et que peu de gens avaient la sottise d'y faire allusion. Le fait a pris aujourd'hui une telle importance, nonobstant le sang normand et valoisien d'Alexandre, qu'il devient un écrivain noir, ce qui est excessif. Il en va de même pour beaucoup de notices par trop dans l'air du temps. Au point, c'est un comble, que l'on émerge de ce Dictionnaire amoureux en aimant moins Dumas...
Que resterait-il de Dumas s'il s'était cantonné, comme il en avait l'intention, dans l'écriture théâtrale ? Peu de choses, car nul ne monte ou ne lit plus ses drames. D'Antony ne surnage que l'ultime réplique : « Elle me résistait, je l'ai assassinée ! » qui prête plus à rire qu'à pleurer. Le salut lui vint d'une reconversion forcée, quand l'immense succès qui avait salué ses premières oeuvres retomba. Il fallait vivre, d'autant qu'il avait, avec panache, résilié ses fonctions de bibliothécaire du duc d'Orléans, devenu Louis-Philippe, pour ne point sembler l'écrivain officiel de la monarchie de Juillet. Ce fut le journalisme, et le goût nouveau des lecteurs pour l'histoire, racontée de manière attrayante. Dumas donna dans le récit historique et la biographie, glissa au roman historique sous forme de feuilleton, une innovation, là encore. Il ignorait qu'il y trouverait gloire, succès et fortune.
C'est ce tournant capital qui fit du dramaturge un romancier que raconte Simone Bertière dans Histoire d'un chef d'oeuvre, Dumas et les trois mousquetaires. Tout y est passé au crible, des procédés d'écriture aux sources, de la relation avec Maquet, à qui certains, dès les premiers triomphes, voulurent attribuer la paternité des romans, au contexte politique. La trilogie des aventures de d'Artagnan est intelligemment analysée, les ressorts de sa popularité mis en évidence. Démonstration qu'un très grand écrivain, et Dumas en était un, peut écrire un classique et faire un coup commercial...
Inspirateur de Druon
En 1832, Dumas, dont la presse légitimiste avait annoncé, à tort, qu'il était mort fusillé, tel un héros de Hugo, sur la barricade de la rue Saint-Merri, quitte Paris pour l'Italie. Lorsqu'il revient, en 1836, Paris l'a oublié. Il se recase à La Presse, quotidien que vient de fonder Girardin, y entame la publication d'une chronique romancée des débuts de la guerre de Cent ans, La Comtesse de Salisbury. Dumas avouera que ce n'était pas son meilleur livre ; on ne le contredira point. Reste qu'au-delà d'une intrigue inconsistante - Edward III d'Angleterre s'éprend d'Alix de Granfton, épouse du comte de Salisbury ; profitant de ce que celui-ci est prisonnier, il abuse de la jeune femme... - la mise en scène des prétentions du prince anglais au trône de son aïeul Philippe le Bel est si admirablement conduite que Druon s'en souviendra lorsqu'il écrira Les Rois maudits ; quant au style, c'est du grand Dumas, et cela suffit à justifier la réédition du livre.
Il faut attendre 1842 pour que paraisse un roman historique digne de ce nom, même si Dumas le laissera de côté. C'est que Sylvandire, s'il contient en germe tous les ingrédients qui assureront les triomphes à venir, est un vaudeville en costumes d'époque. En 1705, le jeune Roger d'Anguilhem quitte la Touraine pour défendre les droits familiaux dans une succession qui le ferait riche et lui permettrait d'épouser Constance, qu'il aime mais qui est promise à plus fortuné. Hélas, en guise d'épices, un magistrat lui demande d'épouser sa propre fille, ravissante mais dangereuse. Décidé à se démarier, Roger ne reculera devant rien... Drôle, enlevé, Sylvandire est une petite merveille méconnue, et inattendue.
En 1843, sort Le Chevalier d'Harmental, mettant aux prises ce seigneur nivernais avec le Régent qui lui a enlevé son régiment et sa maîtresse. Furieux, Raoul se jette dans la conspiration de la duchesse du Maine. Emporté par son amour pour une jolie voisine, il mêle imprudemment à ce complot le tuteur de la charmante. Or, le sieur Buat, s'il n'est pas très fin, est honnête homme, et bon Français... Le jeune duc d'Orléans était mort l'année précédente, et Dumas, son ami et protégé, ne s'en consolait pas. En défendant la mémoire du Régent, Alexandre paya ses dettes envers la maison d'Orléans, de si belle manière que le livre fut ensuite pillé par les meilleurs. Il suffit pour s'en convaincre de le rapprocher du Bossu de Féval : les emprunts y sont évidents.
En 1845, en parallèle du Vicomte de Bragelonne, Dumas publie La Guerre des femmes, chronique de la Fronde des Princes vue du côté des dames, histoire de l'infortunée princesse de Condé, modèle de dévouement conjugal haïe d'un mari qui n'avait point pardonné cette mésalliance avec la nièce de Richelieu. Prétextant une démence familiale, il la fit plus tard interner à vie... Autour d'elle, Dumas ressuscite cette campagne de Guyenne menée avec une audace que le vainqueur de Rocroi n'aurait pu désavouer et un monde d'intrigues amoureuses et politiques, entrelacées et qui débouchent, de façon inattendue, sur un dénouement tragique des plus romantique. Personnellement, quelles qu'en soient les qualités, ce n'est pas mon Dumas préféré...
Le texte intégral est enfin de retour
La Tulipe noire ne fut longtemps disponible qu'en édition pour la jeunesse édulcorée. La version originale dépasse pourtant de loin les mièvres amours du docteur van Baerle, accusé à tort de complicité avec son parrain, Corneille de Witt, qui, pour défendre la république des Pays-Bas contre les ambitions de Guillaume d'Orange, s'était rapproché de Louis XIV. Au delà d'une passion monomaniaque pour les tulipes et d'une chaste romance avec la fille du geôlier, il y a là des chapitres fulgurants sur l'ingratitude des peuples, la violence de la populace, l'horreur de l'émeute, les ravages que la jalousie provoque dans une âme, une réflexion étonnante sur la justice, passages qui, pour leur brutalité, avaient disparu, c'était impardonnable, de la plupart des éditions. Le Lièvre de mon grand-père figure pareillement dans le corpus dumasien destiné aux enfants. Erreur ! Il s'agit d'un conte d'épouvante pour adultes. Brodant sur un thème cher à ce grand chasseur et vantard, la poursuite d'un gibier mythique, c'est l'histoire, là encore, d'un passe-temps dévorant qui détruit un homme, puis fait de lui un meurtrier hanté par une bête démoniaque. Démence ou vengeance d’outre-tombe ? Il y aurait à dire sur les rapports de Dumas, anticlérical mais ni athée ni ennemi du christianisme, avec l'idée de Dieu. Cette longue nouvelle en est une preuve supplémentaire.
Pour la libération des Balkans
Sait-on qu'alors qu'il soutenait Garibaldi et militait contre les États pontificaux, Dumas s'enflammait pour la libération des Balkans sous le joug musulman ? C'est à Naples qu'à l'automne 1862, un prétendu prince épirote, président de la junte gréco-albanaise, vint demander son soutien moral, politique, et financier, dans la lutte de libération du Nord de la Grèce et de l'Albanie. Soulevé d'enthousiasme, Dumas marcha à fond, publia, en italien, une étude sur Ali Pacha, sanguinaire maître de Janina, bien connu de ses lecteurs comme l'un des ressorts du Comte de Monte Cristo. Prétexte à glorifier la lutte des klephtes contre les Turcs. Il y a là des morceaux de bravoure à ravir les philhellènes... Ils n'eurent pas l'occasion de les lire car la police prévint Dumas que son champion de la liberté grecque était un vulgaire escroc. Déconfit, il n'en parla plus jamais. Cette parution en français constitue donc un inédit et de belle qualité !
Faut-il vouloir tout publier, même l'impubliable ? Claude Schopp, spécialiste de Dumas, en a pris le risque, en voulant à toutes forces terminer, se basant sur les notes et brouillons de l'écrivain, la suite du Chevalier de Sainte-Hermine, roman des temps napoléoniens interrompu par la mort de Dumas. Le Salut de l'Empire, continuation possible, voire probable, d'un livre inachevé, est bien ficelé, crédible même. Reste et définitivement, que ce n'est pas du Dumas, rien qu'une très bonne imitation...
Anne Bernet  L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 6 au 19 janvier 2011
✓ Alain Decaux : Dictionnaire amoureux d'Alexandre Dumas, Plon, 640 p., 24,90 €.
✓ Simone Bertière : Dumas et les mousquetaires, Fallois, 300 p., 20 €.
✓ Alexandre Dumas : La Comtesse de Salisbury, Les Belles Lettres, 415 p., 23 €. Sylvandire, Phébus, 400 p., 21,50 €. Le Chevalier d'Harmental, Phébus, Libretto, 690 p., 14 €. La Guerre des femmes, Phébus, 580 p., 24 € ; ou Libretto, 13,50 €. La Tulipe noire, Motifs Le Rocher, 380 p., 9 €. Le Lièvre de mon grand-père, Motifs Le Rocher, 190 p., 6,50 €. Ali Pacha, Phébus Libretto, 230 p., 10 €.
✓ Alexandre Dumas, en société avec Claude Schopp : Le Salut de l'Empire, Phébus, 735 p., 25 €.

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