jeudi 1 août 2013

Témoignage pour l’Action française

Antoine Murat, avocat honoraire, a commencé à militer dans les camelots du Roi en 1928 à peine âgé de vingt ans. Sa fidélité à l'Action française – qu'il a souvent défendue en justice ne s'est jamais démentie depuis lors. Retiré aujourd'hui à Bordeaux il continue à s'associer à la vie du journal et du mouvement d'A.F. À la suite d'un long entretien qu'il a eu en janvier 2006 avec Pierre Pujo et Philippe Prévost qui lui rendaient visite, il a souhaité rédiger ses souvenirs de l'entre-deux guerres. Nous publions ci-dessous son texte, qui constitue un précieux témoignage sur les haines déchaînées contre l'Action française aussitôt après la guerre de 1914-1918.
La victoire due à l’’héroïsme des combattants devait une partie de son être aux actions de Léon Daudet, de Bainville et de Maurras. C’’était évident pour qui avait suivi le déroulement du conflit. Mais un grand nombre de contemporains avaient vécu -– c’’est naturel– - au jour le jour, sans bien savoir.
Les champs de bataille avaient gardé les meilleurs. Toute la jeunesse de France, son élite, son avenir, était meurtrie ; la plupart avaient été couchés “froids et sanglants” sur la terre qu’ils avaient défendue.
Les responsables du conflit, les idéologues qui s’’étaient trompés, les amis de l’’Allemagne, les traîtres (Almerayda), les lâches, les embusqués, la clique des Caillaux, des Malvy, Painlevé, Briand et autres politiciens, redoutaient l’’avenir. Ils avaient à rendre des comptes. Normalement leur échec aurait dû être si patent que leur carrière en fût à jamais brisée.
Les poilus revenaient épuisés, fatigués, ayant souffert. Ils aspiraient au repos. À la paix. “Unis comme au front” : la devise était belle. Elle était vraie, dans son essence. Elle était aussi fragile, car le temps estompe, efface, et l’’oubli s’étend. Les deuils et la gloire composaient un climat où dominait, me semble-t-il, le désir de se reposer. Le prix des efforts soufferts était un immense besoin de se laisser aller.
Des élections étaient nécessaires. Ce fut la Chambre bleu horizon. Et Déschanel prit la succession de Poincaré (1). La camaraderie des tranchées s’’atténua, et les politiciens manœœuvrèrent de plus en plus librement. Les condamnations de Caillaux et de Malvy fournissent des points de repère. Le prix de la trahison n’est pas élevé.
Désillusions
Fait capital : aux yeux de la plupart des Français, la République avait gagné la guerre. Le livre de Sembat avait été un cri d’’alarme. En 1913 ce compagnon de Jaurès, qui fut “leader” de L’’Humanité, avait été contraint de reconnaître la nécessité d’’un roi pour mener une guerre : Faites un roi sinon faites la paix. Marcel Sembat admettait la force des arguments de Maurras. Ses 250 pages méritent d’être relues. Elles confirment Kiel et Tanger.
L’’héroïsme obtint ce qui paraissait inconcevable. L’’Action française se sacrifia dans l’’Union sacrée, et elle se donna tout entière. Un esprit aussi remarquable que Pierre Lasserre interpréta, faussement, le succès militaire français comme le démenti du jugement qu’'il avait porté sur la totale incapacité du régime républicain à soutenir une guerre. J’’ai entendu autour de moi, alors que j’’étais un enfant, d'’anciens combattants se dire républicains parce que la République avait battu l’’Allemagne et l’’Autriche, et parce qu’’elle était à la tête d'’un empire colonial... La suite a réduit ces illusions à néant.
La IIIe République avait affaibli l’’armée (affaire Dreyfus, affaire des fiches, campagne contre la folie des armements) ; elle continua son œœuvre de mort, elle sabota la victoire et elle conduisit à la catastrophe de 1940. Vingt années lui suffirent... Qui s’’opposa à ce crime contre la patrie ? Peu à peu, l’’Action française, qui était à la tête de la résistance, se vit mise à part.
La révolution russe avait fait s’’écrouler un empire. L’’esprit révolutionnaire s'’incarnait, et il se propageait à travers l’’Europe. Le germanisme lui apportait des éléments d’’action, comme aussi les principes de 1789, l’’expérience de la Terreur, celle de la Commune. L’’exemple de Béla Kun était un échantillon de ces forces destructrices... Un peu partout les violences éclataient, ajoutant misères, ruines, anarchie et mort. Toutes sortes de tendances voyaient le jour : séparatisme rhénan, fascisme italien, entre autres, réagissaient pour contenir les périls.
Ce chambardement permettait à bien des politiques de masquer leurs échecs, même patents, et de se poser en hommes d’’avenir. Tout était remis en question. Caillaux et Malvy pouvaient revenir, Briand, “finasser”.
Les politiciens de métier ne savaient pas gouverner bien ; ils savaient se faire élire. D’’instinct, ils ne se sont pas trompés sur l’’adversaire : l’’Action française. Ils en ont éloigné les anciens combattants. Le discours de Ba.ta.clan illustre assez exactement la manœœuvre. Pourquoi se séparer de la République ?
Ce ne fut pas un éloignement entre hommes qui s’'estimaient, mais une rupture. La coupure allait s'’aggravant. Sans cesse des accusations répétées tenaient lieu de vérités, et de nouveaux griefs servaient à rendre crédible ce qui était faux. On divisait : l’'affaire de Georges Valois(2) est caractéristique. La baisse de l’influence de Maurice Barrès à la fin de sa vie devrait être examinée avec soin, car elle est le résultat d’’habiles manœœuvriers agissant contre un maître si longtemps respecté.
Daudet, cible rêvée
Daudet a été la cible rêvée. Il n’’avait cessé d’être au premier rang. Par son adolescence, il touchait au milieu des Hugo, Charcot et autres grands hommes de la république. Il avait rompu pour mener librement une carrière d’homme de lettres et de journaliste. Ses trouvailles de style époustouflaient. Il était l’’auteur de L’’Avant-guerre. Il s’’était battu, à visage découvert, contre les traîtres, contre le “joug allemand”. Daudet enthousiasmait la jeunesse intellectuelle par la beauté, l’’imprévu, la puissance et la vérité de son verbe. Mais, inévitablement, il blessait certains de ceux qu’’il étrillait ; et d’’autant plus qu’’il avait en général raison.

Un ouragan de haine se déchaîna contre lui. C’’est quelque chose d’’inouï, d’’incroyable. Les pires élucubrations étaient soutenues, avec méchanceté, voire grossièreté. On prétendit qu’’il était un fainéant, un ivrogne, un goinfre, un noceur, un cerveau malade, ou, comme l’’écrivait un certain Gaucher, un obsédé sexuel...
La presse de ces années 1920-1939 est riche de ces horreurs. Elles sont aujourd’’hui oubliées. Tant mieux. Mais elles ont fait grand mal. Il faudrait que des historiens relisent ces articles nauséabonds. L’œ’Œuvre et Le Canard enchaîné y ont joué un rôle particulièrement sournois. On ne saurait résumer. Ce dont je me souviens, et dont je garde un sentiment de souffrance, c’’est que les hommes d’’Action française étaient tous des fanatiques, des violents, sectaires, sans scrupule, capables des pires choses, des gens aux mœœurs dépravées, sans foi ni loi. J’’en étais effrayé.
Philippe Daudet est mort dans des conditions qui dénoncent un assassinat (3). Son père a cherché la vérité. Parmi ceux qu’’il accusait, le chauffeur de taxi qui avait transporté l’’enfant lui intenta un procès en diffamation. Chose scandaleuse, Léon Daudet fut condamné à cinq ans de prison et 1 500 francs d’’amende. Les comptes rendus permettent de revivre les audiences. Pour qu’’un jury – car en ce temps-là les procès de presse étaient soumis aux assises, afin que ce soit l’’opinion publique elle-même qui se prononce – condamne aussi sévèrement alors que la bonne foi méritait l’’acquittement, il fallait que l’’inculpé inspirât du mépris. L’’affaire de Philippe Daudet démontre quel degré de haine les campagnes de presse avaient atteint.
Assassinats
Ces campagnes accompagnaient les meurtres dont étaient victimes les hommes d’’A.F. Philippe Daudet est mort le 25 novembre 1923. Quelques mois auparavant, le 22 janvier 1923, Marius Plateau, héros et grand blessé de la guerre, chef des camelots du Roi, avait été assassiné par Germaine Berton. Celle-ci n’’avait pu abattre Maurras le 21 janvier à la messe de Louis XVI. Elle se rattrapa le lendemain.
En décembre 1923, Germaine Berton fut acquittée. Je me souviens de la réflexion que fit, devant moi, un brave homme qui était un homme brave, à propos de l’’assassinat de Plateau. Les anciens combattants auraient manifesté leur colère si Plateau n’’avait pas été d’’A.F... Car l’’A.F. c’’est la violence. Tant pis pour ceux qui osent se défendre ! C’’est pourtant presque toujours du même côté que sont les assaillants : la longue série des assassinats politiques a la gauche pour auteur. L’’horrible liste est instructive.
Les morts se succèdent. Les victimes sont de droite. Maurras l’a échappé belle. À sa place, Berger (4) qui travaille à l’’A.F. est abattu : son assassin s’’est trompé de cible... Il est absolument nécessaire de publier la liste des victimes. Elles sont ignorées aujourd’’hui. Or ces années sanglantes sont une terrible leçon. Rappelons les noms qui nous sont familiers, à nous seuls, hélas. C’est un devoir de mémoire, de piété. Ces années sont marquées par le sang d’’innocents. L’’hécatombe est lourde.
La lettre à Schrameck
Le Cartel des gauches succède le 11 mai 1924 à la Chambre bleu horizon. Les tueries se multiplient à Paris, en province, à Marseille... Ainsi, le 23 avril 1925, les communistes tuaient par balle quatre membres des Jeunesses patriotes qui sortaient d’’une réunion, rue Damrémont. Il y avait des blessés. L’’un d’eux était mon confrère et ami Émile Meaux (plus tard vice-président de la Légion). Le mal révolutionnaire étendait son empire.
Le coup d’’arrêt fut donné par la lettre à Schrameck (5). La menace de Maurras porta : le ministre de l’’Intérieur eut peur ; sa responsabilité personnelle entraînait le châtiment ; il céda.
Une étude brève mais complète serait un enseignement incomparable. Comment arrêter une tyrannie sanguinaire ? Comment en finir avec le terrorisme ? Le témoignage en justice de Maritain, défendant notre maître, vaut d’être lu, ou relu : « Il faut que la bienfaisance de l’’acte héroïque que Maurras eut l’’audace et le courage d’accomplir soit parfaitement établie. Cela s’’impose. Sinon la perfidie aura grande facilité à changer en mal ce qui fut un remède sauveur. » La lettre à Schrameck, incomprise, fait sa partie dans le chœœur qui maudit la cruauté des gens d’’A.F. Leur courage effraie les prétendus bienpensants.
Le succès total ainsi remporté permit, un peu plus tard, de couper court aux dangers que faisaient courir à la paix et aux rapports franco-italiens les partisans d’’Haïlé Sélassié, qui agissaient dans l’’anonymat. La révélation de leurs noms désignait quels seraient les responsables. [Voir l’’enjeu : Mussolini, le Brenner, Dollfuss, puis... l’’Anschlluss…] Le précédent de l’’affaire Schrameck était dans les esprits (6).
“La violence au service de la raison”
L'’occasion s'’offre de montrer avec quelle mesure se fait la politique d’’Action française. La violence au service de la raison supplée à l’’absence du droit dont souffre notre régime. Parce que la force est employée pour éviter un mal ou arriver au bien, elle est maniée avec prudence. On la montre pour n’’avoir pas à s’’en servir. Nos mains sont pures. Nos maîtres ont rejeté des disciples qui allaient au-delà du juste. Votre père a mis à sa place, c’’est-à-dire au ban de la société, la Cagoule. Il a trouvé le nom qui ridiculisait, et donc amoindrissait la force mauvaise. Aux camelots, nous nous sommes séparés d’’hommes qui étaient de bonne volonté mais se conduisaient facilement en brutes. Nous qui voulons toujours raison garder.”
La lettre était sévère. Les coups pleuvaient de partout : anarchistes, pacifistes, germanophiles, communistes, radicaux, francs-maçons, métèques, socialistes, démocrates-chrétiens — et j’’en oublie. Il y avait aussi l’’aide que leur apportaient les timorés, les tièdes, les ambitieux qui cherchaient des places.
Sans doute, la supériorité intellectuelle de l’’A.F. s’’imposait. À Paris, le Quartier latin en était l’’incontestable manifestation. Là se préparait l’’avenir, là se renouvelaient les générations. Chaque année, à la rentrée universitaire, la salle Bullier était comble. Des maîtres, hautement qualifiés et respectés, venaient déclarer publiquement leur ralliement. Pour le droit, un Martin, un Ernest Perrot, un Charles Benoist... Les revues littéraires avaient de nombreux rédacteurs amis de l’’A.F., un Thibaudet, un Jouhandeau, un Eugène Marsan, un Henri Massis et des philosophes, et des poètes, et des religieux. Maurras avait été un des fondateurs de la Revue universelle, à l’’origine dirigée conjointement par Bainville et Maritain. Daudet rayonnait chaque semaine dans l’’excellent Candide. Toute une jeunesse se pressait aux débuts de Je suis partout (qui, depuis...).
Mais l’’opinion hostile ne décolérait pas. Elle possédait la puissance, celle du pouvoir et celle de l’’argent (les Lederlin, les Hennessy et tutti quanti). La plus grande partie de la presse était ennemie de l’’A.F. En tête, L’œ’Œuvre, L’’Huma, Le Populaire, Le Quotidien, et plus particulièrement pour la province, L’’Ouest-Éclair de l’’abbé Trochu en Bretagne, La Dépêche de Toulouse, Le Populaire du Centre, et tant d’autres. Avec un style différent, il y avait Le Temps.
Les mouvements d’’opinion se fabriquent le plus souvent sans scrupule ; tout autre est l’effort de rechercher le réel, la vérité, le bien.
Accusations vaticanes
L’’intelligence applaudissait Maurras et elle admirait son œœuvre. En 1923, l’’Académie française lui préféra un inconnu du monde littéraire. Daudet avait imposé son talent d’’orateur à la Chambre des députés. Il cessa d’être parlementaire quand se termina son mandat.
Le contraste est net. D’’un côté la raison est satisfaite par la pertinence des démonstrations, dont la justesse est régulièrement confirmée par les événements. De l’’autre côté se dresse une opposition farouche. C’’est elle qui gagne sur le terre à terre. La force matérielle l’’emporte. 1940 approchait.
Un véritable séisme se produisit le 25 décembre 1926. Rome condamna l’’Action française. Il faut écrire avec délicatesse des années douloureuses. Si le travail est fait comme il doit l’’être, dans la sérénité de la vérité, ce sera particulièrement bon. La Providence a permis que l’’épreuve – dont les conséquences se font encore sentir – soit surmontée. Les hommes se sont trompés. L'’Église, dont ils ont voulu se servir, s’'est prononcée, puis s’’est rétractée en 1939. Il n’’y a pas eu de condamnation doctrinale. Mais toute la haine a trouvé la plus invraisemblable justification dans les accusations venant du Vatican. Nous étions des misérables.
Et nous sommes restés fidèles à l’’Église, à la France, au Roi. À nous-mêmes.
Antoine MURAT L’’Action Française 2000 du 18 au 31 mai 2006
(1) Paul Deschanel élu président de la République en 1920 en remplacement de Raymond Poincaré.
(2) Georges Valois, directeur de la Nouvelle Librairie nationale, se sépare de l’’Action française en 1925 et fonde “le Faisceau”.
(3) Philippe Daudet, fils de Léon Daudet et âgé de 14 ans, assassiné par les anarchistes en novembre 1923.
(4) Ernest Berger, trésorier de la Ligue d’’Action française, assassiné dans un escalier du métro Saint-Lazare le 28 mai 1925 (cf. L’’AF 2000 du 7/7/2005).
(5) Abraham Schrameck, ministre de l’’Intérieur du gouvernement du Cartel des Gauches. Il laissait les communistes et les anarchistes attaquer impunément les patriotes. Maurras l’’ayant rendu personnellement responsable dans une lettre fameuse, les agressions cessèrent (1925).
(6) En 1935, Maurras menaça de faire abattre les cent quarante parlementaires qui avaient approuvé les sanctions décidées par la Société des nations contre l’’Italie qui avait envahi l’’Ethiopie. Le vote des parlementaires risquait de jeter l’’Italie dans les bras de l’’Allemagne hitlérienne, ce qui arriva.

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