mardi 3 décembre 2013

Kant

S'il existe des philosophes faussement faciles, Kant peut être catalogué comme faussement difficile. La seule difficulté puisqu'il y en a une quand même vient du vocabulaire à assimiler pour aborder son œuvre. Kant est le représentant par excellence de l'idéalisme allemand avec sa révolution copernicienne. Le sujet ne tourne plus autour de l'objet qu'il cherche à connaître, mais l'inverse. Il se situe donc en dehors du réalisme. Le philosophe de Königsberg a établi avec une extrême rigueur les conditions de la connaissance dans la critique de la raison pure.
Il a abordé toutes les grandes questions philosophiques. Dans la critique de la raison pratique, il cherche à résoudre la question morale. Son influence perdure encore dans le droit international inspiré de la morale kantienne. Les institutions internationales ont été fondées avec un arrière-plan philosophique kantien. Même si Eichmann à son procès a cité Kant, pour justifier son obéissance, cela n'empêche pas que la morale « objectivée » de nos jours est essentiellement celle de la morale kantienne. Kant reste un monument incontournable de la pensée moderne.
Que puis-je savoir ?
C'est dans la Critique de la raison Pure que Kant établit les conditions de possibilités de la connaissance. Le philosophe fait tourner l'objet autour du sujet. Cela veut dire que toute connaissance vient de la structure du cerveau de l'homme. Kant a appelé cela la révolution copernicienne.
Le transcendantal
« J'appelle transcendantal, toute connaissance qui s'occupe en général non pas tant d’objets que de notre mode de connaissance des objets en tant qu'il est possible en général ». (Critique de la raison pure).
Le transcendantal est l'ensemble des conditions a priori. L'a priori s'oppose à l'empirique. Kant distingue deux sortes de connaissance a priori : celles qui sont pures et celles qui ont un lien avec l'expérience.
Le philosophe s'intéresse à la connaissance a priori pure. L'a priori pur pour un biologiste sera lié à notre cerveau. Les formes a priori de la sensibilité sont l'espace et le temps. Une catégorie de l'entendement a priori sera la causalité parmi douze autres.
À la différence de Hume, pour Kant le concept de causalité ne vient pas de l'habitude.
Dans l'appareil transcendantal, Kant distingue la sensibilité (les objets nous sont donnés ainsi) et l'entendement (les objets sont pensés). On a une synthèse de l'empirisme et du rationalisme.
« Sans la sensibilité, nul objet ne nous serait donné ; sans l'entendement, nul ne serait pensé. Des pensées sans contenu sont vides ; des intuitions sans concepts sont aveugles. » (Critique de la raison pure)
Kant distingue aussi les jugements analytiques qui ne nous apprennent rien corne « tous les corps sont étendus » et les jugements synthétiques qui nous apprennent quelque chose de nouveau comme « tous les corps sont pesants ». Ces jugements synthétiques viennent de l'expérience.
En plus de la fracture sujet-objet, Kant distingue le noumène (chose en soi) du phénomène. La connaissance du noumène est impossible. L'homme ne connaît que des phénomènes (ou des apparitions). Pour certains postkantiens, le concept de noumène n'apporte rien.
La morale
La morale kantienne imprègne notre époque. Dans le dernier débat sur la prostitution la morale kantienne donne des réponses sans équivoque. La prostitution est foncièrement immorale puisqu'il ne faut pas utiliser l'autre comme un moyen. L'être de raison doit être considéré comme une fin en soi. « Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. »
Pourquoi respecter l'autre ? Les personnes sont des êtres de raison, ce qui fait leur dignité.
Le principe de la moralité se trouve dans la volonté du sujet. La volonté est fondée sur la liberté que Kant postule chez l'homme comme un noumène et donc hors de la connaissance. La volonté est autonome et au fondement de la loi pratique. La moralité devient donc un « Je dois » qui peut se définir comme l'impératif catégorique : « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature ».
Kant distingue l'impératif catégorique de l'impératif hypothétique qui tient compte d'éléments empiriques. L'impératif catégorique est inconditionnel, l'impératif hypothétique contient du relatif.
La liberté est un postulat de la raison pratique. Elle est le fondement du devoir et de la morale. Obéir au devoir est la liberté elle-même.
Kant définit aussi la personne dans la Critique de la raison pratique.
« La personnalité, c'est-à-dire la liberté et l'indépendance à l'égard du mécanisme de la nature entière, considérée cependant en même temps comme le pouvoir d'un être qui est soumis à des lois spéciales, c'est-à-dire aux lois pures pratiques données par sa propre raison, de sorte que la personne, comme appartenant au monde sensible, est soumise à sa propre personnalité, en tant qu'elle appartient en même temps, au monde intelligible. »
Pour fonder son système moral, Kant donne trois postulats. Le premier est l'existence de Dieu. Le deuxième est l'immortalité de l'âme. On retrouve Platon. Le troisième postulat est celui de la liberté qui sera repris par Sartre.
Ces trois postulats fondent la doctrine de la raison pratique.
Kant, de la même façon que Husserl qui se définissait ainsi, fut un fonctionnaire de l'humanité.
Représentant des Lumières, il a écrit : « Sapere Aude », c'est-à-dire ose te servir de ton entendement, de ta raison. La raison est certes un concept ô combien chargé d'Histoire. Il a écrit aussi sur une Histoire finalisée selon lui, sans cesse en progrès avec une humanité s'améliorant de génération en génération.
Sa caractéristique essentielle par rapport à ses antécédents fut de mettre le sujet au centre de la connaissance, idée qui existait en partie chez Protagoras mais non construite de façon aussi précise et développée : « L'homme est la mesure de toute chose ». Celui qui aura la prétention de le dépasser sera Hegel.
Patrice GROS-SUAUDEAU

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