jeudi 20 mars 2014

Droit constitutionnel et réalités politiques

Sa véritable pensée sur les constitutions, Talleyrand l’a formulée en 1801 quand Roederer (1), chargé d’en préparer une pour les Cisalpins, lui soumet un projet en quelques articles en disant : « Il faut qu’une constitution soit courte et … » Il allait ajouter « claire ». Talleyrand lui coupant la parole conclut : « Oui, courte et obscure. »
Comte de Saint Aulaire, Talleyrand, Dunod, 1936
Prestige des constitutions
Une constitution est la loi fondamentale qui régit l’ensemble des rapports entre gouvernants et gouvernés au sein de l’État. Elle fonde l’État et forme son cadre juridique. On ne conçoit pas aujourd’hui une nation civilisée qui ne soit dotée d’une constitution écrite et démocratique, votée par le peuple destiné à vivre dans son cadre.
Et pourtant, la Grande-Bretagne, berceau du parlementarisme moderne, ne possède pas de véritable constitution. Le droit de dissolution de la Chambre des communes par le Premier ministre ou la démission de l’ensemble du cabinet lorsque sa politique est remise en cause par les chambres, ne figurent dans aucun texte. La “constitution” coutumière britannique s’appuie sur quatre textes historiques, la Grande Charte de 1215, la Déclaration des Droits de 1689 qui fonde la monarchie constitutionnelle, l’Acte d’établissement de 1701 qui organise la succession au trône, l’Acte du Parlement de 1911, modifié en 1949, qui limite les pouvoirs de la Chambre des Lords au profit de la Chambre des communes.
Le gouvernement de l’Ancienne France se fondait aussi sur des coutumes ; la première constitution date de 1791 ; nous en avons depuis usé un certain nombre, avec prédominance de l’exécutif ou du législatif, monocamérisme ou bicamérisme, le tout avec l’insuccès que connaissent tous les Français qui n’ignorent pas l’histoire. La Ve République qui ne date que de 1958 et qui a pourtant subi dans sa courte existence quelques opérations de rajeunissement, semble déjà à bout de souffle.
Avantage de la coutume
La coutume possède l’avantage de s’appuyer sur la réalité et de s’y adapter sans cesse. La coutume britannique tient compte du particularisme insulaire du pays bien que la réforme démocratique de 1911 ait brisé un équilibre séculaire. Une constitution coutumière est l’ensemble des règles relatives à l’organisation du pouvoir qui ne se trouvent pas sous forme écrite. Elle n’est pas réfléchie puisqu’elle ne procède pas d’une construction rationnelle. En effet, la vie d’une nation ne commence pas avec une constitution élaborée par des juristes ; une nation procède de l’histoire et de la géographie.
Talleyrand ne fut pas responsable des malfaçons de la Charte de 1814 car il ne fut pas nommé dans la commission qui en arrêta le texte. Il savait qu’un problème politique délicat demande de la souplesse, il savait, dit justement le comte de Saint Aulaire, que l’imprécision des textes, comme celle des frontières, profite sans cesse au plus fort. : « Que le prince gouverne hardiment et sagement, et c’est lui qui imposera son interprétation du contrat que la Charte, même octroyée, reste aux yeux du Parlement. »
Une leçon d’histoire
L’ambassadeur de France, dont nous ne saurions trop recommander les ouvrages (Louis XIV, Talleyrand, François-Joseph), termine son chapitre sur la Restauration par une profonde remarque, digne de la sagacité d’un Bainville : « La rigidité des constitutions est leur fragilité. C’est peut-être pour avoir voulu faire avec précision du définitif que les constituants libéraux de 1814 ont fait du provisoire, alors que les constituants monarchistes de 1875, en élaborant un texte vague et en croyant faire du provisoire, ont fondé une république durable. »
Gérard Baudin L’Action Française 2000 n° 2741 – du 7 au 20 février 2008 9
* Pierre Louis Roederer (1754- 1835), avocat et homme politique, fut conseiller d’État sous le consulat et ministre sous l’Empire.

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