lundi 17 mars 2014

La révolution chinoise, ce cauchemar absolu

La Chine fête les 120 ans de Mao. Le régime maoïste imposé par Mao Zedong et ses alliés, loin de libérer la Chine pour l’amener vers un socialisme utopique, plongea l’Empire du Milieu dans l’un des totalitarismes les plus impitoyables et sanglants du XXème siècle. Les historiens estiment qu’il fut responsable de dizaine de millions de morts. Frank Dikötter, historien néerlandais spécialiste de l’histoire chinoise, revient sur le fonctionnement de cette dictature implacable.
Votre précédent livre, «la Grande Famine de Mao», est le récit accablant de l’une des plus terribles catastrophes de l’histoire humaine: la famine déclenchée par Mao à la suite du Grand Bond en avant. Selon vos calculs, elle a coûté la vie à 45 millions de personnes. Dans votre dernier ouvrage, «la Tragédie de la libération. Une histoire de la révolution chinoise. 1945-1957», vous vous penchez sur la période précédente, celle de la prise du pouvoir par les communistes en 1949. Et, là encore, vous décrivez une décennie extrêmement sombre – contrairement aux idées reçues.
Ces idées reçues sont encore très présentes. Les débuts de la République populaire continuent d’être loués comme un «âge d’or» au cours duquel le régime communiste aurait remis sur pied un pays à vau-l’eau et initié de merveilleuses réformes; c’est plus tard que les choses se seraient gâtées, avec la fuite dans l’utopie du Grand Bond en avant à la fin des années 1950, puis de la Révolution culturelle dans les années 1960.
Or il suffit de se plonger dans les archives du PC chinois, accessibles depuis quelques années, pour comprendre à quel point cette image idyllique est fausse. Celles que j’ai consultées pour la période 1945-1957 montrent qu’au coeur de l’action de Mao et de ses amis on trouve une véritable politique de la violence – la violence extrême comme méthode de conquête du pouvoir, puis de consolidation d’un système totalitaire.
Cette violence extrême est à l’oeuvre dans plusieurs épisodes horrifiants de la guerre civile que vous décrivez, avec les troupes communistes n’hésitant pas à sacrifier des centaines de milliers de civils. Pourtant l’inhumanité n’était probablement pas réservée à un seul camp ?
Les nationalistes du Kuomintang n’étaient certes pas des enfants de choeur, ils ont eux aussi commis des crimes horribles. Mais je pense que l’APL (Armée populaire de Libération) a été encore plus impitoyable. Par exemple, lors du siège de Changchun en 1948 en Mandchourie, les généraux de Mao ont imposé un blocus total, empêchant la population civile d’en sortir. Le but était de transformer Changchun en «ville de mort» afin d’affaiblir la résistance des forces nationalistes. […]
La dékoulakisation soviétique a été elle aussi sanglante. Y a-t-il une différence ?
Oui, une différence capitale. Staline avait confié la mission de liquider les koulaks à ses services de sécurité. Mao, lui, fait exécuter son projet par les gens eux-mêmes, les obligeant à se salir irrémédiablement les mains. Or il s’agit d’une société où la vengeance joue un grand rôle. Tous les participants aux séances d’accusation vivent dans la hantise d’une punition de la part des victimes. S’enclenche ainsi un terrifiant cercle vicieux qui pousse les paysans à réclamer «préventivement» la tête des familiers des victimes, puis des proches de ces derniers, et ainsi de suite. […]

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