jeudi 13 mars 2014

Philippe de Villiers, Le roman de Saint Louis, ou le passé comme remède à la négation de nous-mêmes

12/03/2014 – PARIS (NOVOpress) - Après Charrette, le « Roi de la Vendée », Philippe de Villiers – loin de la caricature médiatique qu’on lui inflige depuis des années et qui le réduit à un idiot au sang bleu, sûrement pour le châtier d’être un français de conscience ( ?) – se frotte à un autre personnage de notre roman national : Louis IX (1214-1270), entré dans la postérité sous le nom fameux de Saint Louis, après sa canonisation en 1297.
Sans se prétendre l’égal de Jacques Le Goff, dont la biographie du même roi parue en 1996 fait autorité et qu’il affirme « indépassable », Villiers, sur le mode du pseudo-mémoire, nous propose un récit plein d’enseignements politiques et spirituels, d’une grande fluidité et d’une exemplaire érudition – dont témoigne la bibliographie en fin d’ouvrage. Et pour mieux nous plonger dans l’ambiance médiévale, l’auteur dissémine çà et là dans le texte les accents de l’époque, sans jamais alourdir son style, à la fois propre et concis, apparentant sa démarche d’écriture à celle « d’un moine copiste qui tente de faire revivre Saint Louis pour notre temps ».
Évitant les poncifs dithyrambiques ainsi que les accusations faciles et anachroniques –, Villiers prend le parti de retracer humainement l’existence de ce roi, toutefois hors du commun, qui se rêvait en Galaad recouvrant le Saint-Graal. Une formidable et aventureuse vie nous est contée, depuis Poissy-le-Châtel – actuelle ville de Poissy – où le futur souverain naquit vraisemblablement le 25 avril 1214, jusqu’à sa fin tragique au pied des remparts de Tunis, le 25 août 1270.
Du roi bâtisseur – nous ayant légué des merveilles de pierre telles la Sainte-Chapelle et l’abbaye de Royaumont – au chef de la septième croisade provoquant sa captivité en Égypte, nous découvrons un homme qui ne subit pas l’Histoire mais au contraire la rencontre sans jamais lui abandonner ses croyances intimes.
Saint Louis, édifié par sa mère Blanche de Castille, sait que le pouvoir est une tâche sacrée et non un blanc-seing. Loin de l’orgueil démesuré de Louis XIV ou de la désinvolture d’un Louis XV, il se consacrera scrupuleusement à ses devoirs de roi : favorisant l’unité du royaume ; rendant une justice plus équitable ; à la fois ferme et diplomate avec ses vassaux ou les souverains d’Europe ; protecteur, enfin, de la foi catholique, ce qui aura raison de sa vie à Tunis, lors de la huitième croisade.
Avec ce Roman de Saint Louis nous pénétrons dans ce monde méconnu – souvent obscurci par ignorance – du Moyen Age à travers un personnage qui ne s’y est pas seulement frayé un passage, mais qui en constitue, dans l’imaginaire collectif et de fait, un élément essentiel, au même titre que les cathédrales gothiques.
Quelquefois – et cet avis n’engage que moi ! – Philippe de Villiers auteur laisse poindre l’autre Philippe : l’homme politique contemporain d’une époque dépouillée du sens de la Nation dans sa dimension civilisationnelle et culturelle. Sur le compte de qui doit-on en effet mettre cette fine réponse de Thomas d’Aquin à Louis IX, qui lui demande s’il existe un « gouvernement idéal » ? Le futur saint – il ne sera canonisé qu’en 1323 et proclamé docteur de l’Église en 1567 – dit ceci : « Oui : un gouvernement qui participe du régime monarchique dans la mesure où un seul est placé à la tête ; de l’aristocratie, dans la mesure où un certain nombre d’entre les meilleurs sont chargés des fonctions publiques ; de la démocratie, c’est-à-dire de la puissance du peuple, dans la mesure où les gouvernants peuvent être pris dans les rangs du peuple. D’ailleurs, ce peuple ne doit plus obéissance au prince lorsque le prince commande des choses injustes. Le peuple n’est pas fait pour le prince mais le prince pour le peuple. Sous le regard de Dieu. » Tout un programme !
Dans tous les cas, s’il n’est pas moine, Villiers a réalisé là un travail de bénédictin ! Il s’est abondamment documenté et entouré de savantes personnes pour un projet dont le résultat insuffle de l’élan romanesque à notre Histoire, la dynamise sans la pervertir. Quoique le passé de la France soit « révolu » pour certains malveillants – banni de l’école pour nombre de ses chapitres, quand ils ne sont pas réécris à des fins de propagande ! –, il n’en existe pas moins dans la plus petite parcelle du territoire national et a, de ce fait, toute légitimité à s’exprimer.
Quant à l’antisémitisme de Louis IX – terme du XIXe siècle et donc « intransportable » au XIII! –, on pourrait reprocher à l’auteur de ne pas s’appesantir sur la réalité de la persécution des juifs sous ce règne ; mais s’attarde-t-on souvent sur les accointances de Mitterrand avec le régime de Vichy ou ses repas intimes avec René Bousquet quand « on » lui consacre une énième biographie ?! Louis IX s’opposait au judaïsme dans une perspective religieuse et non raciale.
A ce propos, Jacques Le Goff, qui fait référence en la matière, déclarait en 1996 à l’Express qu’il s’agissait : « d’un antijudaïsme, de nature essentiellement religieuse. Louis IX, profondément chrétien, n’aime pas ces juifs qui ont refusé de reconnaître le Christ. Il condamne le Talmud parce que celui-ci, à ses yeux, dit des horreurs sur Jésus et présente la Vierge comme une gourgandine ! Le roi, par ailleurs, n’aime pas ces gens qui constituent un corps étranger à l’intérieur du royaume qu’il cherche à unifier. Il est vrai que Saint Louis a été déconcerté par ce problème. “Les chrétiens ont un chef, se dit-il, c’est l’évêque. Les juifs n’ont personne, je dois donc être l’évêque des juifs : les punir quand ils se comportent mal, mais aussi les protéger quand ils sont injustement attaqués…” Il reste que Saint Louis a bien été un persécuteur des juifs. »
Et au sujet du port obligatoire de la rouelle – morceau de tissu circulaire et d’une couleur voyante porté par les juifs sur leurs vêtements en signe distinctif –, Le Goff explique :
« C’est l’Église qui a pris cette décision au quatrième concile du Latran, en 1215. Saint Louis a longtemps refusé de l’appliquer, notamment par souci d’intégration des juifs à la communauté nationale. Mais il a cédé, à la fin de son règne, à la pression des juifs convertis de son entourage, dont le rôle fut extrêmement néfaste. »
Oubliant ces stériles et possibles querelles à faire à l’auteur, c’est un pari gagné pour Philippe de Villiers, puisque son vœu était de restituer un : « Saint Louis à l’humanité sensible, un Saint Louis de chair, à figure humaine. »
En conclusion, je laisse le mot de la fin à Henri Martin, dont la définition de Saint Louis me plaît : « Le souvenir de saint Louis a bien longtemps protégé ses descendants, et a consacré, en quelque sorte, la royauté française pendant des siècles. Et, quoique saint Louis ait participé au terrible égarement du Moyen Age sur le principe de persécution, le monde moderne a confirmé le jugement des hommes d’autrefois sur celui qui fut le meilleur des rois de France. Aucun homme n’a cherché plus sincèrement le bien, et n’a conformé avec plus de fidélité ses actions à sa croyance. » (Henri Martin, Histoire de France populaire).
Charles Demassieux

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