mardi 22 avril 2014

Les réalités de la vie en société

Nous vivons en état de dépendance. Nous dépendons de toutes sortes de conditions particulières – conditions de pays, de race, de famille, de milieu, d’éducation, de santé, d’intelligence, de fortune, car il n’y a pas d’hommes libres et c’est la grande égalité. En outre, dans le cours de notre existence, nous dépendrons de circonstances que nous n’aurons pu ni prévoir ni éviter. Cette dépendance, il importe de l’accepter résolument.
C’est le premier des héroïsmes…
Mais si nous sommes, pour une part, en état de dépendance, une autre part de notre vie dépend, au contraire, de nous. Là, notre volonté, notre énergie peuvent, doivent intervenir. Il leur appartient d’augmenter en richesse, en importance, en mérite, le patrimoine de notre vie, comme la culture accroît la fécondité naturelle de la terre.
Toute vie réclame l’effort, aucune n’est exempte de douleur, bien peu ignorent l’insuccès. L’effort, la douleur, l’insuccès, autant de rencontres où manifester l’étendue de notre valeur.
HENRY BORDEAUX
Préface de La Peur de Vivre Plon, 1905
L’homme est un héritier La première partie de ces extraits montre d’une manière saisissante la dépendance de l’être humain, qu’il soit né dans une chaumière ou sur les marches du trône : « Il n’y a pas d’hommes libres et c’est la grande égalité. » Et en lisant Henry Bordeaux qui insiste sur les contingences qui nous lient, on ne peut que penser à la célèbre définition de Joseph de Maistre : « La patrie est une association, sur le même sol, des vivants avec les morts et ceux qui naîtront. »
Une société ne peut exister
sans liens avec son passé.
Henri Brémond traduisit en 1911 une nouvelle de l’écrivain britannique Margaret Oliphant (1828-1897) A beleaguered City, 1880, sous le titre La Ville enchantée. Les habitants d’une petite ville ont négligé leurs morts jusqu’à les oublier complètement. Une nuit, ces derniers s'emparent de la cité, un sentiment insurmontable oblige les vivants à abandonner leurs maisons et à sortir hors des murs. Les portes de la ville se referment derrière eux et ils ne pourront y rentrer qu’après avoir composé avec leurs ancêtres et avoir accepté leurs commandements. Et Maurice Barrès, dans la préface qu’il donna au travail de l’abbé Brémond, commente le symbole en ces termes : « Gloire à ceux qui demeurent dans la tombe les gardiens et les régulateurs de la cité ! »
Ne rejoint-on pas ici la pensée d’Auguste Comte ? « Les vivants sont toujours, et de plus en plus, dominés par les morts » (Système de politique positive). Il écrit dans le même ouvrage : « nul ne possède d'autre droit que celui de toujours faire son devoir » et « la soumission est la base du perfectionnement ».
La vie est un combat
Mais il faut éviter l’erreur d’un traditionalisme pour qui la complaisance dans le passé ne représente qu’un agréable refuge. « Malgré soi, on est de son siècle », dit Auguste Comte (Plan des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société) et il engage l’homme à l’action réfléchie et éclairée : « Régler le présent d'après l'avenir déduit du passé » (Système de politique positive). Henry Bordeaux avait, pour sa part, employé les mots volonté, énergie, effort.
Nous revenons sans cesse à la conception classique de la vie qu’on retrouve dans les premières pages de Mes Idées politiques : l’homme est un animal politique, un débiteur, un être de devoir qui doit lutter d’émulation au sein de la société comme le poète grec Hésiode le disait au VIIIe siècle avant notre ère dans Les Travaux et les Jours. Victime des idées funestes de Rousseau et du romantisme, l’homme démocratique se réfugie dans l’utopie par peur de vivre.
GÉRARD BAUDIN L’Action Française 2000 n° 2745 – du 3 au 16 avril 2008

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