mercredi 7 mai 2014

Il y a 60 ans Diên Biên Phu... combien s'en souviennent ?

Le témoignage émouvant d'un officier, Guillaume Allaire, qui appelle à la mémoire des combattants morts en Indochine lors de la dernière bataille rangée de l'armée française. 
Guillaume Allaire est officier supérieur dans l'Armée de terre. Il a effectué plusieurs opérations dans les Balkans en Afrique et en Afghanistan.
«Le sacrifice de la vie est un sacrifice énorme. Il n'y en a qu'un qui soit plus terrible. Le sacrifice de l'honneur.» Père Wamberger - Diên Biên Phu
Sur une feuille de papier jaunie par les âges, quelques mots à l'encre rouge, tracés à l'arraché : « Pour Allaire : Cessez le feu à 17h30. Ne tirez plus. Pas de drapeau blanc. A tout l'heure. Pauvre 6. Pauvres Paras. Bruno».
Derrière cette ultime consigne du lieutenant-colonel Bigeard, commandant alors le 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux, à l'un de ses chefs de section qui refusait de croire que s'en était fini, c'est le sort de la dernière bataille rangée de l'armée française qui est scellé : nous sommes le 7 mai 1954, le camp retranché de Diên Biên Phu est sur le point de tomber. Après 170 jours de combats, dont 57 d'une rare intensité, les défenseurs étaient submergés par la déferlante vietminh. Pour les vaincus commence alors la terrible marche vers les camps de rééducation: sur les 10 000 prisonniers après la bataille, plus de 7000 n'en reviendront jamais.
C'était il y a 60 ans. Aujourd'hui, combien s'en souviennent ? 
De l'enfance à l'âge adulte, cet ordre écrit, incroyable rescapé des outrages du temps et de la captivité, a souvent peuplé mes rêveries et mes échappées imaginaires vers cette Indochine française, cette «perle de l'Empire» qui a uni deux civilisations pendant près de trois siècles et dont la chute de Diên Biên Phu précipitera la fin. Témoins d'une histoire familiale autant que de la grande Histoire, ces mots dignes et déchirants sont des sentinelles, veillant le souvenir du sacrifice de ces héros oubliés.
Infirmière, plieuse de parachute, soldat ou officier: mes quatre grands-parents ont foulé cette terre. De tout leur cœur, ils y ont cru et ont voulu la faire grandir, lui ont donné des fils et une fille - ma mère - et ont versé jusqu'à leur propre sang pour la défendre. Comme beaucoup d'autres Français avec eux mais, dans l'indifférence quasi-générale d'une métropole concentrée sur d'autres problèmes et encore agitée par la propagande communiste. Aux côtés de ces Français d'Indochine, des milliers de Vietnamiens qui n'avaient pas cru au projet totalitaire d'indépendance défendu par l'Oncle Hô.
Durant cette bataille aux confins du Tonkin et aux portes du Laos, menée à 1 contre 10 dans des conditions chaque jour plus éprouvantes, l'armée française compose l'une des pages les plus belles et les plus poignantes de son histoire. Face à un ennemi ardent, fermement commandé et fortement soutenu par la Chine populaire, la bravoure des humbles fait de cette défaite une victoire de l'honneur et du devoir. Cette bravoure, c'est celle d'un soldat s'échappant de l'hôpital d'Hanoï pour ne pas laisser ses camarades partir seuls au casse-pipe ; c'est celle d'une convoyeuse de l'air, Geneviève de Galard, restée bloquée sur le camp retranché dont elle deviendra l'Ange ; c'est celle de ces anonymes, volontaires pour être largués en renfort le 5 mai alors que l'issue de la bataille ne fait désormais plus de doute ; c'est celle de ces jeunes officiers dont l'hécatombe sera la rançon du courage et de l'exemplarité… A Diên Biên Phu, l'hagiographie militaire s'écrit en lettres de sang.
Durant cette bataille aux confins du Tonkin et aux portes du Laos, menée à 1 contre 10 dans des conditions chaque jour plus éprouvantes, l'armée française compose l'une des pages les plus belles et les plus poignantes de son histoire. 
J'ai mis mes pas dans ceux de mes anciens. Sillonnant les hauts plateaux du Tonkin, je suis parti à la rencontre de cette terre et de ces hommes: comment ne pas s'émerveiller devant cette nature luxuriante et envoûtante, ces Vietnamiens, farouches et attachants à la fois, cette mosaïque d'ethnies à la culture riche, aux traditions vivantes ? Fruit d'un mariage forcé finalement consommé en amour déçu, comment ne pas ressentir la blessure tant d'années après ?
Du camp n°1 à la «cité du ciel» , j'ai voulu découvrir les lieux de cette tragédie pour mieux la saisir. Est-elle la conséquence de l'incapacité du système politique français du moment ou plutôt des insuffisances du haut-commandement militaire ? Probablement les deux. Mais qu'importe… L'heure n'est plus à la polémique. Ici, quelques stèles blanchies à la chaux; là, sur les pentes de la colline Eliane 4, grignotées par la ville et envahies par les bambous, on devine encore l'enchevêtrement des tranchées. Un peu plus loin, à quelques encablures du PC du général de Castries, un monument aux morts de l'armée française se dresse, simplement, comme un amer au milieu de la tourmente d'une histoire douloureuse.
Devant ces tombes d'officiers dans la jungle, devant ce monument, le front s'incline et le cœur se serre. Puissions-nous à jamais garder leur mémoire et croire, aujourd'hui encore, que les causes les plus belles font oser les plus nobles dépassements. 
Sur une feuille de papier jaunie par les âges, quelques mots à l'encre rouge, tracés à l'arraché…
Derrière l'humiliation, la rage et l'amertume, l'honneur - cette «poésie du devoir», chère à Péguy - reste sauf pour les combattants et ceux qui les avaient précédés dans l'aventure indochinoise. 

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