lundi 22 septembre 2014

Bismarck : le mythe du peuple

N'en déplaise à Michelet, il n'existe pas de peuple conscient de lui-même en tant qu'entité politique. La démocratie est une escroquerie !
Dans le cinquième tome de ses Mémoires, un des plus riches, Maurice Barrès cite le chancelier Bismarck, manipulateur lucide et froid des assemblées germaniques parce qu'il savait que les élus du suffrage universel ne représentent qu'eux-mêmes. Dès 1847, dans ses discours au premier parlement prussien, Bismarck raillait les premiers théoriciens du Contrat social, des Droits de l'Homme ; il définissait ainsi le peuple, après une vive critique du suffrage universel :
« Le peuple vrai est une multitude invisible d'âmes. Il est la nation vivante et organisée pour sa mission historique. Il est la nation d'hier et de demain. Il n'a point de voix matérielle qui le dénonce : dans la conscience de sa tradition il puise la force qui le mène aux fins prédestinées : c'est le souverain seul qui sait écouter en lui les voix silencieuses de son vouloir providentiel. » (1)
L'histoire racontée par Michelet ressemble à la tragédie grecque : comme le choeur des Danaïdes dans les Suppliantes ; le choeur des vieillards d'Argos dans Agamemnon, de Thèbes dans OEdipe Roi, comme le choeur des esclaves troyennes dans les Choéphores, des matelots dans Philoctète, le peuple français représenté par ses paysans, ses bourgeois, ses femmes et ses enfants, pleure ses larmes, verse son sang, exprime sa joie, sa colère, son enthousiasme, son indignation, participe activement aux événements, ou au moins les juge, comme une personne consciente, comme un acteur du drame national. C'est de la belle littérature, souvent réussie malgré l'emphase romantique, mais il ne convient de s'instruire dans ce livre, d'y puiser les leçons du passé qui doivent éclairer l'action des hommes dans la cité (2). Le Théâtre, le Roman, ne disent pas l'Histoire, et Michelet « fit de la pensée avec son coeur ».
S'il existe une population, des masses populaires, un peuple, le peuple au sens politique, lui, n'est qu'une nuée sortie d'imaginations enfiévrées par le mythe démocratique. Il n'existe pas, dans la réalité, de peuple visible, conscient de lui-même en tant qu'entité politique. Parler au nom du peuple, déclarer "le peuple a dit", "le peuple a voulu" représente un abus de confiance. La république romaine était dirigée par le Sénat, formé d'anciens magistrats, et le Peuple romain réuni en Comices et votant d'après un processus complexe, d'une structure fort inégalitaire. Le mot république ne doit pas faire illusion : "Le Sénat et le Peuple romain" étaient plus proches de la formule "Le roi en ses Conseils, le peuple en ses États" que du mensonge démocratique qui fait parler "au nom du peuple français". Les représentants des partis qui ont été élus grâce aux machinations de leurs comités ne représentent pas plus la masse des Français que ne le feraient des députés tirés au sort ! Présidentielle, représentative, participative, la démocratie n'a été, n'est et ne sera jamais qu'une escroquerie.
Seul un souverain qui n'a pas besoin de flatter les masses, un monarque absolu, ce qui signifie indépendant, peut non seulement considérer le salut de ses peuples, mais aussi se mettre objectivement à l'écoute de leurs aspirations "silencieuses", "providentielles", et en tenir compte dans la mesure où leur application ne met pas en danger l'intérêt général que lui seul peut discerner.
Gérard Baudin L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 4 au 17 décembre 2008
1 - Maurice Barrès, Mes Cahiers, tome V (1906-1907), Plon, Paris, 1932.
2 - Charles Maurras, Trois Idées politiques, Champion, Paris, 1898. Il est indispensable, pour connaître Jules Michelet, de lire, dans cet ouvrage le chapitre Michelet ou la Démocratie. L'ouvrage a été repris dans les OEuvres capitales, tome II, Essais politiques, Flammarion, Paris, 1954.

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