lundi 17 novembre 2014

Élisabeth Lévy : Eric Zemmour, mai 68 et moi

Ni Zemmourolâtre, ni Zemmourophobe, la patronne de Causeur s’interroge sur le succès du Suicide français. Elle dénonce le procès médiatique dont l’auteur est victime, y voyant une enième preuve du sectarisme de la gauche française.
GAROVOX : « Eric Zemmour ne mérite pas qu’on le lise » : cette phrase de Manuel Valls vous a mise hors de vous. Pourquoi ?
Elisabeth Lévy : La France a toujours été un grand pays de controverse et il m’est insupportable de la voir devenir le royaume du prêchi-prêcha. Voilà pourquoi cette invitation à la censure, parée en prime des atours du combat contre le Mal, me paraît être de fort mauvais aloi. C’est le droit du Premier ministre - et de tout un chacun - d’être en désaccord avec Zemmour. Mais proclamer qu’on doit le dénoncer sans le lire, c’est stalinien ou orwellien - ce qui revient au même. De plus, ce manquement à l’art de la polémique argument contre argument, se double d’un mépris affiché pour le lecteur/électeur qui a voté, non pas avec ses pieds mais avec ses idées (et son porte-monnaie), en achetant massivement ce livre qui « ne mérite pas qu’on le lise ». Et que lui dit Manuel Valls, à ce plouc attardé, réac et j’en passe ? Précisément qu’il est plouc, attardé et réac. L’ennui, pour le Premier ministre, c’est que ses injonctions n’ont guère de succès…
Selon vous, pourquoi ce livre cristallise-t-il tant d’opposition contre lui, jusqu’au sommet de l’Etat ?
Précisément parce que son succès constitue un désaveu cinglant pour tous les propagandistes du « Parti de demain » (nom que Jean-Claude Michéa donne à la gauche de notre temps), qui considèrent la nostalgie comme un crime et le passé, en tout cas celui de la France, comme un monde ténébreux et haïssable. Et la raison de ce succès, c’est que Zemmour donne un cadre intellectuel, une visibilité, une voix, bref une légitimité, à l’inquiétude que beaucoup de Français éprouvent pour leur pays. Les mêmes qui manifestent la plus grande compassion pour ceux qui redoutent de perdre leur emploi ou leur revenu évacuent par le mépris les peurs dites culturelles ou identitaires, dénigrées comme des « paniques » irrationnelles et détestables : quand une partie de nos concitoyens disent qu’ils ne se sentent plus chez eux, on se lamente sur la progression des « idées lepénistes » en évitant soigneusement de se demander pourquoi elles progressent. Or, avec son livre, Zemmour oblige tout le monde à regarder les choses en face. Il contribue à interdire le déni. Et bien sûr, face au déni, il pousse souvent le bouchon très loin, ce qui le place en phase avec une exaspération grandissante.
Et que voit-on quand on regarde les choses en face ?
On voit un pays en proie à un désarroi identitaire qui ne se nourrit pas seulement, et sans doute pas prioritairement, du chômage et de la crise, mais aussi de l’immigration massive des dernières décennies et de ses conséquences. La France a connu une révolution démographique et culturelle et elle est à la fois sommée de ne pas la voir et de l’applaudir. En clair, Zemmour remet sur le tapis le débat qu’on élude depuis trente ans sur l’immigration et l’intégration - il faut parler des deux car ce n’est pas la diversité des origines qui pose problème à un nombre croissant de Français, mais celle des cultures. Plus précisément, ce sont les modalités de la greffe entre « cultures d’origine » des immigrés récents et de leurs descendants et ce que les Allemands appellent la « culture de référence », qui sont en cause. Ou pour le dire autrement, le fonctionnement de la machine à fabriquer des Français : Qui s’adapte à qui ? L’inaliénable égalité des individus suppose-t-elle l’égalité des cultures ? En creux, Zemmour raconte l’adoption subreptice, en lieu et place du modèle républicain, d’un modèle multi culturaliste qui sied mal au teint d’un vieux pays jacobin et colbertiste. Sur cette question du dosage entre l’héritage et le nouveau, désolée, mais je vais faire le robinet d’eau tiède, entre ceux qui ne croient qu’à l’héritage, un peu comme Zemmour, et les partisans de la table rase comme les Indigènes de la République : je veux de l’héritage et du nouveau - seulement, aujourd’hui, c’est l’héritage qui est menacé. [....]
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