dimanche 4 janvier 2015

Un jour, un texte ! Le soldat et sa famille, par le Lieutenant de Vaisseau Pierre Dupouey

« La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c'est-à-dire pleinement responsables de leurs actes: la France refuse d'entrer dans le Paradis des Robots. »
Georges Bernanos, La France contre les robots
Cette nouvelle rubrique a pour objet de proposer des textes pour aider tout un chacun à réfléchir sur des sujets précis et si possible, d'actualité, aujourd'hui, à l'heure où le pouvoir politique incapable de gouverner le pays, déclenche une guerre tous les 6 mois, tout en coupant à l'armée française ses moyens: le soldat et sa famille (3)
« Le pain de mon cœur. »
Lettres du Lieutenant de Vaisseau Pierre Dupouey à son épouse, alors qu'il est sur le front en Belgique :
Le 12 mars 1915.
Merci de tes lettres qui sont le « pain de mon cœur ». Dilecta mea facta est sicut navis de longe portans panem suum. Maintenant que nous sommes séparés, notre cher mariage dégage toute l'essence de son parfum, toute la force de sa bonne odeur, pour me soutenir, me remplir de confiance, d'espoir et de sérénité. Puisse-t-il contenir pour toi la même bénédiction et puisse le souvenir de ce cher passé faire briller pour toi les mêmes horizons radieux.
Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que, dès maintenant, nous touchons la récompense des efforts que nous avons faits pour considérer toujours les choses sous leur aspect éternel. Combien ces pensées communes – et qui nous sont devenues – nous ont aidés à traverser ces jours et ces semaines – et qu'il faut rendre grâces à Dieu de ces quelques lueurs qu'Il a mises dans nos esprits ! Et même si la guerre se prolonge, s'il faut traverser d'autres semaines et d'autres mois, quelles réserves de courage ne trouverai-je pas dans la pensée de la société de nos cœurs ! C'est une chose bien excellente de partager sa tendresse avec un cœur simple et fidèle ; mais c'en est une peut-être meilleure encore de porter dans l'esprit la même foi, les mêmes désirs, les mêmes actions de grâces — de travailler ensemble au même ordre, dans la même force de conviction et d'adhésion. Que Dieu soit béni surtout pour avoir permis entre nous cette parfaite communion de nos esprits et pour avoir fait briller sur notre mariage, sur notre concorde, ce ciel sans ombres... […] Les marmites de tous calibres continuent à pleuvoir sur Nieuport, et les ruines s'ajoutent aux ruines. Ce qui tenait encore debout, les derniers murs et les derniers piliers de l'église, achève de se laisser tomber – et ce qui était déjà par terre achève de perdre forme et de redevenir poussière. Cet après-midi, en me promenant dans le couvent abandonné des pauvres Clarisses, j'ai de nouveau trouvé tout un tableau enrichi des plus précieuses reliques. Comme je sais que, dans des cas semblables, lorsque les reliques sont séparées des brefs qui les authentifient, le clergé les confie au feu, j'ai pieusement brûlé moi-même ces reliques – qui étaient, en général, des reliques des premiers Bienheureux de l'ordre franciscain (le délicieux frère Égide, entre autres). J'ai gardé pour notre cher foyer un petit morceau du voile de la Sainte Vierge et deux sachets contenant l'un des reliques des saints Laurent et Victor, l'autre, des saints Grégoire et Jérôme. Je ferai ce qu'il faudra pour que notre possession de ces saintes reliques soit régulière – et je me réjouis en pensant que l'attachement et la vénération que nous aurons pour ces ossements sacrés nous seront un gage de la puissante intervention de ces grands saints.
Jeudi Saint 1er avril 1915. Aux tranchées.
Pierre Dupouey sera tué à Nieuport (Belgique), deux jours plus tard, le Samedi Saint 3 avril 1915.
Lieutenant de Vaisseau Pierre Dupouey
Extrait de : « Lettres et essais », préface d'André Gide.
Éditions du Cerf – 1933.  
Lois Spalwer  http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

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