jeudi 7 mai 2015

8 mai 1945, un autre monde

Il y a tout juste  59 ans, le 7 mai 1954,  les troupes françaises encerclées dans la cuvette de  de Dien Bien Phu cessaient  leur  combat héroïque  sur ordre du commandement militaire de Hanoï.  Une défaite signant la victoire finale du  Viet Minh en ce qu’elle ouvrait la voie aux concessions décidées lors des accords de Genève assurant la mainmise communiste sur le nord de l’Indochine.  Les généreux  gains territoriaux accordés aux partisans rouges  ont alors surpris Khrouchtchev  et Ho chi Minh eux mêmes qui n’en  espéraient pas tant… et furent le signal de l’exil d’au moins un million d’Indochinois. Une préfiguration du drame des boat people fuyant la victoire totale du Nord Vietnam sur le Sud en 1975 après la chute de Saïgon.  Il y a soixante ans, il faut le rappeler car  la désinformation est tenace,  les troupes françaises ne se  battaient  pas  pour le maintien du statu quo ante, de  la mainmise coloniale sur l’Indochine, mais contre le totalitarisme communiste. Il était en effet établi que l’Indochine, une fois éradiquée la guérilla communiste, serait indépendante  et avait vocation à  rejoindre « l’Union Française » sur le modèle des relations  unissant le Royaume-Uni à ses anciennes colonies et dominions au sein du Commonwealth. Mais ce 7 mai est aussi l’anniversaire  de la capitulation en 1945  des armées allemandes du front de l’ouest  à Reims, en présence du  Maréchal Jodl et l’amiral Von Friedeburg. Certes, cette date a été effacée de notre mémoire collective par   la  seconde cérémonie, beaucoup moins « confidentielle »,  organisée   le 8 mai, à Berlin, pour complaire à Staline.  Ce  qui n’était pas non plus  pour déplaire à De Gaulle puisque la capitulation signée le 7 mai l’avait été par la France en tant que simple témoin  et non comme acteur de cette victoire contre l’Allemagne…
 Ce soixante-dixième anniversaire  de  la défaite  de l’Allemagne hitlérienne, prend aujourd’hui un sens particulier puisque les tensions entre les puissances victorieuses en 45  se matérialisent aujourd’hui en une  nouvelle guerre froide, voire tiède… Ce n’est pas anodin dans le climat actuel de Russophobie note Bruno Gollnisch, le résultat de l’étude historique réalisée par l‘Ifop pour metronews souligne un changement assez net des perceptions du principal vainqueur du nazisme.
 En mai 1945, au sortir d’une guerre qui a tué 567 000 Français – dont 350 000 civils -  et  selon le sondage réalisé déjà à l’époque par l’Ifop,   57% de nos compatriotes  interrogés citaient alors   l’URSS comme le principal acteur de la défaite allemande et 20% seulement les Etats-Unis. La puissance qui était celle du Parti communiste du déserteur Maurice Thorez,  premier parti de France, son influence  idéologique et intellectuelle, la méfiance  voire l’hostilité de De Gaulle vis-à-vis du monde anglo-saxon en général et de l’Amérique en particulier,  expliquaient certainement  ce résultat.
 Il est aussi  évident et factuellement exact  que  les sacrifices immenses, la résistance extraordinaire du peuple russe au cours de la « grande guerre patriotique » ont été déterminants dans cette victoire des alliés. Certainement  plus que le débarquement  de  Normandie, lequel  n’aurait  pas été possible sans la fixation sur le front de l’Est du gros des troupes  allemandes.
 Enfin, tous théâtres d’opérations  confondus, les pertes américaines entre 1941 et 1945 se sont élevées   à un peu  moins de 420 000 morts, assez loin  derrière, à titre de comparaison, avec  les 620 000  morts militaires de la guerre de sécession (1861-1865).
 Le plus lourd tribut, devant l’Allemagne, au second conflit mondial, fut payé par le peuple russe.  Selon les  estimations,   8 800 000  à 11 700 000 militaires furent  tués  en URSS au cours des combats contre l’armée allemande,  auxquels il faut ajouter 13 500 000 à 15 700 000 pertes civiles.  Soit le total effrayant d’environ   27 millions de tués en URSS entre juin 1941 et mai 1945.
 Mais aujourd’hui à cette même question, « Quelle est, selon vous, la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne en 1945 ? », 54% des sondés  répondent  « Les Etats-Unis » – et même 59% des moins de 35 ans -  et 23% seulement « l’URSS ».
 Ce basculement  l’opinion  doit autant  à la marginalisation politique du PC qu’à l’inféodation toujours plus poussée de la France aux Etats-Unis,  à l’atlantisme, à l’assomption plus générale d’un empire américain qui s’est construit largement sur les ruines et l’affaiblissement des grandes nations européennes depuis 70 ans. Jérôme Fourquet, le directeur du département opinion de l’Ifop souligne que « le jugement s’est complètement inversé »  « dans les années 90 ».
 Quant à Virginie Sansico, « historienne spécialiste de la Seconde Guerre mondiale », interrogé dans metronews, elle «  voit dans ces résultats une certaine logique : Sous De Gaulle, qui était anti-atlantiste, on n’était pas prompt à entretenir la mémoire du Débarquement. De plus, le Parti communiste a longtemps contribué à valoriser les Soviétiques, du temps où il avait une forte influence. Les premières commémorations du Débarquement appuyées par l’Etat ont eu lieu seulement en 1984, organisées par Mitterrand : elles marquent une rupture dans l’opinion. »
 A fortiori chez  « les jeunes (qui)  ont grandi dans un monde où la mémoire du Débarquement est très présente et où, surtout, l’influence culturelle des Etats-Unis n’est plus à démontrer ».  Influence culturelle ?  Oui, ou autrement dit,  l’effet d’une  propagande véhiculée largement sous le masque de l’entertainment   par l’industrie cinématographique et télévisuelle hollywoodienne qui  contribue puissamment à modeler les esprits et susciter des réflexes pavloviens.
 Si le Russe garde, plus que jamais depuis la chute du communisme,  sa place de grand méchant-mafieu-fascistoïde dans les productions américaines,   dans des proportions peut-être plus importante encore  que le Serbe fourbe,  l’arabe-musulman-fanatique et  l’Iranien malfaisant, cela ne doit rien au hasard mais tout à la géopolitique.
 La volonté de Vladimir Poutine de redonner à la Russie une place de tout premier plan sur la scène internationale;  les intérêts souvent  divergents  de Moscou et de Washington au Moyen-Orient ;   le soutien notamment  à la Syrie ;  la résistance du Kremlin  à  la déstabilisation  de l’Ukraine ;  sa lutte pied  à pied contre les menées états-uniennes  en Asie centrale ;  les alliances diplomatiques nouées pour briser le carcan unipolaire ;  la défense résolue  sur le plan intérieur des valeurs traditionnelles et patriotiques, bref  l’opposition   frontale de la Russie de Poutine au  nouvel ordre  mondial,  aux dogmes libertaires sur le plan sociétal, forment les vraies raisons de la diabolisation de ce pays  par « nos » faiseurs d’opinion.
 On se souvient du temps ou Laurent  Fabius, alors dans l’opposition, décrivait Nicolas Sarkozy  comme  un « caniche des Américains ». C’était avant   qu’il endosse le costume de ministre des Affaires étrangères et  qu’il fasse l’éloge  des djihadistes  massacreurs du front  al-nosra « qui font du bon boulot  en Syrie ».    Car  aujourd’hui, M Fabius est le représentant d’un gouvernement tout aussi atlantiste que le précédent et prend bien soin de  ne pas trop tirer sur   sa laisse.
 Il sera donc présent à Moscou pour commémorer la victoire du  8 mai 1945 mais n’assistera pas à l’instar des  dirigeants des États-Unis, de la Grande-Bretagne, des pays membres de l’Otan,  et de la France à la traditionnelle parade militaire du 9 mai sur la Place rouge.  Un boycott qui se veut  la manifestation du soutien français  à l’opposition pro-américaine en Ukraine.  Mais qui matérialise surtout l’effacement programmé de la voix (voie)  d’une France libre,  indépendante, singulière dans le concert des nations. 

Aucun commentaire: