vendredi 10 juillet 2015

Du gouvernement de nos rois

Le roi de France exerce un pouvoir d'essence familial, conférant à l'État capétien une humanité étrangère à la République. L'histoire en révèle de multiples illustrations.
« Le roi représente dans le royaume l'image du père. » Ainsi s'exprime Hugues de Fleury (XIe siècle) dans son ouvrage sur le pouvoir royal et la dignité ecclésiastique (Libellus de regia potestate et sacerdotali dignitati). « Vous aurez en lui un père, nul jusqu'à présent n'a invoqué en vain son patronage. » C'est par ces mots qu'Adalbéron, archevêque de Reims avait recommandé aux grands du royaume de choisir Hugues Capet pour roi.
Un gouvernement familial
Le gouvernement des Capétiens fut d'abord une affaire de famille : la reine Constance, épouse de Robert le Pieux s'occupe des finances du royaume, de même Bertrade d'Anjou, épouse de Philippe Ier. Bien que Philippe Auguste, qui ne supportait pas Ingeburge de Danemark, ait écarté les femmes du gouvernement, la reine, en l'absence de Louis XIV, signera les ordres du roi. Le Conseil est une affaire de famille, formé des parents, des alliés et des hommes de confiance. Les états généraux étaient la curia regis, la cour du roi étendue. En 1789, la réunion de députés imbus d'idées législatives ne représente plus qu'une caricature de ce qu'étaient les états. « Commander à un royaume ou à sa maison, il n'y a de différence que les limites. » (Le maréchal de Tavannes, XVIe siècle) La belle Aiglantine vient à la Cour pour demander au roi un mari (Chanson de Gui de Nanteuil, XIIIe siècle). Moeurs médiévales, dira-t-on, mais lorsque Louis XIV accomplit son premier voyage en Alsace une jeune fille de Ribeauvillé lui demanda une dot pour son prochain mariage. Le roi lui fit donner un sac de pistoles.
Le chef des familles du royaume
Louis XIV se faisait établir des bulletins sur les familles de Versailles et de Paris par le lieutenant général de police et le procureur du roi au Châtelet. Ainsi, en sus des affaires de l'Etat s'intéressait-il à la vie de ses sujets, ses enfants. On nous objectera que le roi ne s'occupait que des familles nobles ou des grandes familles bourgeoises de Paris. En date du 24 mars 1702, le lieutenant général de police demande à l'intendant du Nivernais d'empêcher la fille du nommé Deschamps, barbier à Cosme, de raser les clients de son père : « Il faut que vous le lui défendiez, en avertissant le père de donner à sa fille des occupations plus convenables à une personne de son sexe. » Représentant du roi, le lieutenant de police sera appelé par les Parisiens "père temporel". Ses audiences dans son hôtel, auxquelles assistait Diderot au XVIIIe siècle pour étudier les moeurs de ses contemporains, continuaient celles de saint Louis sous son chêne.
« Le roi traite ses sujets et leur distribue la justice comme un père à ses enfants » dit Bodin. Quelle est l'essence de cette justice ? « Une émanation de l'autorité paternelle » ajoute le même auteur. La plupart des princes se font représenter l'épée au poing, le roi de France paraît avec la main de justice, deux lions sous ses pieds figurant force et violence terrassées par le droit.
Une sollicitude paternelle
Henri Plantagenet requiert l'arbitrage du roi de France dans son différend avec Thomas Becket, l'empereur Frédéric II lors de son conflit avec Innocent IV ; les différends entre les rois d'Aragon et de Castille seront soumis à Louis XI. Des étrangers, simples particuliers, font appel à la justice du roi. Cambrai, ville d'Empire, se donna spontanément au roi en 1477. Les Cambrésiens « ne peuvent être si bien gardés et entretenus en paix et tranquillité par autre prince que par le roi de France ».
Une telle sollicitude paternelle de la part du chef de l'Etat ne fera sourire que les niais. Si un Louis XIV qu'on veut caricaturer sous la forme d'un Jupiter inaccessible aux siens – « L'Etat c'est moi » – s'intéressait à la vie intime de ses sujets, ce n'est pas par esprit totalitaire ; il s'y intéressait personnellement, en père, s'imposant ce surcroît de travail pour garder à la monarchie son caractère humain, charnel qui en faisait et la force et le charme.
Nos pères étaient des sujets, des enfants de leur souverain, non des administrés, des assujettis d'une démocratie de plus en plus distante, qui, entre deux passages aux urnes, abandonne de fait, à cause de sa débilité, l'essentiel du pouvoir à des bureaux qui nous connaissent par l'intermédiaire de numéros et gèrent nos existences à l'aide de règlements et non de lois. Seul le gouvernement royal est humain.
Gérard Baudin L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 18 juin au 1er juillet 2009

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