dimanche 16 août 2015

Hiroshima : le mensonge sur une journée d’été

9 août 2015, soixante-quinze ans après l’holocauste nucléaire ramenant Hiroshima et Nagasaki à « l’âge de pierre », un devoir de mémoire et de vérité aussi, s’impose. L’Histoire officielle de la Seconde Guerre mondiale, rédigée par les vainqueurs, enseignée à nos jeunes, apporte une version erronée de la réalité. « La solution finale », réservée aux deux villes japonaises, est mentionnée par quatre malheureuses lignes dans le livre d’histoire de la classe de Première, (édition 2007, Hachette page 326) : « Compte tenu de la cohésion du peuple japonais et de son attachement à l’empereur et aux principes nationaux, l’état-major américain estime que la conquête du pays pourrait coûter un million d’hommes. C’est pourquoi deux bombes atomiques sont lancées sur Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945 ». Et dire que mon rôle de professeur d’Histoire consiste à faire avaler aux générations d’après-guerre ce gros mensonge devant transformer en victoire un grand crime perpétré en toute impunité contre d’innocents civils. Quelle honte !
Aujourd’hui, l’humanité toute entière se souvient. Cet énorme champignon, devenu symbole d’un massacre programmé, demeure gravé dans toutes les mémoires. Des êtres humains, plus de 80.000, volatilisés en quelques secondes, confirment, comme l’a écrit Albert Camus dans son éditorial, paru dans Combat du 8 août 1945, que « la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. »
L’usage de cette arme de destruction massive fut présenté comme un mal nécessaire pour mettre fin à la guerre et épargner des centaines de milliers de vies humaines.
Tout au long de sa présidence, Truman se vantait d’avoir, grâce à l’emploi de la bombe nucléaire, sauvé plus de cent-vingt-cinq mille âmes entre soldats et civils. À sa guise, il jonglait avec les chiffres : deux-cent-cinquante mille, un demi-million et, pourquoi pas, un million. Beaucoup de chercheurs sérieux doutaient de la finalité du recours à l’arme nucléaire et considéraient fantaisistes les chiffres avancés par l’administration Truman. Le général Dwight Eisenhower évoque dans ses Mémoires : " (…) sur la base de ma conviction (…) le Japon était déjà battu, et donc (…) l’utilisation de la bombe était complètement inutile. (…) notre pays devait éviter de choquer l’opinion mondiale en utilisant une arme qui, à mon avis, n’était plus indispensable pour sauver des vies américaines."
Eisenhower n’avait pas tort. Le 7 mai 1945, lorsque le général allemand Alfred Jodl signe à Reims la reddition de la Wehrmacht, l’Empire nippon agonisait : aviation réduite à sa plus simple expression, marine marchande et de guerre disparue, défense antiaérienne effondrée. Maîtres du ciel, les B-29 américains ont effectué entre le 9 mars et le 15 juin des milliers de sorties sur l’archipel ne subissant que des pertes négligeables. D’ailleurs, le raid sur Tokyo lancé le 10 mars 1945 a causé, en une seule journée, la mort de cent-vingt-cinq mille personnes.
En 1991, lors d’un séjour à Washington, je me rends au centre des archives des États-Unis, la NARA (National Archives and Records Administration). On attire mon attention sur un rapport établi par les services secrets au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et déclassifié en 1988. Un document exceptionnel qui apporte un éclairage étonnant sur les tractations qui ont mené à la capitulation du Japon :
  1. Jugée superflue, l’invasion de la principale île de l’archipel nippon, Honshu, n’était nullement envisagée par les forces américaines ;
  2. L’Empereur, cinq semaines après la capitulation allemande, prend la décision d’arrêter les hostilités et charge son ambassadeur à Moscou d’intervenir auprès des autorités soviétiques afin de mettre un terme à la guerre ;
  3. La décision de l’URSS, le 8 août, d’envahir la Mandchourie occupée par les Japonais constitue la raison majeure qui a poussé le gouvernement nippon à cesser les combats dès le 15 août. En effet, dans les discussions du conseil des ministres il était peu question du bombardement atomique.
Nous avons la certitude aujourd’hui que l’usage de l’arme d’extermination massive contre Hiroshima et Nagasaki ne répondait pas à des nécessités militaires. Depuis leur victoire remportée à l’été 1945, à Okinawa, les GI mouraient de moins en moins sur le champ de bataille et le Japon était encerclé par la marine américaine, qui tenait l’archipel sous un embargo total. Seule la volonté de Staline de déclarer la guerre au Japon à partir du 15 août pouvait justifier un tel empressement de Truman à lancer ses bombes atomiques dans l’espoir de précipiter la capitulation du Japon et de favoriser son occupation par les troupes américaines coupant court aux ambitions de Moscou. D'ailleurs, les dirigeants japonais redoutaient par-dessus tout, une invasion de leur pays par les communistes.
Ce mythe, soigneusement entretenu pendant des décennies, selon lequel les actes de barbaries commis au Japon au terme de la Seconde Guerre mondiale avaient pour objectif d’épargner des vies humaines, ne tient plus. Ce grand mensonge de l’histoire a assez duré. Une nouvelle lecture de ces massacres devient impérative. À inscrire au chapitre de la guerre froide.

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