lundi 2 novembre 2015

Julius Evola et Mircea Eliade : une amitié oubliée 2/2

En raison de la perte de ses cahiers, Eliade se rappelle mal et confond donc les années, ou bien il superpose deux visites rapprochées. Je crois pourtant qu’il s’agit d’une seule visite, parce que, aussi bien dans son journal personnel que dans ses mémoires, il ne s’en souvient que d’une et il en donne une description similaire. Donc, d’après les lettres inédites d’Evola dont les originaux se trouvent dans les Archives de Handoca, cette rencontre peut être située de manière très précise : d’après les dates et les lieux de provenance des lettres, le penseur italien se déplaçait encore à l’époque avec une certaine facilité, grâce à différents amis, pour aller passer des périodes de repos dans diverses localités ou peut-être aussi pour des visites de contrôle au "Centro Putti". C’est ainsi, qu’ayant su qu’Eliade serait arrivé à Rome le 5 mai 1952 pour une conférence, il lui écrit de Bologne le 6 avril : « J’espère vous voir à l’occasion de votre passage à Rome, si vous restez quelques jours après la date de votre conférence (le 5 mai) ; du fait que je crains de ne pas être de retour à Rome avant le 11 mai ». Il lui écrit encore le 19 avril, toujours de Bologne : « Quand vous serez à Rome, écrivez-moi un petit mot, je vous en prie, à mon adresse — Corso Vittorio Emanuele 197 — pour me communiquer votre numéro de téléphone. Je vous avertirai tout de suite dès mon retour. Mon numéro de téléphone à Rome est le 562123 ».
On peut tout de suite remarquer que, si Evola écrivait à Eliade, ce dernier ne pouvait pas être en voyage pour l’Italie, mais devait avoir un domicile fixe à Paris. Donc, le souvenir du chercheur roumain d’une rencontre avec Evola en avril 1951 à la fin de son voyage en Italie est un souvenir erroné. Est correct par contre celui de l’avoir averti à l’avance de sa visite par un coup de téléphone, visite qui eut lieu donc après le 11 mai, vu que Eliade avait décidé, à ce qu’il semble, d’attendre le retour de Evola à Rome ; et il s’agissait probablement d’un mois de mai particulièrement lourd vu que, autre souvenir erroné, dans son journal Eliade considère qu’il s’agit même du mois d’août. Et c’est ainsi que le 25 mai Evola put écrire : « J’ai été très content de vous avoir revu après tant de temps ci et je souhaite que vos activités vous ramènent bien vite à Rome ». Ce fut donc la première visite. Est-ce possible qu’il y en ait eu une autre par la suite ? D’après les lettres en notre possession, dont la dernière est datée de mars 1954, il semble que non. Par la suite — jusqu’environ la mi-1960 — nous ne savons pas ce qu’il en est et nous ne pouvons pas donner une réponse certaine à cette question, même si en 1974 Eliade affirme avoir rencontré Evola pour la dernière fois "une dizaine d’années auparavant". Peut-être en relation avec la collaboration de Evola à la revue Antaios ?
Le principal sujet autour duquel tournent presque toutes les lettres que nous connaissons, est l’aide réciproque dans l’espoir de faire publier Eliade en Italie et Evola en France. Evola y est parvenu, Eliade non. On trouve encore une fois indirectement la confirmation de l’ostracisme de l’intelligentsia marxiste envers le chercheur roumain : avec l’autorisation de Cesare Pavese, Einaudi publia Tecniche dello Yoga en 1952 et Trattato di storia delle religioni en 1954, avec préfaces réductrices, presque exorcisantes, de Ernesto De Martino. Cette hostilité était parvenue aux oreilles de Evola : « On me dit qu’il y eut des problèmes pour l’édition Einaudi de vos traductions à cause d’un ridicule veto communiste. Est-ce vrai ? Si cela est vrai, il faut peut-être placer ces traductions de nouveau ? (Il s’agit, je crois, du Manuale et des Tecniche) »- écrit-il le 15 décembre 1951 (20).
Par ces lettres on découvre en outre combien Evola, sur le conseil d’Eliade, avait pris en considération certains textes de Georges Dumézil et de Heinrich Zimmer en vue d’une éventuelle traduction chez Bocca. Cela n’eut pas lieu ; le seul résultat positif fut la publication du Sciamanesimo d’Eliade, qui parut en 1953 traduit par Evola sous le pseudonyme de "Carlo d’Altavilla" (ce dont, curieusement, il n’informe pas l’auteur). Aucun résultat par contre pour le penseur italien, puisque ses livres, c’est-à-dire Rivolta et La dottrina del risveglio, envoyés à Payot, Denoël et Laffont, ne furent pas acceptés.
Les intéressés disent explicitement que leurs contacts se sont prolongés jusqu’aux années soixante. On ne sait pas quand et pourquoi ils se sont interrompus. Nous sommes sûrs qu’Eliade avait une opinion positive à l’époque sur Evola en tant que chercheur, c’est tellement vrai que dans son livre Lo Yoga, immortalità e libertà de 1954, il définit La dottrina del risveglio « une excellente analyse » (21), critiquée par contre par pas mal de spécialistes. De telle sorte que l’on doit constater avec un peu d’amertume la façon dont Eliade, en se souvenant, vingt ans après dans son journal, de son vieil ami italien disparu, le fait sans évoquer ce à quoi Evola s’est consacré — tout en étant « immobilisé pour le restant de ses jours » — dans la tentative de faire connaître son œuvre en Italie. Attitude qu’Evola continua d’avoir en dépit de différentes réserves, après l’interruption des contacts directs également, et cela est tellement vrai que, une fois qu’il obtint en 1968 la direction de la collection "Orizzonti dello spirito" aux Edizioni Méditerranée, il y fit traduite Mefistotele e l'androgine en 1971 et il y fit réimprimer dans une traduction revue Lo sciamanesimo en 1974.
Quel est le motif de cette sorte de “rémotion” ? Je crois qu’encore un fois la réponse se trouve dans la correspondance, à savoir les deux lettres de décembre 1951. Le 15 décembre Evola écrit :
« Est sortie récemment une nouvelle version revue et intégrée de ma Rivolta contro il mondo moderno et je pense que j’ai cité également votre Trattato. Mais à ce propos — je le dis un peu en riant — on devrait vous appliquer des Vergeltungen (22). Je suis frappé par le fait que vous ayez un souci constant de ne pas citer dans vos œuvres d’auteur qui n’appartienne étroitement à la littérature universitaire plus officieuse ; de telle sorte que l’on trouve amplement cité par ex. ce bonhomme si aimable qu’est Pettazzoni, tandis qu’on ne trouve pas un mot, non seulement sur Guénon, mais pas non plus sur d’autres auteurs dont les idées sont relativement plus proches à celles qui vous permettent de vous orienter avec certitude dans la matière que vous traitez. Il est évident qu’il s’agit d’une chose qui vous regarde vous personnellement ; néanmoins, cela vaudrait la peine de se demander, en fin de compte, si le jeu en vaut la chandelle, c’est-à-dire si cela vaut la peine que vous vous imposiez ces limites “académiques”… J’espère que vous ne m’en voulez pas pour ces observations amicales » (23)
Dans la lettre suivante, datée du 31, Evola répond à Eliade en faisant quelques affirmations qui permettent de comprendre l’attitude du chercheur roumain. Il écrit en effet ceci :
« En ce qui concerne vos explications à propos de vos rapports avec la “maçonnerie” académique, ils me semblent assez satisfaisants. Il s’agirait moins de méthodologie que de pure tactique, et contre la tentative d’introduire quelque cheval de Troie dans la citadelle universitaire, l’on ne pourrait rien faire. L’important serait de ne pas se laisser prendre dans un jeu d’alouettes, vu qu’au milieu académique correspond une sorte de “courant psychique”, avec la possibilité d’une subtile influence déformante et contaminatrice. Mais moi je crois que, aussi bien pour le fondement intérieur que pour vos probables relations avec des milieux différents du point de vue des qualifications, vous pourrez bien vous défendre de ce danger. En ce qui concerne la “méthodologie”, vous savez bien que je cherche à suivre une voie intermédiaire parce que, contrairement à la majeure partie des “exorcistes”, je me préoccupe aussi de produire une documentation assez satisfaisante du point de vue “scientifique” » (24).
Tout d’abord ces deux lettres nous révèlent peut-être d’autres souvenirs confus et une orientation erronée dans le temps : c’est probablement celle-ci la lettre « assez amère » dans laquelle, comme dit Eliade dans son journal personnel, Evola lui aurait reproché de ne jamais citer ni lui ni Guénon. S’il s’agit effectivement de cette lettre-là, comme on le voit bien, il n’y a aucune “amertume”, mais bien des “considérations amicales” comme en confirme le ton de la lettre. En outre Evola ne fait pas du tout allusion à lui-même. La réponse d’Eliade, comme on le déduit de la prochaine lettre d’Evola, est rappelée dans son journal seulement en partie — on ne peut pas dire si c’est par amnésie ou volontairement. En effet, Eliade doit avoir fait allusion au fait que ses livres sont différents de ceux des occultistes et qu’ils ne sont pas adressés aux `initiés’ ; mais ce que dit le penseur italien ne fait en rien le jeu d’Eliade : il suit « une voie intermédiaire » qui n’est pas la voie tout à fait “ésotérique” de Guénon, ni celle complètement “scientifique” d’Eliade. Du reste, comme le note Philippe Baillet, l’explication du Roumain n’est pas une explication des plus simples, mais elle est au contraire “simpliste” : « D’autre part nous aimerions beaucoup savoir où et quand Guénon et Evola ont écrit que leurs livres sont adressés seulement aux “initiés” »(25). Mais il y a d’autres éléments qui sont portés à notre connaissance. Face aux critiques "amicales" — et non “amères” — d’Evola, Eliade en 1951 dit des choses bien différentes de celles dites en 1974 : il justifie le fait de ne pas avoir cité des auteurs traditionnels et de n’avoir pas cité explicitement leurs œuvres comme une “tactique”, comme un “cheval de Troie” pour faire accepter dans le monde académique certaines idées et certains points de vue. Un "éclaircissement", celui-ci, qui apparaît à Evola « assez satisfaisant » pour autant que cela à la fin ne mène pas à une implication dans le “courant psychique” du “milieu académique”, qui produit « une influence subtile déformante et contaminatrice ». Evola cependant croit que cela ne se passera pas, parce qu’il considère que son ami roumain a un « fondement intérieur » bien sain. On comprend alors pourquoi Evola accueillit Eliade de cette manière chez lui : presque comme un frère de l’esprit qu’il retrouve après tant de temps ! Il se trompait, parce que Eliade continuera à ne pas citer les auteurs traditionnels dans ses œuvres destinées « au public d’aujourd’hui » (comme le dit Eliade). Il nous reste le doute que le “cheval de Troie” soit une justification de mauvaise foi pour ne pas faire de polémiques avec Evola, ou bien qu’en 1951 Eliade y ait cru vraiment, mais qu’ensuite il ait été tout à fait absorbé et transformé par son fameux "courant psychique" qui, selon Evola, se trouve dans les universités du monde entier.
Si le chercheur universitaire peut avoir été “déformé” et “contaminé”, si le chercheur Eliade a éloigné le chercheur Evola de sa propre production scientifique, tout en ayant accueilli ses propositions, suggestions et hypothèses, il n’en fut pas ainsi par contre pour Eliade narrateur. La narration est une activité qu’il plaçait avant celle d’historien des religions et pour laquelle spécifiquement il aurait voulu qu’on se souvienne de lui et qu’on l’apprécie, se gagnant une telle réputation de pouvoir aspirer au Prix Nobel — comme me le dit dans les années septante Mircea Popescu (le premier traducteur de Cioran en italien). Je suis en effet parfaitement d’accord avec l’analyse que Claudio Mutti fait du dernier roman publié par Eliade avant sa mort, Diciannove rose (27), et avec les conclusions auxquelles il arrive. Un des personnages ne peut que dissimuler Evola : il y a trop de coïncidences pour que cela soit un simple hasard. En effet Ieronim Thanase est un philosophe et ésotériste suivi par de nombreux jeunes et qui est “paralysé sur son siège” à cause d’une infection mystérieuse liée à une “erreur” — on ne comprend pas laquelle — commise dans le passé. Les raisons du comment, du pourquoi et d’un possible solution de son énigme physique rappellent les mots qu’Evola écrivit à propos de lui-même dans Cammino del cinabro. Les idées de Thanase à propos de la philosophie, de la tradition, du mythe et du symbole, rappellent celles exprimées dans Teoria, dans Fenomenologia et dans Rivolta, livres dont Evola eut connaissance tout comme il eut probablement aussi connaissance de Il cammino del cinabro. En 1963, à la sortie de ce dernier livre, les deux chercheurs étaient encore en contact ; ceci est tellement vrai que Evola a collaboré à Antaios, la revue dirigée par Eliade et Jünger, en y publiant trois essais. Pour ceux qui donc connaissent Evola, il n’y a pas de doute : l’étrange personnage de Ieronim Thanase en est une représentation romancée. Un hommage tardif alors du grand chercheur, de l’illustre chercheur de la Sorbonne et de Chicago, à l’ami italien, moins célèbre et toujours boycotté, dont pourtant il « admirait l’intelligence et surtout la densité et la clarté de la prose » ; il s’agit presque — interprété ainsi — d’une réparation post mortem pour l’avoir oublié (ou ignoré) dans ses innombrables publications "scientifiques". Et ici les mots de Evola semblent retentir : ces "observations amicales", mais également la demande de "réparations", de Vergeltungen, même si c’était "un peu en riant".
En tout cas, l’influence de Guénon et de Evola sur le jeune Eliade est d’habitude admise par certains exégètes de ce dernier. Ioan Culianu, par ex., considère « un devoir de compter aussi Guénon et Evola » parmi les auteurs qui ont « contribué de manière décisive à la formation de la théorie historico-religieuse de Eliade » (29) ; et Crescenzo Fiore, pour qui les « concordances entre la pensée éliadienne et celle de maîtres connus de la Tradition, comme Julius Evola et René Guénon, (ne sont) ni fortuites ni marginales » (30). De ces deux "maîtres de la Tradition", le jeune Eliade a tiré — à mon avis — les bases sur lesquelles il a élaboré sa construction théorique, qu’il "étaya" de références académico-scientifiques. Il y a quelques références possibles : le thème du folklore comme “récipient” d’une sagesse presque perdue ; la décadence du sacré dans le monde moderne ; le passage — disons même la censure — du temps cyclique et mythique des origines au temps linéaire et "historique" qui s’est produit avec l’avènement du christianisme ; le rapport entre mythe et histoire ; l’idée — typiquement évolienne — de la “rupture de niveau” et d’ouverture à un statut spirituel supérieur ; l’alchimie comprise dans le sens éminemment spirituel, à distinguer de l’art métallurgique ; la valeur intrinsèque du symbole ; évidemment l’an anti-historicisme de fond. Ce fut justement cette position idéale et "idéologique" qui a provoqué à Eliade tant d’ostracisme après la guerre, bien que Ernesto De Martino considère que la position d’Eliade « est fondée en substance sur un malentendu » (31) et que le directeur de la “collection violette” de Einaudi définisse « des réserves stupides extra-scientifiques » (32) le boycottage dont était l’objet le chercheur roumain. Ces “réserves” étaient tellement lourdes que la culture italienne la plus importante a ignoré Eliade pendant des décennies, en confiant cette traduction à des maisons d’édition "mineures" à partir de la seconde moitié des années 60, jusqu’à en parler de manière partiale à l’occasion de sa mort (33). À présent, les références de base auxquelles nous avons fait allusion ne sont rien d’autre que les « idées presque les plus proches de celles qui vous permettent de vous orienter avec certitude dans la matière que vous traitez », dont Evola fait un rappel explicite dans sa lettre du 14 décembre (34). Des idées qui resteront toujours le fil conducteur d’Eliade jusqu’à la fin de sa vie. De tout ceci, il ne faut guère s’étonner et encore moins s’indigner, en considérant ces idées comme une sorte d’“espion” de Dieu sait quelle perversion idéologique, comme cela fut fait en son temps. Furio Jesi, par ex., essaie de mettre en évidence « manipulations et technicisation, donc opérations avec des fins précises », d’habitude "politiques", dans le rapport avec le passé et avec le mythe (35), parce qu’elle est exactement ainsi — politique — son interprétation du mythe, qui résulte encore plus « manipulé et technicisé » de ce qu’elle aurait pu apparaître dans la pensée d’Eliade. La même chose est valable pour Crescenzo Fiore qui, tout en ayant compris exactement l’anti-historicisme comme architrave sur laquelle Eliade base toute sa construction théorique, il le présente comme quelque chose de négatif, puisque, à son avis, ce qui dans son « essai doit être considéré prioritaire est (…) de montrer les implications idéologiques qui servent d’échafaudage à tout l’œuvre éliadienne. En d’autres mots, il s’agit de faire ressortir cette “philosophie de l’histoire”, qui marque toute l’œuvre du chercheur et qui, qu’on le veuille ou non, le fait ressembler aux “Maîtres” connus de la droite traditionnelle » (36). En somme, une vraie dénonciation et pas une étude “scientifique”, justement parce que faite par quelqu’un qui a une forma mentis essentiellement “politique” et qui voit et interprète tout par cette clé exclusive, en pardonnant ou en condamnant.
Est plus serein, plus “scientifique” et acceptable par contre le point de vue de celui qui évalue ces références aux "maîtres de la Tradition" — ainsi définis sans sarcasme — pour ce qu’ils valent et donc examine le développement de la pensée d’Eliade non pas comme un élément a priori négatif et à dénoncer, mais comme un fait acquis à juger par rapport à ses inspirateurs, pour en évaluer la cohérence et l’incohérence, la conformité ou la difformité, l’évolution ou l’involution. C’est ce que fait Piero Di Vona, dans une longue et profonde analyse, en mettant en évidence les contradictions et les approximations d’Eliade justement par rapport à cette pensée “traditionnelle” dont ce dernier s’est nourri. Les conclusions de Di Vona peuvent donc se résumer ainsi : « La conception qu’Eliade a de l’histoire finit par rentrer elle aussi parmi les doctrines d’inspiration traditionaliste de notre siècle. Mais il s’agit d’un traditionalisme de valeur inférieure qui déteste les jugements définitifs sur le statut de l’homme contemporain, et qui est trop soucieux de s’accorder à la tendance historiciste, phénoménologique et religieuse dominante en Occident. De cela proviennent les incertitudes et les oscillations auxquelles s’expose Eliade, et dont la première est le fait de ne pas savoir définir avec certitude les limites entre l’homme traditionnel et l’homme moderne » (37).
En substance, résume Di Vona, « ne sont pas remis en question le sens et l’usage des noms, mais le rapport entre la tradition intemporelle et l’histoire, et le concept même de tradition chez Eliade. C’est cela qui est mal défini et variable. Sujet aux concessions les plus diverses de la culture contemporaine » (38). Avec les mots de Verona, nous sommes donc retournés au point de départ : à la formation, disons-le ainsi, "traditionnelle" d’Eliade et à la superposition progressive d’une culture "scientifique", "académique", "professorale", avec des affaiblissements successifs, des compromis, des incertitudes, des approximations et des changements. « L’Eliade académique résume bien Giovanni Monastra, de plus en plus inséré dans le monde de la culture officielle, après les discriminations et les censures, nous ne savons pas si par conviction ou par stratégie, modéra certaines de ses idées de départ et il sembla accepter, dans certains cas, des apports théoriques discutables » (39).
En conclusion de notre recherche, il reste justement cette contradiction de fond. Et pas seulement. Pour un de ces recours historiques qu’Eliade lui-même aurait jugés significatifs, à l’attitude qu’il eut avec le temps envers Evola, on peut reprendre les mêmes mots de la recension eliadienne de Rivolta contro il mondo moderno : « Evola est ignoré par les spécialistes, parce qu’il dépasse leurs cadres de recherche » (40). On pourrait parler d’une prophétie qui le concernerait à son tour.
 Gianfranco de Turris, Antaios n°16, 2001.
Texte paru dans Origini XIII, 1997. Traduction : Blanche Bauchau. Une version considérablement amplifiée de cet essai a été publiée dans AA.VV, Delle rovine e oltre : Saggi su Julius Evola, Antonio Pellicani Editore, Rome 1995. Pour se procurer le numéro spécial d’Origini consacré à Eliade : écrire à La Bottega del Fantastico, Via Plinio 32,1- 20129 Milan.
Notes :
1) Mircea Eliade, Si corrispondentii sai, édité par Mircea Handoca, Ed. Minerva, Bucarest, 1993, vol. I (A-E), pp. 275-280.
2) Mircea Eliade e l’Italia, édité par Marin Mincu et Roberto Scagno, Jaca Book, Milan, 1982, pp. 252-257.
3) Mircea Eliade, Fragments d’un journal II : 1979-1978, Gallimard, 1981, pp. 192-194. La traduction est de Gianfranco De Turris. Cf : « Il rapporto Eliade-Evola », édité par Giovanni Monastra, dans Diorama Letterario n°120, Florence, nov. 1988, pp. 17-20 ; et Claudio Mutti, Mircea Eliade e la Guardia di Ferro, Edizioni all’insegna del Veltro, Parme, 1989, p. 42.
4) Mircea Eliade, Mémoires II 1937-1960 : Les moissons du Solstice, Gallimard, Paris, 1988, pp. 152-155. La traduction est de Gianfranco De Turris.
5) Mircea Eliade, Si corrispondentii sai, cit., pp. 275-6. La traduction est de Gianfranco De Turris.
6) Julius Evola, Il Cammino del cinabro, Scheiwiller, Milan, 1963, pp. 151 ; idem, Il fascismo, Volpe, Rome, 1964, p. 32.
7) Julius Evola, Il fascismo, Volpe, Rome, 1974, p. 35 note 1. Cf. également la réimpression de cette troisième édition chez Settimo Sigillo, Rome, 1989, p. 35, note 1.
8) Claudio Mutti, Mircea Eliade e la Guardia di Ferro, cit., pp. 39-45 et plus largement dans son Introduzione a La tragedia della Guardia di Ferro, Fondazione Julius Evola, Rome, en cours d’impression.
9) Mircea Eliade, Le promesse dell’equinozio, Jaca Book, Milan, 1995, p. 156.
10) Mircea Eliade e l’Italia, cit., pp. 25-70.
11) Toutes les citations dans Rivolta contro il mondo moderno, in : « Il rapporto Eliade-Evola », cit., pp. 17-18.
12) Cf. Michela Nacci, Tecnica e cultura della crisi, Lœscher, Turin, 1986.
13) Julius Evola, Il cammino del cinabro, cit., p.151.
14) Julius Evola, « Nella tormenta romena : voce d’oltretomba » dans Quadrivio, Rome, 11 déc. 1938.
15) Julius Evola, « Il mio incontro con Codreanu », dans Civiltà n°2, Rome, sept-oct. 1973.
16) Claudio Mutti, « Introduzione à Julius Evola », La tragedia della Guardia di Ferro, cit.
17) Vasile Posteuca, Desgroparea Capitanului, Madrid, 1977, pp. 35-6. Cit. dans Claudio Mutti, Mircea Eliade e la Guardia di ferro, cit., pp. 42-43.
18) Lettere de Julius Evola à Girolamo Comi (1934-1962), éditées par Gianfranco de Turris, Fondazione J. Evola, Rome, 1987.
19) Mircea Eliade e l’Italia, cit., p. 252.
20) Mircea Eliade e l’Italia, cit., p. 252.
21) Mircea Eliade, Lo Yoga, Immortalità e libertà, Rizzoli, Milan, 1973, p. 167, note 9.
22) Ce terme allemand se réfère au droit médiéval du talion et suppose que l’on a subi un tort. On peut le traduire par «réparation».
23) Mircea Eliade e l’Italia, cit., p. 252.
24) Ivi, pp. 253-4. La traduction a été corrigée en certains points.
25) Philippe Baillet, « Julius Evola et Mircea Eliade (1927-1974) : une amitié manquée », dans Les deux étendards n°1, sept-déc. 1988, p. 48. Traduction italienne Jaca Book, Milan, 1987.
26) loan P. Culianu, Mircea Eliade, Cittadella, Assise, 1978, p. 146.
27) Crescenzo More, Storia sacra e storia profana, in : Mircea Eliade, Bulzoni, Roma, 1986, p. 14.
28) Mircea Eliade e l’Italia, cit., p. 250.
29) Ivi, p. 251.
30) Cf. G. Monastra, « In ascolto del sacro », in : Diorama letterario n°109, Firenze, nov. 1987, pp. 2-3.
31) Mircea Eliade e l’Italia, cit., p. 252.
32) Furio Jesi, Cultura di destra, Garzanti, Milano, 1979, p. 5.
33) Crescenzo More, Storia sacre e storia profana, cit., p. 17.
34) Piero Di Voua, « Storia e Tradizione in Eliade », in : Diorama letterario n°109, cit., p.
35) Ivi, pp. 13-14.
36) G. Monastra, « Il rapporto Eliade-Evola, une pagina della cultura del Novecento », in : Diorama letterario n°120, cit., p. 17.

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