vendredi 13 novembre 2015

Retour sur le onze-novembre

Qu'a-t-on encore commémoré, au juste, rituellement, le Onze-Novembre ? Si je m'en tiens aux calendriers officiels, il s'agit de l'armistice signé à Rethondes le 11 novembre 1918 dans le wagon du maréchal Foch. Il était supposé mettre fin à un conflit certes abominable et dont on ne dénombre plus les victimes.
Mais revenons au fait lui-même : cet arrêt des combats intervenait au moment même de la proclamation de la république en Allemagne, le 9 novembre, et alors que la ligne de front avait épargné pendant quatre ans le territoire allemand. D'un tel point, de vue toutes les conditions de la reprise future du conflit étaient d'autant mieux réunies que les clauses des futurs traités de paix, qui allaient être dictées au vaincus, demeuraient encore dans le flou.
Naguère, on entendait encore de nombreux combattants de cette Grande Guerre. L'essentiel de leurs propos ne ressemblait en rien à ce que l'on a pu nous expliquer, depuis que les vrais survivants n'ont plus la parole. Ils ne prononçaient certainement pas le mot boucherie, qui semble prévaloir aujourd'hui chez les bons esprits. Certains évoquaient, tout au plus, le sentiment d'une immense stupidité générale. Ils l'imputaient en très grande partie aux cercles de pouvoirs parisiens. Que diraient-ils aujourd'hui ?
Tous les combattants français de 1918 ne pensaient évidemment pas la même chose. Un historien comme Beau de Loménie, par exemple, ne cache pas son admiration pour Clemenceau. C'est la chose la plus déroutante de son immense et géniale fresque critique échelonnée sur deux siècles : elle s'explique évidemment par le mythe du Père la Victoire chez les gens qui, comme lui, avaient combattu. Chez les personnes les plus estimables, ce même culte fut longtemps associé à celui du Vainqueur de Verdun, celui qu'un Léon Blum considéra longtemps comme lui aussi comme le seul maréchal républicain de l'armée française.
Dieu sait pourtant le mal que fit Clemenceau, y compris à la France victorieuse, et bien entendu à l'Europe centrale et danubienne. Son acharnement laïcard priva cette partie essentielle de notre continent de son épine dorsale habsbourgeoise. Il semblait fondamental pour nos radicaux-socialistes de prolonger le conflit de 12 mois, 12 mois pendant lesquels des centaines de milliers d'hommes moururent, 12 mois pendant lesquels les bolcheviks perpétrèrent et consolidèrent leur coup d'État liberticide à Petrograd, 12 mois au cours desquels les États-Unis, financiers des Alliés purent imposer autant à la France et à l'Angleterre qu'aux vaincus, leurs conditions de paix, quitte à ne plus les assumer, une fois dictés les traités de Versailles, Trianon, etc.
Dois-je dire aussi que, dans le souvenir des combattants, on n'entendait évoquer le soldat adverse d'autrefois qu'avec respect.
Alors, puisque cette fête d'automne paraît bien problématique on pourra se consoler aussi à l'idée que nous avons vécu en ce onze novembre les dernières lumières d'un été de la Saint-Martin des Gaules. Le beau temps tardif horripile peut-être nos climato-réchauffistes et, à ce titre, voilà un double motif de satisfaction.
Mais il convient aussi de prendre conscience que l'opération de destruction de la civilisation européenne ne s'est, hélas, arrêtée ni à cet armistice de 1918, ni au traité de Versailles, ni aux accords de Yalta de 1945.
Le Onze-Novembre, qui ne saurait être une fête proposée aux autres Européens, devrait inciter les Français à mieux appréhender le caractère "national-européen" de leur destinée.
Au contraire, les divisions, les ambiguïtés et les médiocrités de chaque jour continuent et s'amplifient.
Et les développements des dernières semaines jours nous le confirment : tant qu'une ligne de défense claire n'aura pas été définie, tant que les moyens matériels indispensables, tant que les budgets de défense, n'auront pas été mis en place, alors que les ressources existent, tant que nous laisserons instrumentaliser le droit d'asile et la libre circulation intra-européenne par des mouvements migratoires, tels que l'on n'en avait pas vu depuis la conquête de l'Espagne par les Arabes ou l'avancée turque vers Vienne, oui les dangers ne cesseront de s'accumuler sur l'Europe.
La disparition symbolique de Helmut Schmidt ou l'accueil fait aux revendications britanniques ou même le désordre du séparatisme en Catalogne, nous confirment dans le sentiment d'un malaise grandissant. Et si elles ne se réforment pas, les institutions issues du fouillis des traités, qui se sont empilés depuis Maastricht, ne feraient que justifier et amplifier ce hiatus dommageable entre l'Europe vivante et ceux qui parlent au nom des États.
JG Malliarakis

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