samedi 6 février 2016

"Les Filles au Moyen Âge" : un autre cinéma, une autre Histoire



C'est peu de le dire, Les Filles au Moyen Âge est aux antipodes de ce que produit depuis trente ans le cinéma d'auteur français, trop souvent embourbé dans un pseudo-naturalisme qui peine à saisir les vraies questions du temps, à l'évidence aveuglé par le narcissisme des auteurs eux même, qui préfèrent raconter leur petite vie triviale, plutôt que de tenter de distiller la grande, celle de tout le monde, disons celle du peuple. Analyse socio-politique : néant !
Ce curieux film prend pour trame narrative la chronologie des évolutions sociales et religieuses (on y parle que de Dieu !) qui ont rythmé pendant les mille ans du Moyen Âge, l'émancipation grandissante et inattendue des femmes. Du concile d'Ephese en 431 qui consacre Marie, "Mère de Dieu", jusqu'à l'apothéose de l'Amour Courtois, en passant par les prouesses scientifiques d'une Hildegarde de Bingen, les fondatrices d’hopitaux et d’écoles publics, sans oublier la pucelle de Domremy ; le scénario est librement adapté de La Femme au temps des Cathédrales, ouvrage de la médiéviste Régine Pernoud, grande réhabilitatrice de l'époque féodale, ennemie jurée des féministes de gauche des années 60/70 pour qui l'équation Christianisme = Machisme était malheureusement le béaba…
Librement adapté, c’est le moins qu’on puisse dire, car non content de nous raconter l’Histoire comme l’aurait fait un mauvais docu fiction du service public, ou encore un vulgaire téléfilm du genre Les Rois Maudits, Hubert Viel (l’auteur/réalisateur) propose ici un dispositif de mise en scène des plus rafraichissant et surtout des plus étonnants. En effet, tous les personnages historiques sont ici joués par six enfants (3 filles, 3 garçons) d’une dizaine d’année, le tout filmé en noir et blanc avec une caméra pellicule 16mm, ce qui donne un ton étrangement naïf et ludique au film, qui n’est pas sans rappeler la série animée Il était une fois les hommes, ou simplement un tableau du douanier Rousseau.
Sur le papier l’idée paraît saugrenue et presque grotesque, mais cela donne à ce procès en réhabilitation une tournure toute légère et joviale. Car c’est à un Moyen Âge lumineux, joyeux et drôle auquel on à affaire ici, dans ce qu’il est permis d’appeler une comédie historique. Pour couronner le tout on notera la présence permanente d’un conteur qui pose son vieux timbre de voix enchanteur et malicieux sur cette succession de saynètes comiques : le grand Michael Lonsdale.
Jouant la carte de la comédie dans les situations comme dans les dialogues, Hubert Viel, caché derrière sa douceur et sa naïveté, n’en fait pas moins passer un propos tout à fait sérieux ; qui serait de montrer en quoi les femmes furent bien plus respectés au Moyen Âge que dans les périodes qui lui ont succédé. En effet à partir du XIVème siècle, le Moyen Âge entre en décadence et plusieurs phénomènes concomitants viennent mettre à mal la prospérité de cette civilisation florissante : On commence à tolérer le capitalisme et l’usure, On sombre dans la Guerre de Cent, On subit la peste noire, et le rois de France tombent dans l’obsession de constituer un état centralisé en infantilisant les petits seigneurs et en taxant le peuple à son profit. La bourgeoisie d’affaire tenue à l’écart jusqu’à alors devient une classe grandissante et influente. Bref, une chute sévère qui pourrait se résumer en un mot : Matérialisme. Les femmes ne s’en remettront pas et perdront une grande part de leurs prérogatives, pour devenir jusqu’au XXème siècle de simples mères au foyer qui dépendent pleinement de leur mari qui a tout pouvoir de décision dans les affaires sociales.
Courez donc au cinéma voir ce film à la foi pédagogique, poétique et drôle. Film généreux et accessible à tous, même aux plus jeunes. Un grand bol d’air frais dans sa forme comme dans son fond.
Au cinéma depuis le 27 Janvier.
Euphrosine

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